Comment les otages français et américain Olivier Dubois et Jeffery Woodke ont-ils été relâchés après des années passées aux mains des jihadistes au Sahel ? Leur libération, comme d’autres avant elle, est entourée d’un épais mystère. Quelques éléments de réponse.
À son retour en France mardi, le journaliste Olivier Dubois, kidnappé en 2021 dans le nord du Mali par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) affilié à Al-Qaïda, a raconté à l’AFP avoir été informé par ses gardiens le 7 mars de sa prochaine libération. Le 16, des hommes l’ont emmené en moto puis en pick-up dans la région de Kidal, toujours au Mali. Il y a été rejoint par Jeffery Woodke, humanitaire enlevé en 2016 au Niger. Selon le journal Libération, les deux hommes ont ensuite été transportés par plusieurs pick-ups, ont franchi la frontière avec le Niger avant d’être récupérés par un avion gros-porteur militaire, puis emmenés à l’aéroport de Niamey.
« Je n’en sais rien du tout », a dit Olivier Dubois. Ces libérations sont classiquement entourées du plus grand secret. « Je sais que notre discrétion parfois n’est pas comprise. Elle est pourtant la condition de l’efficacité », a déclaré la ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna.
Le rôle du Niger, allié de la France et des États-Unis, a été mis en avant. Au côté des deux anciens otages lundi, le ministre nigérien de l’Intérieur Hamadou Souley a remercié « les partenaires français mais aussi américains pour leur coopération constante » dans ce dossier. Le secrétaire d’État américain Antony Blinken était mi-mars à Niamey.
Les combats en cours depuis des mois dans la région entre le GSIM et l’organisation l’organisation terroriste État islamique (EI) pourraient avoir favorisé le processus. Les otages « peuvent constituer un fardeau » pour des groupes tenus de constamment se déplacer en échappant à toute localisation, dit Ousmane Diallo, chercheur sur le Sahel pour Amnesty International. « Dans ce contexte de compétition avec un autre groupe armé, mais du fait aussi sans doute de la réduction des canaux de négociation, faire libérer ces otages peut être opportun », ajoute-t-il.
Une possible transaction financière
La rivalité peut aussi susciter des besoins d’argent. Les autorités françaises ont toujours nié avoir payé des rançons. Cependant le président François Hollande (2012-2017) reconnaissait dans un livre publié en 2016 que des rançons avaient été versées pour la journaliste Florence Aubenas, enlevée en Irak, ou Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier en Afghanistan.
En 2020, la libération au Mali de la Française Sophie Pétronin et deux Italiens en même temps qu’une personnalité politique malienne avait donné lieu à la libération de 200 prisonniers, dont un certain nombre de jihadistes.
Dans le cas d’Olivier Dubois et Jeffery Woodke, « il n’y a manifestement pas eu de libération de détenus. Mais la possibilité qu’il y ait eu une transaction financière est là », dit Ousmane Diallo. « Les prises d’otages sont à 95% crapuleuses, il faut payer », assure à l’AFP Alain Chouet, ancien responsable du renseignement français. « Les prix ont beaucoup monté au cours des ces 20-25 dernières années », dit évoquant des montants actuels de l’ordre de 10 millions de dollars, contre un million auparavant.
Niamey est resté officiellement discret sur le sujet. Mais « c’est le Niger qui a mené l’opération de bout en bout avec l’implication personnelle du président Mohamed Bazoum, affirme à l’AFP un officiel nigérien sous le couvert de l’anonymat compte tenu de la se sensibilité du sujet. Paris a souligné le travail du partenaire nigérien. Un autre responsable nigérien explique que c’est parce que « les Français ne veulent pas montrer qu’ils négocient avec les groupes jihadistes ».
Les colonels au pouvoir au Mali, qui ont coupé la plupart des ponts avec la France, ont observé le mutisme. Pourtant l’opération s’est à l’évidence déroulée en partie sur le territoire national, dont de vastes étendues à la frontière avec le Niger échappent à leur contrôle.
Des intermédiaires pour approcher les groupes armés
Ces libérations sont tributaires d’intermédiaires capables d’approcher les groupes armés. Le GSIM est dirigé par Iyad Ag Ghaly, chef touareg originaire de Kidal appartenant à la tribu des Ifoghas. C’est vers cette communauté, présente au Mali et au Niger, que se tournent les regards. Une source nigérienne familière de telles négociations évoque le rôle de Mohamed Akotey, notable des Ifoghas, qui avait participé dans les années 2010 à la libération des collaborateurs des groupes français Areva et Satom enlevés au Niger. « De mon temps, on avait au Niger plusieurs canaux de négociations avec différents groupes, clans et tribus à travers un certain nombre d’hommes d’affaires locaux qui ne sont évidemment pas désintéressés. Ce sont des réseaux qu’on entretient au Niger comme au Tchad et ailleurs », dit Alain Chouet.
Le Touareg Ahmada Ag Bibi, lui-même ancien membre d’un groupe jihadiste, mais aussi député à plusieurs reprises, intermédiaire dans la libération des otages en 2020 au Mali, a démenti auprès d’un correspondant de l’AFP avoir participé aux dernières négociations.
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