Même si l’on s’en préoccupe rarement, nos reins sont tout aussi importants que notre cœur ou nos poumons. Ils sont, d’une certaine façon, la « station d’épuration » mais aussi de régulation du corps humain : leur fonction principale est d’éliminer les déchets présents dans notre sang. Chaque minute, environ un litre de sang rejoint les reins pour y être purifié, avant d’en ressortir et de repartir dans la circulation générale.
Or quand un rein devient malade, on ne s’en aperçoit pas forcément tout de suite. Parfois même… pas du tout, tant la nature nous a gâtés, en nous en fournissant deux ! C’est pourquoi notre équipe Progression et réparation des lésions rénales, de l’université Pierre et Marie Curie à Paris, poursuit ses recherches, comme d’autres à travers le monde, pour identifier les signes permettant de sonner l’alerte très tôt. Cela permettrait de prendre la maladie à ses débuts, et donc de mieux préserver cet organe.
Un peu d’anatomie, pour commencer. L’opération de purification réalisée par le rein est possible grâce au million de petites unités fonctionnelles qui le composent : les néphrons. Ceux-ci se décomposent en deux parties : le glomérule, comparable à un minuscule filtre, est relié à un tubule. Lorsque le sang arrive dans le rein au niveau des glomérules, ces derniers le débarrassent de l’eau et des déchets qui, eux, poursuivent leur chemin dans les tubules. La grande majorité de l’eau est réabsorbée et renvoyée dans l’organisme par les tubules, tandis que les déchets se concentrent dans l’urine jusqu’à leur arrivée dans la vessie. Les reins sont ainsi capables de produire entre un et deux litres d’urine par jour.
L’élimination des déchets n’est cependant pas l’unique rôle des reins. Ils servent aussi à régulariser la quantité d’eau présente dans l’organisme. Ils sont capables de le débarrasser du surplus ou, à l’inverse, d’en retenir en fonction des besoins.
Les reins ont pour autre fonction d’équilibrer le taux des différents sels minéraux, par exemple le sodium ou le potassium. Ces derniers, qui proviennent de l’alimentation, ont besoin d’être maintenus à des taux précis dans le sang pour que l’organisme fonctionne correctement. Les reins sont ainsi chargés d’en excréter le surplus dans les urines.
Les reins, enfin, sont en charge de la production d’hormones, ces messagers chimiques qui circulent dans le sang et régularisent certaines fonctions essentielles de l’organisme, comme la pression artérielle.
On peut naître avec un seul rein… et s’en porter très bien
Normalement, chacun d’entre nous possède deux reins. Mais de multiples facteurs peuvent entraîner l’absence d’un rein chez certaines personnes, sans que cela pose, la plupart du temps, de problème de santé. Il est ainsi possible de n’en avoir qu’un seul dès la naissance et de s’en porter très bien. Bien souvent, la personne concernée ne s’en aperçoit que lors d’une échographie pratiquée pour une tout autre raison.
Le même examen peut également mettre en évidence, toujours par hasard, qu’un des deux reins est nécrosé et ne fonctionne plus. Par ailleurs, l’ablation d’un des deux reins peut être nécessaire à la suite d’un traumatisme grave ou d’une maladie.
Une personne, enfin, peut se retrouver à vivre avec un seul rein car elle a fait don de l’autre pour transplantation. En France, par exemple, la loi permet à toute personne en bonne santé, avec deux reins en très bon état de fonctionnement, de faire don de l’un des deux.
À long terme, le fait de n’avoir qu’un seul rein n’a pas forcément de répercussion sur la vie des personnes concernées, et la très grande majorité n’aura aucun problème de santé de toute sa vie.
La capacité fonctionnelle des reins dépasse en effet de plus du double ce dont l’organisme a normalement besoin : un seul rein filtre donc le sang tout aussi bien que deux. En fait, un rein normal est capable d’augmenter considérablement sa charge de travail en fonction des circonstances. Dans le cas des personnes qui naissent avec un seul rein, il n’est pas rare de voir le rein unique grandir un peu plus que la moyenne pour « compenser » l’absence du second. De la même manière, lors de l’ablation d’un rein, ou encore si les deux reins perdent une partie de leur capacité normale de fonctionnement, les néphrons restants travaillent davantage pour maintenir le corps en santé.
Un véhicule sans roue de secours
Néanmoins, les individus vivant avec un rein unique sont un peu dans la situation d’un véhicule qui circulerait sans roue de secours. Des maladies comme les pyélonéphrites (des infections bactériennes du rein) ou les calculs rénaux peuvent abîmer leur seul rein. En avoir deux est donc un luxe… mais ce n’est pas une raison pour les négliger ou les malmener.
Parfois, les reins ne fonctionnent plus correctement et ne sont plus capables de filtrer le sang de façon optimale : on parle alors d’insuffisance rénale. Un rein malade continue à remplir ses fonctions assez longtemps grâce aux néphrons actifs, qui compensent la défaillance des autres. Lorsque les reins cessent complètement de fonctionner, en revanche, les déchets et les liquides s’accumulent dans l’organisme. Il est alors nécessaire de recourir à des traitements de dialyse (pour nettoyer le sang à l’aide d’une machine) ou à une transplantation rénale.
Même grave, une maladie rénale ne se traduit souvent, pendant longtemps, par aucun symptôme. Il est utile de s’assurer, de temps à autre, que ses reins fonctionnent bien, ce qui se fait par une simple analyse de sang. On utilise habituellement comme indice caractéristique, ou biomarqueur, le taux de créatinine – un déchet produit par les muscles et censé être éliminé par le rein – dans le sang. Si les reins fonctionnent moins bien, le taux de créatinine augmente dans le sang et diminue dans les urines.
La créatinine, un marqueur trop tardif du problème rénal
La créatinine, cependant, n’est pas le marqueur idéal : son taux n’augmente qu’après une réduction d’environ 50 % de la fonction rénale, et donc potentiellement plusieurs jours après le début de la maladie. L’absence de biomarqueurs précoces de l’insuffisance rénale complique donc la possibilité d’intervenir au moment opportun, c’est-à-dire dès le début de la maladie. C’est pour cette raison que la recherche dans ce domaine continue.
Il est également difficile de prédire à quel rythme la maladie rénale risque de détruire le rein. La biopsie rénale, un examen qui consiste à prélever un ou plusieurs fragments de cet organe et à examiner l’échantillon au microscope, permet de poser un diagnostic et de suivre l’évolution de la maladie. Sans cet examen assez invasif, il est malaisé de prédire sa progression.
De nombreux chercheurs essaient aujourd’hui de comprendre les mécanismes de progression des lésions, avec l’espoir de trouver de nouveaux marqueurs de l’insuffisance rénale. Pour être de bons biomarqueurs, les molécules identifiées doivent refléter étroitement et précocement la présence de l’insuffisance, le but étant de pouvoir intervenir au plus tôt sur la maladie. Elles doivent également être facilement mesurables par une analyse de sang ou d’urine – car la biopsie reste un geste lourd.
A la recherche d’un marqueur pour prédire l’évolution de la maladie
Toutes les équipes dans le monde suivent le même processus. Une fois que des marqueurs potentiels sont identifiés, des études sur plusieurs groupes de malades permettent de voir si le taux de ce marqueur est prédictif de l’évolution de la maladie. L’objectif est de pouvoir différencier, à terme, les malades dont l’insuffisance rénale continuera de progresser, ceux chez qui elle ne progressera plus, et ceux pour qui elle régressera.
Plusieurs biomarqueurs repérés ces dernières années semblent répondre à ce critère. Parmi eux, la cystatine C, la NGAL, la Kidney injury molecule 1 (KIM-1), la Liver-type fatty acid binding protein (LFABP) et l’interleukine 18 (IL-18).
Il faudra ensuite définir les valeurs seuils pour chacun de ces marqueurs. Cela exige des études à plus large échelle, sur un très grand nombre de patients, venus d’hôpitaux différents et appartenant à des populations diverses. Ainsi, dans quelques années, la santé de vos reins devrait être beaucoup mieux évaluée. Votre taux de créatinine ne sera sans doute plus qu’un résultat parmi d’autres sur la feuille de résultats envoyée par votre laboratoire d’analyses.
Chloe Rafael, Doctorante, unité Inserm sur les maladies rénales, Sorbonne Université (UPMC) – Sorbonne Universités
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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