Que ce soit pour le financement de la transition écologique, pour les retraites, pour la restauration des services publics, que de fois n’a-t-on pas entendu en France comme ailleurs « il n’y a pas d’argent magique » ? Et pourtant à chaque fois que le capitalisme financier vacille sur ses bases, comme à nouveau avec la crise bancaire qui menace de s’étendre, il coule à flots – combien même les banques centrales du monde entier étaient censées avoir fermé les écoutilles pour rétablir le pouvoir d’achat de la monnaie menacé par l’inflation.
On ne reprochera pas à la Réserve fédérale américaine (Fed) de s’être promptement et massivement mobilisée pour éviter aux clients des trois banques régionales américaines déclarées en faillites (Silicon Valley Bank, Silvergate, Signature) de perdre leurs dépôts, ni à la Banque nationale suisse (BNS) d’empêcher que Credit Suisse n’entraîne dans sa chute les banques du continent européen. Mais on ne peut que constater la fuite en avant dans les mesures prises pour éviter la crise systémique – il leur faut aller toujours plus loin. Et déplorer aussi leur aveuglement aux conséquences de leur action car comme à chaque fois, elles ont géré les crises passées en préparant celle à venir.
La Fed, « bad bank » nouvelle génération
Concernant les mesures prises, la Fed n’a pas fait que lever le plafond de la garantie des dépôts, qui sinon aurait fait perdre aux clients professionnels leurs cash au-delà de 250.000 dollars assurés : la banque centrale américaine a aussitôt rétabli une ligne de liquidité permettant aux banques de se refinancer auprès d’elle en lui apportant comme garantie des titres à leur valeur d’émission sans aucune décote, fermant ainsi les yeux sur leur dévalorisation que la hausse des taux a mécaniquement provoquée au cours des derniers mois.
La Fed s’est ainsi transformée en une sorte de « bad bank » nouvelle génération, c’est-à-dire une entité financière spécialement créée pour concentrer les actifs toxiques des autres banques, capable de transformer le plomb en or. En quelques jours, elle a créé près de 300 milliards de dollars pour les banques. Elle a aussi rétabli des lignes de swaps quotidiennes avec les grandes banques centrales qui permettent d’échanger des liquidités dans différentes devises pour protéger des risques de change.
Quant à la BNS, elle a aussitôt ouvert une ligne de prêt de 100 milliards de francs suisses (équivalent à 100 milliards d’euros) pour sécuriser l’opération de rachat de Credit Suisse par UBS qu’elle a orchestrée avec les autorités de supervision financière (Finma) et qui revient à unir deux groupes systémiques pour les faire accoucher d’un encore plus grand colosse aux pieds d’argiles. Le bilan de ces deux banques centrales est ainsi reparti à la hausse, et le resserrement de la politique monétaire aura fait long feu de ce point de vue.
Communication habile ?
Pour autant, la Fed a maintenu, le 22 mars dernier, sa décision de relever de 25 points de base ses taux directeurs (ce qui les porte entre 4,75 et 5%), la BNS le lendemain aussi, emboîtant le pas de la Banque centrale européenne (BCE) quelques jours plus tôt et relevant comme elle de 50 points de base son taux directeur pour le porter à 1,50% (la BNS partait de plus bas que la BCE car elle a appliqué des taux directeurs négatifs pendant la crise sanitaire).
On pourrait y voir une communication habile visant à convaincre les investisseurs qu’il n’y avait pas de risque de crise bancaire systémique. Mais n’est-ce pas là plutôt une nouvelle marque de l’aveuglement des banques centrales aux conséquences de leurs décisions de politique monétaire pour la stabilité financière ? Car la crise bancaire actuelle n’est-elle pas due au retournement du cycle financier que la politique monétaire a produit : les bilans bancaires ont surfé sur la vague des liquidités déversées à flot ces quinze dernières années, et tombent quand le resserrement vient casser la vague. Les banques centrales doivent alors, une fois de plus, rouvrir les écoutilles, etc.
La conclusion qui en tout cas s’impose à voir les banques centrales se démener une nouvelle fois pour sauver les banques est que l’argent peut bel et bien être « magique ». Il est donc grand temps d’en faire bon usage. Pas pour sauver le capitalisme en perdition mais pour le transformer en profondeur et réaliser le bien commun en le mettant notamment au service des objectifs climatiques.
Cet article est publié dans le cadre du Printemps de l’économie 2023, qui s’est déroulé du 5 au 7 avril au Conseil économique social et environnemental à Paris et dont The Conversation France était partenaire.
Article écrit par Jézabel Couppey-Soubeyran, Maîtresse de conférences en économie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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