Du dentifrice en tablette tiré d’un pot, du sirop d’érable qui s’écoule d’un bec verseur, de la poudre pour lave-vaisselle achetée à la louche : aux États-Unis, la vente en vrac fait des adeptes.
Au magasin Mason & Greens de Washington, les clients apportent leurs propres sacs ou contenants en plastique pour les remplir d’articles vendus sans emballages. Des années après l’essor d’un mouvement similaire en Europe, c’est une nouvelle tendance aux États-Unis, et le concept essaime dans plusieurs grandes villes du pays. Dans la boutique de la capitale, « des gens sont même venus remplir l’emballage de leurs journaux », s’enthousiasme Anna Marino, la patronne de 34 ans.
Ce type de magasin est nécessaire, selon des experts, pour provoquer un changement des comportements dans la plus grande économie de la planète. Les Américains produisent en moyenne 2,2 kg de déchets par jour, contre 1,4 en moyenne en Europe, selon des statistiques officielles.
L’objectif d’Anna Marino est d’aider chacun à se rapprocher du zéro déchet. Pour elle et sa famille, la première cible fut le papier essuie-tout. Son abandon « a entraîné une baisse importante de nos déchets quotidiens », explique celle qui a fondé Mason & Greens avec son mari en 2020.
Du pain et des légumes non emballés
Ils y vendent haricots, flocons d’avoine et autres produits en vrac dans des distributeurs installés aux murs, aux côtés de grands bidons d’huile et de vinaigre. Sur les rayonnages trônent d’autres curiosités : du pain et des légumes non emballés, contrairement à l’usage aux États-Unis. Anna Marino dit tenter d’éviter « des prix trop exorbitants » pour maintenir son magasin « accessible. »
Aux États-Unis, moins d’un tiers des déchets ménagers (et 9% des plastiques) sont recyclés ou compostés – contre 49% en Europe. Et en moyenne, chaque Américain génère 130 kilos de déchets plastiques par an, contre 43 kilos pour les Français.
Ces statistiques poussent aussi Anna Marino à demander à ses fournisseurs d’utiliser le moins d’emballage possible. « On ne sortira pas de la crise du plastique par le recyclage », prévient Jenny Gitlitz, de l’organisation Beyond Plastics, qui lutte contre leur pollution.
Elle mentionne les effets néfastes du plastique sur la santé : substances cancérigènes, perturbateurs endocriniens, etc. S’y ajoute la pollution dans l’environnement, avec des particules de microplastique découvertes partout sur la planète, de la fosse des Mariannes au sommet de l’Everest – en passant par le sang humain. À l’inverse de l’aluminium et du verre, par exemple, les plastiques ne peuvent être recyclés à l’infini, leur structure se dégradant petit à petit.
La réutilisation pour diminuer l’empreinte carbone
De plus, le recyclage de nombreux types de plastiques est complexe. Cette solution ne doit intervenir qu’en dernier recours, résume Shelie Miller, de l’école pour l’environnement et le développement durable de l’Université du Michigan. « Je crains que trop souvent, les gens passent directement au recyclage sans penser à la réduction et à la réutilisation », dit-elle à l’AFP. La professeure alerte sur le fait que les actions d’individus ou de petites boutiques ne suffiront pas à bouleverser le système. Mettre en œuvre de tels changements pour un avenir plus durable relève d’une « responsabilité entièrement partagée » entre entreprises, autorités et gestionnaires de déchets, insiste-t-elle.
Dans une autre boutique de la région de Washington, Emoke Gaidosch verse dans un large récipient du savon liquide. L’entreprise qu’elle codirige, FullFillery, vend sur place nombre de ses propres cosmétiques. « On veut faire le plus possible de réutilisation, parce que le recyclage a encore une empreinte carbone massive », explique Rini Saha, à la tête du magasin. Et le fait d’acheter en vrac implique un autre bénéfice environnemental, explique la professeure Miller : on achète uniquement les quantités dont on a besoin.
Preuve du succès de ce type de boutique à Washington, FullFillery a quitté les marchés en extérieur de ses débuts pour s’installer dans un vrai magasin. Et Mason & Greens a d’ores et déjà deux boutiques. Le modèle « est rentable », se félicite Rini Saha. Peut-être pas autant qu’un magasin à emballage, « mais je pense que c’est inévitable, on n’a pas le choix », affirme-t-elle. « Le secteur doit en passer par là. »
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