OXFORD – Confrontés à l’afflux d’un nombre record de demandeurs d’asile et à l’effritement de la sympathie du public, les pays européens sont de plus en plus nombreux à utiliser les budgets d’aide étrangère pour nourrir et loger les nouveaux arrivants.
Certains pays de l’UE se prévalent depuis quelque temps déjà d’une directive de l’OCDE leur permettant d’utiliser leur budget d’aide publique au développement (APD) pour couvrir les frais engagés pour répondre aux besoins essentiels des réfugiés pendant leur première année dans le pays d’accueil. La part des budgets d’APD utilisée par des pays comme la Suède, la Norvège, les Pays-Bas et le Danemark oscillait autour de 5 %, le nombre de réfugiés demeurant relativement faible, mais la crise actuelle a poussé plusieurs gouvernements européens à envisager de détourner des sommes beaucoup plus élevées généralement dédiées au financement de projets dans les pays en développement.
La Suède, qui s’attend à recevoir jusqu’à 190 000 demandeurs d’asile cette année, envisage d’utiliser jusqu’à 60 % de son budget d’aide étrangère en 2016 pour financer l’accueil des réfugiés.
« Cela aurait un énorme impact sur notre travail et sur nos organisations partenaires, sans aucun avertissement », a dit Gabi Björsson, secrétaire générale d’Africa Groups of Sweden, une organisation qui soutient des programmes d’atténuation de la pauvreté en Afrique méridionale.
Son organisation fait partie des quelque 20 groupes de la société civile à l’origine d’une lettre ouverte récemment adressée au gouvernement suédois et décrivant l’utilisation du budget national d’APD pour financer l’accueil des réfugiés comme « une solution à court terme qui pourrait compromettre le développement démocratique et la réduction de la pauvreté – et entraîner le déplacement forcé d’un nombre encore plus important de personnes ».
La Norvège, qui s’attend à recevoir entre 30 000 et 35 000 nouvelles demandes d’asile cette année, propose de consacrer 20 % de son budget d’APD à l’accueil des réfugiés. Si le budget est approuvé, le financement des activités de la société civile sera amputé des deux tiers d’ici la fin de l’année, selon Paul Nesse, conseiller auprès de l’ONG Norwegian Refugees Council (NRC).
« L’annonce a naturellement provoqué un tollé au sein de la société civile et de la communauté des ONG. C’est normal, car il s’agit d’un changement radical », a-t-il dit à IRIN. « Nous n’avons cependant pas connu une augmentation aussi marquée [du nombre de réfugiés] qu’en Suède et notre économie est très forte. Nous ne voyons donc pas ce qui justifie l’adoption de cette mesure. »
Le Royaume-Uni a été relativement épargné par la crise des réfugiés. Le pays n’a connu qu’une légère augmentation du nombre de demandes d’asile par rapport à l’an dernier. Or, en septembre, le premier ministre David Cameron a annoncé que le pays accueillerait 20 000 réfugiés syriens supplémentaires au cours des cinq prochaines années et le chancelier de l’Échiquier George Osborne a dit que le coût de l’accueil des nouveaux réfugiés serait financé par le budget d’aide étrangère britannique.
Le secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon a signalé qu’il était « contre-productif » de réaffecter l’aide au développement au financement de l’accueil des réfugiés et des demandeurs d’asile.
« On ne devrait pas prendre les ressources d’un secteur pour les donner à un autre », a dit son porte-parole, Stephane Dujarric. « L’utilisation des fonds d’aide au développement à d’autres fins pourrait, en ce moment crucial, perpétuer certains problèmes auxquels la communauté mondiale s’est engagée à répondre. »
Mme Björsson, d’Africa Groups of Sweden, a dit que les décisions prises par les gouvernements d’utiliser les budgets d’aide étrangère au lieu de répartir le coût de l’accueil des réfugiés entre plusieurs budgets étaient politiques et qu’elles avaient pour objectif d’éviter « une grosse discussion de société ».
Alors que l’influence des partis de droite anti-migration s’accroît un peu partout en Europe, « les partis traditionnels ont trop peur pour entamer cette discussion », a-t-elle dit.
Les fonds d’affectation spéciale sont-ils une solution ?
La crise des réfugiés européenne a un autre impact, moins évident, sur la façon dont les États membres gèrent leurs dépenses d’aide étrangère. Au cours de la dernière année, l’UE a créé deux fonds ayant l’objectif double de stimuler le développement et de juguler la migration illégale vers l’Europe.
Le fonds régional d’affectation spéciale de l’UE en réponse à la crise syrienne, mis en place en décembre 2014, et le fonds d’affectation spéciale d’urgence pour l’Afrique, officiellement créé il y a deux semaines lors du sommet de La Valette sur la migration, ont été établis grâce à une généreuse dotation de départ de l’UE que les États membres ont promis d’égaler. Il est fort probable qu’ils puisent dans leur budget d’APD pour financer leur contribution, et ce, même si on ignore encore quelle part des fonds d’affectation spéciale sera consacrée au développement et quelle part sera allouée aux mesures de contrôle des migrants.
Le fonds d’affectation spéciale d’urgence pour l’Afrique a pour objectifs « de s’attaquer aux causes profondes d’instabilité, de déplacements forcés de populations et de migration illégale, en encourageant les opportunités économiques, l’égalité des chances, la sécurité et le développement ».
Des critiques ont déjà signalé que le fonds d’affectation spéciale pourrait, vu ses objectifs ambigus, avoir pour effet de détourner les flux d’aide étrangère des pays les plus pauvres vers les pays à moyen revenu, d’où viennent de nombreux migrants.
L’UE a puisé dans son propre fonds de développement pour aider à doter le fonds de 1,8 milliard d’euros. Jusqu’à présent, les États membres ont promis seulement 81 millions d’euros à eux tous. La contribution la plus importante – 15 millions d’euros – vient des Pays-Bas, l’un des pays qui consacrent déjà près de 20 % de son budget d’aide au financement de l’accueil des réfugiés. Selon Paul van den Berg, un conseiller politique auprès de Cordaid, une organisation néerlandaise, cet argent était déjà affecté au financement de programmes de développement en Afrique subsaharienne.
« C’est un beau geste, mais ce n’est pas nécessairement une bonne approche », a dit M. van den Berg, qui se demande comment l’argent sera utilisé. « L’objectif réel est-il de venir en aide aux pays africains ou de protéger les intérêts de l’UE ? »
Le fonds d’affectation spéciale mis en place en réponse à la crise syrienne est moins controversé. Il a pour objectif de soutenir les pays voisins de la Syrie, qui accueillent la vaste majorité des réfugiés. Il risque toutefois d’être bientôt utilisé pour verser quelque 3 milliards d’euros d’aide à la Turquie.
Au cours des derniers mois, la Turquie est devenue le principal pays de transit pour les migrants et les réfugiés qui tentent d’atteindre l’Europe. En vertu de l’accord que l’UE est en train de conclure avec Ankara, la Turquie devra assouplir ses restrictions envers les Syriens qui vivent sur son territoire, mais aussi sévir contre les réseaux de passeurs qui opèrent entre le littoral turc et les côtes grecques et accepter des migrants en situation irrégulière rapatriés depuis l’Europe.
Les États membres se sont jusqu’à présent engagés à verser un peu moins de 50 millions d’euros, une somme qui vient s’ajouter à la contribution de 500 millions d’euros de l’UE, mais David Cameron a récemment promis de débourser 400 millions d’euros – qu’il puisera sans doute dans le budget d’aide du Royaume-Uni – au cours des deux prochaines années.
Selon David Khoudour, chef de l’Unité Migration et Compétences de l’OCDE, le versement d’une aide au développement aux principaux pays de transit pour la migration vers l’Europe est devenu une façon d’« externaliser le contrôle des frontières ».
« Nous prétendons qu’il s’agit d’un fonds pour le développement, mais ce n’est pas réellement le cas », a-t-il dit à IRIN.
D’après M. Khoudour, cette approche, en plus de détourner l’aide des pays qui en ont le plus besoin, est tout simplement contre-productive. Il a signalé que l’aide étrangère avait des impacts positifs sur le développement qui, parfois, stimulent la migration au lieu de la réduire. « L’augmentation de l’aide se traduit par une augmentation du développement et cela signifie, dans certains cas, que les gens ont plus d’argent pour migrer. C’est contre-intuitif, mais c’est la réalité », a-t-il dit à IRIN.
« On a tort d’assumer que de donner beaucoup d’argent aux pays contribue à prévenir les migrations. »
Source : IRIN News
Le point de vue dans cet article est celui de son auteur et ne reflète pas nécessairement celui d’Epoch Times.
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