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Les réseaux de gaz intelligents sauveront-ils le gaz ?

novembre 15, 2018 14:12, Last Updated: novembre 15, 2018 14:12
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À travers la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) – qui devrait être présentée d’ici décembre 2018 – la France s’apprête à fixer des choix déterminants en matière de politique énergétique pour la période 2018-2028. L’objectif principal la PPE visant à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.

Outre la place de l’énergie nucléaire, l’une des thématiques centrales qui a animé les débats publics de la PPE en 2018 portait sur le rôle du gaz et la complémentarité des énergies.

La pertinence du gaz remise en cause

Actuellement, la consommation d’énergie primaire en France est composée à 40 % de production nucléaire, 29 % de pétrole, 16 % de gaz naturel, 11 % d’énergies renouvelables (hydraulique, photovoltaïque, éolien, biomasse, etc.) et 4 % de charbon. Il existe donc un fort potentiel – plus de 49 % – d’énergie primaire à décarboner.

Le gaz a longtemps été vu comme l’énergie fossile qui permettrait d’accompagner la transition vers un système énergétique décarboné. Mais son extraction reste délicate : aux Pays-Bas, des tremblements de terre causés par cette extraction ont incité les autorités à réduire leur dépendance à cette énergie. Le gouvernement néerlandais envisage d’arrêter d’utiliser du gaz naturel d’ici à 2050.

Or le gaz naturel, carboné, représente aujourd’hui 99 % du gaz consommé en France : sa pertinence pour accompagner la transition vers un système énergétique décarboné est donc remise en question. Les acteurs du secteur gaziers misent donc sur la diffusion du gaz vert, renouvelable, qui représente actuellement moins de 1 % de la consommation sur le territoire français.

Pour Dominique Auverlot et Étienne Beeker, experts de France Stratégie, le recours au gaz dans le mix énergétique français doit être questionné, soulignent-ils dans leur dernière note d’analyse. Ils préconisent d’en restreindre au maximum l’usage.

Pour le secteur gazier français, la publication de la PPE est donc très attendue : elle pourrait annoncer le déclin de l’utilisation de cette énergie ou son maintien dans le bouquet énergétique français.

L’avenir du gaz, les réseaux intelligents ?

Pour légitimer le gaz comme vecteur majeur de la transition énergétique, le secteur gazier tente de se réinventer pour devenir plus « propre ». De même que pour l’électricité, le gaz cherche à se structurer en un « réseau intelligent » (ou smart grid) : soit un réseau de distribution d’énergie qui favorise la circulation d’informations entre les fournisseurs et les consommateurs pour une gestion plus efficace.

Le concept de réseaux de gaz intelligents a initialement été mis en avant par GRDF et GRTGaz en 2017. Il est désormais accepté par la plupart des acteurs du secteur, qui s’accordent sur ses grandes caractéristiques.

Dans ce réseau, le gaz est d’abord produit localement, à partir de ressources renouvelables. Une récente étude de l’Ademe suggère par exemple qu’il est théoriquement possible d’obtenir un gaz 100 % renouvelable à l’horizon 2050.

Selon cette étude, le mix de gaz serait composé à 30 % de méthanisation – transformation de déchets organiques en biogaz ; à 40 % de pyrogazéification – gaz créé à partir du bois ; enfin, à 30 % de conversion des surplus d’électricité.

Ce réseau intelligent offre par ailleurs aux autres acteurs du secteur de l’énergie (électrique notamment) une complémentarité pour faciliter l’intégration des énergies renouvelables intermittentes.

Les réseaux de gaz intelligents intégreront enfin de nouvelles technologies – avec les compteurs de gaz communicants Gazpar, cousins des compteurs électriques Linky – qui doivent permettre au gestionnaire de réseau de le piloter efficacement et de réduire ses coûts d’exploitation et de maintenance.

Réduire de 80 % les émissions

Pour devenir réalité, les réseaux de gaz intelligents requièrent d’importants investissements] ; l’ampleur de leur mise en œuvre dépendra aussi de l’évolution du contexte réglementaire et du montant des subventions qui leur seront accordées.

Pour s’assurer le soutien des régulateurs, les gaziers avancent trois grands arguments.

D’une part, passer d’un gaz naturel à un gaz issu de sources d’énergie renouvelable et produit localement : cela permettrait de réduire fortement les importations énergétiques (provenant de Norvège, Russie, Pays-Bas et Algérie) et aurait un effet très positif sur la balance commerciale et l’indépendance énergétique de la France.

D’un point de vue environnemental, les émissions de gaz à effet de serre seraient réduites jusqu’à 80 %. Selon l’étude de l’Ademe, la substitution du gaz naturel par du biométhane réduirait les émissions de 188 grammes de CO2 pour chaque KWh produit.

D’autre part, le gaz serait complémentaire de l’électricité pour faciliter la décarbonation du mix énergétique : passer à un mix 100 % électrique avec une électricité produite de plus en plus intermittente – l’éolien et le solaire étant tributaires de la météo – est un pari hasardeux, tant sur le plan technique qu’économique.

Le gaz propose une solution de stockage inter-saisonnier qui viendrait en soutien du réseau électrique lorsque celui-ci est tendu.

En été, grâce à une consommation d’énergie plus faible et au déploiement des énergies renouvelables, il y aura probablement des périodes de production excédentaire d’électricité renouvelable – photovoltaïque et éolien. Cet excédent ne pourra pas être injecté sur le réseau électrique, déjà saturé : sa transformation en gaz, injecté ensuite dans les réseaux, permettra donc de valoriser des excédents d’électricité. En hiver, ce stock de gaz pourra venir en soutien du réseau électrique au moment des pics de consommation.

Enfin, le gaz fournirait des services à d’autres secteurs : dans l’agriculture, la production de biomasse pour le gaz vert offrirait une source de revenus supplémentaire aux agriculteurs. Dans le transport, le déploiement du gaz naturel vert permettrait de décarboner le parc de véhicules routiers de marchandises, pour lequel le tout électrique ne semble pas pertinent en raison de sa faible autonomie.

Complémentarité entre les réseaux énergétiques

Selon les acteurs gaziers, un réseau 100 % électrique souffrirait de son incapacité à stocker de l’énergie en grandes quantités, de manière économiquement viable. Ils estiment que le secteur électrique aura besoin de la flexibilité d’autres énergies stockables, comme le gaz.

Les gaziers appellent à prioriser les énergies en fonction des usages. Plutôt que de viser le tout électrique, ils préconisent de dédier cette énergie aux nouvelles utilisations, tels que la mobilité électrique, et de privilégier l’utilisation du gaz pour le chauffage ou le transport de marchandises.

Il est toutefois fort probable que certains fournisseurs d’électricité soient réticents : la stratégie d’EDF, par exemple, repose sur une complémentarité nucléaire – énergie renouvelable au sein de laquelle le gaz renouvelable n’a pas sa place.

Un modèle économique à définir

Du point de vue technologique, la complémentarité des réseaux est faisable, mais le modèle économique reste encore à définir.

Les gaziers mettent en avant les bienfaits de la complémentarité et les différents services rendus – stockage, investissements évités sur le réseau électrique, décarbonation du secteur du transport de marchandise – par les réseaux de gaz intelligents qui, pris séparément, ne sont pas profitables.

Le gaz renouvelable aurait en effet un coût – production, réseau et stockage – compris entre 105 et 150€/MWh en fonction de la méthode de production ; c’est bien supérieur à celui du gaz naturel, mais comparable à celui d’une électricité 100 % renouvelable – 120 à 130€/MWh –, et à celui des nouvelles centrales nucléaires. L’électricité produite par les deux EPR d’Hinkley Point C en Grande Bretagne sera vendue à 92,5 £/MWh soit environ 110 €/Mwh.

Outre ce coût de production, d’autres données économiques sont à considérer : la capacité de stockage des réseaux de gaz intelligents, la production de méthane synthétique et les investissements dédiés à l’extension du réseau électrique ou à la construction de nouvelles centrales qui seraient évités.

Il reste néanmoins à savoir qui paiera pour ces services rendus de flexibilité et de stockage du gaz. Les consommateurs ou les acteurs du monde électrique ? On ne connaît aujourd’hui pas la réponse.

Carine Sebi, Assistant Professor – Economics, Grenoble École de Management (GEM) et Anne-Lorène Vernay, Chargée de cours en stratégie, Grenoble École de Management (GEM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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