Les monnaies numériques de banque centrale (MNBC) ont émergé dans un contexte de montée en popularité des monnaies privées, à l’instar des cryptomonnaies ou du projet Diem de Facebook (ex Libra). En phase d’étude depuis octobre 2021, l’euro numérique est présenté comme un outil de modernisation des systèmes de paiement. Selon la Banque centrale européenne (BCE), il vise à « répondre à la demande croissante de moyens de paiement électroniques sûrs et fiables », à renforcer la « souveraineté monétaire de la zone euro », et à favoriser « la concurrence et l’efficacité dans le secteur européen des paiements ». Examinons les dernières avancées du projet.
Un moyen de contrôle de la vie privée des citoyens
La BCE déclare n’avoir aucun intérêt à « recueillir les données concernant les paiements des utilisateurs, à surveiller les comportements en matière de paiement ou à partager de telles données avec des agences gouvernementales ou d’autres institutions publiques ». À l’en croire, l’euro numérique serait « sans risque » et « respecterait la vie privée et la confidentialité des données ». Aucune précision n’est donnée sur la manière dont l’Eurosystème est censé protéger l’identité des utilisateurs, les informations relatives à chaque paiement (nature de l’achat, montant, bénéficiaire) ou les métadonnées liées à la transaction (date, heure, adresse IP de l’appareil utilisé, etc.).
Dans un rapport d’étape publié en avril sur les caractéristiques d’un portefeuille numérique, la BCE affirme pourtant que l’utilisateur devra s’identifier pour accéder aux services en euros numériques, et que les informations confidentielles pourront être communiquées aux cellules de renseignement financier « en cas de suspicion d’activité illégale ». Les intermédiaires comme les commerçants devront appliquer la règle du Know Your Customer (KYC), une réglementation européenne qui oblige à recueillir des informations personnelles dans une optique de lutte contre le blanchiment et le terrorisme. Ce qui est normalement appliqué dans des entreprises dont l’activité est jugée sensible par le régulateur (secteurs bancaire et financier) sera étendu à n’importe quelle organisation qui propose des paiements en euro numérique.
Bien que ce ne soit pas l’objectif affiché, l’euro numérique marque donc le début de la marginalisation progressive de l’argent liquide, meilleur outil pour préserver la vie privée. La BCE aura désormais accès en temps réel aux informations relatives à la nature des transactions, à leur localisation, à leur montant. Elle pourra fixer une durée limitée de l’utilisation de la monnaie, voire imposer des quotas d’utilisations conformément aux politiques d’inspiration écologiste (interdiction de certains achats au-delà de la limite autorisée d’émissions de CO2).
Le cas du yuan numérique : comment accroître la censure financière
État pionnier de la MNBC, la Chine illustre parfaitement le risque de dérives autoritaires. En théorie, le yuan numérique était censé réduire le blanchiment d’argent, la corruption et le financement du terrorisme, tout en améliorant l’efficacité des transactions financières. En pratique, il a permis à la Banque populaire de Chine (BPC) de bloquer son utilisation dans les entreprises ayant eu des positions critiques sur le travail forcé. Le yuan numérique est aussi un moyen de court-circuiter les géants du numérique : la grande majorité des transactions électroniques ont lieu sur des applications gérées par des entreprises privées (Alipay, WeChat Pay), dont les frais sont moindres par rapport aux banques traditionnelles. En janvier dernier, la BPC a ainsi lancé une application sur Apple et Android afin de payer en yuan numérique dans une douzaine de villes.
La création d’une MNBC risque d’accroître la dépendance à l’égard des banques centrales, de court-circuiter les banques commerciales (impression monétaire, taux d’intérêt, etc.) et de bloquer les transactions sous des motifs arbitraires. Une initiative similaire en Europe devrait soulever les questions suivantes : quelles améliorations l’euro numérique est-il censé apporter dans la vie des citoyens ? La phase d’étude de l’Eurosystème évoque la possibilité de payer par le biais d’une technologie sans contact, de QR codes ou de portefeuilles numériques, mais cela existe déjà grâce à des services de paiement comme Google Pay. Alors quel intérêt, si ce n’est accroître la censure financière ?
Article écrit par Élodie Messéant. Publié avec l’aimable autorisation de l’IREF.
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