Loi Budget 2025 : « Beaucoup de chefs de grandes entreprises se posent la question de quitter la France », d’après le président de l’IREF Jean-Philippe Delsol

Par David Vives
22 octobre 2024 21:54 Mis à jour: 22 octobre 2024 21:54

ENTRETIEN – La Commission des Finances a établi un ensemble de dispositifs pour lutter contre le déficit colossal de la dette publique. De nouvelles dispositions qui vont directement toucher au pouvoir d’achat des Français sur une large assiette de la population. D’après l’avocat fiscaliste et président de l’Institut de Recherche Économique et Fiscal Jean-Philippe Delsol, le projet actuel pourrait avoir des conséquences catastrophiques sur l’économie française, qu’il entend pourtant réparer.

Epoch Times : Quelles perspectives ou conséquences auront un nouvel ensemble de taxes, tel qu’il se prépare actuellement ? 

Jean-Philippe Delsol: Pour le moment, nous sommes dans un projet. Mais M. Barnier a ouvert une boîte de Pandore. Qui sait ce qu’il en sortira ? Peut être des serpents. Pour l’instant, les mesures proposées sont encore modestes, souvent nuisibles, mais pas catastrophiques au sens complet du terme. Il est d’ailleurs inquiétant de constater que l’extrême gauche, une partie du centre, et même le parti de Marine Le Pen, se sont emparés de ces textes, les ont déformés pour les rendre véritablement très dangereux pour notre économie et pour les Français.

Ainsi, beaucoup de chefs d’entreprise, de grandes entreprises, se posent de plus en plus la question de quitter la France. Une question déjà apparue en juin-juillet, qui revient, et qui est désormais posée. Ce qui peut en découler pourrait énormément nuire à notre économie, mais aussi à notre souveraineté.

Au demeurant, il faut prendre en compte d’autres déclencheurs aux questionnements d’un certain nombre de chefs d’entreprise de rester en France ou de la quitter. D’une manière générale, le climat est extrêmement pesant. On entend cette haine contre les riches dans les mots de certains responsables politiques, qui devient parfois insupportable.  Et je dois le dire, c’est souvent l’une des raisons et parfois la raison déterminante de leur transfert de domicile à l’étranger. Et donc, il y a plusieurs conséquences directes. Un transfert d’un patrimoine ainsi que d’un certain volume de dépenses à l’étranger, c’est déjà une perte pour la France. Mais souvent, c’est aussi le flux de richesse de production. C’est-à-dire qu’avec eux ils transportent aussi tout ou partie de leur entreprise. Les prochaines filiales, les grandes usines, peut être la construction d’une holding, tout cela sera créé à l’étranger. Et tout cela c’est de la richesse qui finalement fuit la France.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, en réalité, ces mesures sont imbéciles parce qu’on multiplie les impôts pour taxer les riches, mais on fait fuir les riches, ce qui va réduire le produit de l’impôt. En réalité, l’État scie la branche sur laquelle il est assis. Il n’y a pas seulement l’exit fiscal, il y a des lois qui entravent la transmission des entreprises avec un alourdissement des contraintes qui pèsent sur ce qu’on appelle chez nous le Pacte Dutreil, une mesure qui favorise la transmission d’entreprise qui va devenir comme une sorte de peau de chagrin.

Est-il possible pour l’État de résoudre le problème du gouffre de la dette publique par des taxes ? Ou même de régler une partie du problème avec ce recours ?

La première année, le gouvernement va récolter un peu d’argent. Parce que les contribuables assujettis par les nouvelles lois sur les revenus prendront effet de façon rétroactive, depuis le 1er janvier de l’année en cours. Ils seront rattrapés par ces hausses d’impôts. L’année suivante, le gouvernement recevra un peu moins, car les gens vont s’organiser.

On compte actuellement 130 amendements, je vais prendre un seul exemple. Il y a en France depuis 5 ans maintenant une disposition qui a été très favorable à l’investissement. Il s’agit d’une double disposition, un abaissement de l’impôt sur les sociétés sur les bénéfices de société à 25% -il était de 33% avant, et d’autre part une taxe forfaitaire avec un taux unique de 30% sur les distributions de bénéfices.

Ces deux dispositions qui ont incontestablement favorisé une sorte de redressement du chômage, elles ont contribué à stabiliser la croissance. Elles sont aujourd’hui remises en cause. L’impôt unique sur les revenus mobiliers, sur les dividendes et autres, qui était de 30%, passerait d’ores et déjà à 33%. C’est peu, mais c’est un signal déclencheur de l’hostilité à l’encouragement au bénéfice, c’est-à-dire au succès d’entreprises. Et parallèlement, les impôts sur les bénéfices des sociétés qui étaient de 25% seraient rehaussés à un peu plus de 30% pour les entreprises qui font de 1 à 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires et à un peu plus de 35% pour les entreprises qui font plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Cela revient à pénaliser les entreprises qui ont réussi, c’est une bêtise.

Certains économistes ont qualifié l’ensemble de mesures préconisées de « retour au communisme ». L’argument d’une soviétisation de l’économie française est-il pertinent ?

C’est un débat éternel. Je ne suis pas sûr qu’il existe un seuil déterminé. Depuis des décennies, la France est dans une économie qui se collectivise. L’État français fait transitionner par lui une majorité des flux financiers. Et les dépenses publiques en France, selon les statistiques européennes, sont à hauteur de 58% du PIB. C’est-à-dire que plus de 58% de la richesse française n’est pas produite mais « tamisée » : elle passe par les mains de l’État qui prend et qui redistribue.

Or, l’État est un mauvais gestionnaire, ce n’est pas lui qui innove, qui prend des risques, qui prévoit. La vision qu’a l’État de sa gestion de l’argent public est à l’image de sa vision politique. Car ce sont des hommes politiques qui le dirigent, avec des objectifs tels que s’assurer d’être réélus. Mais c’est le cas plus général de nos démocraties européennes. Nous avons une société qui est déjà collectivisée, ce qui explique notre faible taux de croissance.

Dans votre ouvrage publié en début de mois, Libéral ou conservateur Pourquoi pas les deux ?, vous réconciliez deux visions de l’économie souvent opposée, le libéralisme (libre-échange, économie de marché) et le conservatisme (protectionnisme et souveraineté économique).  Comment ce mariage est-il possible ?

J’entends conservatisme au sens continental, traditionnellement celui des Whigs d’Angleterre. Ces deux termes extrêmement ouverts dans leur définition sont souvent opposés. Or, ils partagent beaucoup de choses. Ces doctrines sont toutes deux attachées à la singularité de l’homme. Ils reconnaissent que la politique et la société sont faites pour les individus et non pas l’inverse.

L’idée est que si on ne laisse pas la liberté aux individus, on en fait finalement des marionnettes au service des autres. Je crois que l’homme est fondamentalement, profondément né pour accomplir son propre destin, donc réaliser ses propres fins. 

Selon les mots du grand philosophe Emmanuel Kant, l’Homme est toujours une fin et jamais un moyen. Tout ce qui existe est au service de la dignité de l’homme, c’est une vue plus philosophique que politique. Cela pourrait cependant être traduit en politique pour établir la dignité de l’homme. Je crois en une politique qui peut se faire à la charnière du libéralisme et du conservatisme , dans la reconnaissance de la responsabilité humaine et dans la reconnaissance de sa liberté.  Il n’y a pas de liberté et de dignité sans propriété, et cela participe à accomplir la fin de chacun, c’est-à-dire l’exercice de sa dignité.

Concrètement, l’échange, le commerce international est fait de réciprocité. Quand on élève des barrières dans un pays contre un autre, ce dernier en élèvera en réponse. C’est un risque de conflit perpétuel. D’autre part, les entreprises qui se protègent à l’intérieur d’un territoire donné par des barrières de souveraineté finissent par perdre en concurrence. Elles font des profits dans un premier temps, elles ont moins de concurrents, cela est plus facile de vendre leurs produits. Mais dans un second temps, à défaut d’incitations externes, elles peuvent s’enfoncer dans la facilité, et perdre en qualité et en productivité. Et un jour si ces barrières tombent, elles risquent d’être perdues.

Je crois fondamentalement qu’aujourd’hui, les hommes politiques ne reviennent pas suffisamment aux sources de la politique. Ils s’occupent de petites choses, se perdent dans des détails, s’invectivent les uns les autres… mais ne réfléchissent jamais à la finalité de leur action. Je crois qu’il nous faudrait faire un peu de philosophie, revenir aux sources de ce que sont nos sociétés, et retrouver ces racines communes qu’ont le libéralisme et le conservatisme.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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