En cours de discussion au Parlement européen, le Media Freedom Act, la loi pour la liberté des médias, pourrait bientôt octroyer aux États membres de l’UE le droit de pouvoir surveiller les journalistes. Une mesure pour laquelle la France a exercé un puissant lobbying.
Cette législation fait peser de graves risques sur la liberté de la presse, la liberté d’expression et la protection des journalistes », ont dénoncé lundi, 65 organisations européennes de journalistes et de la société civile dans une lettre aux représentants des États membres.
« Extrêmement préoccupant »
« Si nous soutenons de nombreuses mesures portées par le Media Freedom Act, il demeure un point noir : son article 4. Il est consacré à la protection des journalistes et de leurs sources. Le projet de la Commission n’était pas parfait, mais, après les dernières négociations, il a été encore plus dégradé. C’est extrêmement préoccupant », alerte Renate Schroeder, de la Fédération européenne des journalistes, l’une des signataires de la lettre.
Présenté le 16 septembre 2022 par la vice-présidente de la Commission européenne, Vera Jourova, et le commissaire au marché intérieur, Thierry Breton, ce projet de loi, dans sa version initiale, prévoyait notamment le renforcement de l’indépendance des médias, la lutte contre leur concentration dans l’espace communautaire ou encore de « solides garde-fous pour empêcher l’utilisation de logiciels espions contre les médias, les journalistes et leurs familles ». Si des associations de journalistes avaient alors apporté leur soutien à ce texte, d’autres organisations d’éditeurs européens avaient déjà fustigé son caractère intrusif.
Mais mercredi 21 juin, les désaccords autour de cette proposition de règlement ont pris un nouveau tournant, puisque, désormais, celle-ci « légalisera l’utilisation de logiciels espions contre les journalistes » de façon à identifier leurs sources au nom de la sécurité nationale, s’inquiètent dans leurs lettres les ONG. Une possibilité qui était déjà prévue par la Commission dans sa première version, mais « au cas par cas ». Depuis, le texte a été largement révisé par la France, rapportent Investigate Europe, Netzpolitik et Follow the Money, qui ont pu se procurer les procès-verbaux des négociations et un document de négociation.
L’espionnage des journalistes décidé « sur la seule base du pouvoir discrétionnaire des États membres »
Si le fameux article 4 avait vocation à protéger les médias, les journalistes et leurs proches contre la surveillance, une pratique qui s’est fortement développé au cours des dernières, selon le rapport de la commission d’enquête du Parlement européen sur l’usage de ces « spywares », un nouvel alinéa, à l’initiative de la France qui a fait pression sur le Conseil de l’Europe, est venu le neutraliser : « Le présent article est sans préjudice de la responsabilité des États membres en matière de sauvegarde de la sécurité nationale », a-t-il été rajouté.
« C’est la porte ouverte à toutes sortes d’abus, car c’est toujours au nom de la sécurité nationale qu’on viole les libertés », met en garde Julie Majerczak, représentante de Reporters sans frontières auprès de l’UE. Et d’ajouter : « C’est d’autant plus dangereux que dans sa position, la France revendique la sécurité comme une compétence exclusive des États, à leur discrétion. Les affaires Pegasus ou Predator en Grèce [des dizaines de journalistes et d’opposants politiques ont été mis sur écoute avec un logiciel du même type, ndlr] montrent pourtant que sans garde-fous, on ouvre une boîte de Pandore ». Ce nouvel alinéa pourrait également décourager les potentiels lanceurs d’alertes à prendre attache auprès des journalistes.
Pour les ONG, « avec ce texte, le Conseil affaiblit les garanties contre le déploiement de logiciels espions et encourage également fortement leur utilisation sur la seule base du pouvoir discrétionnaire des États membres ».
Cette législation doit maintenant être étudiée par la Commission des libertés civiles (LIBE) du Parlement, avant les discussions en trilogue dont le démarrage est prévu au mois de septembre. Dans l’attente, la nouvelle version de ce texte a tout de même été saluée par la Commission européenne, qui espère voir ce projet de loi bientôt promulgué par le Parlement : « J’espère que le Parlement va pouvoir travailler rapidement et que nous aurons un accord final très prochainement », a ainsi fait savoir Mme Jourova.
Quoi qu’il en soit, cette mesure ne manque pas de susciter des craintes en matière de nouvelles atteintes à la liberté et à la vie privée dans la continuité de nouvelles législations inquiétantes. Plus tôt ce mois-ci en France, le 7 juin, les sénateurs ont adopté le très controversé article 3 du projet de loi « Orientation et programmation du ministère de la Justice 2023-2027 », qui autorise la police à activer la caméra ou le micro de n’importe quel appareil électronique pour écouter ou filmer en temps réel son propriétaire à son insu. Une disposition qui doit toutefois encore être examinée à l’Assemblée nationale.
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