Plus d’un an après l’expulsion de la Russie du Conseil de l’Europe, plusieurs dizaines de citoyens russes continuent de travailler au sein de l’institution, au grand dam de l’Ukraine.
Les 46 pays membres du Conseil de l’Europe, vigie des droits de l’Homme sur le continent, se réunissent mardi à Reykjavik, pour un sommet largement consacré à la guerre en Ukraine. Le 16 mars 2022, le Conseil de l’Europe a décidé d’expulser la Russie, trois semaines après le début de l’invasion russe de l’Ukraine. La décision, sans précédent, pose la question du devenir du personnel russe qui travaille au sein de l’instance, dont le siège est à Strasbourg.
Le maintien d’employés russes : « intolérable »
Pour l’Ukraine, qui figure parmi les 46 États membres, la solution est évidente : les ressortissants russes ne peuvent pas continuer à travailler au sein de l’institution. « Leur présence sape la crédibilité et la sécurité de cette organisation internationale », s’agace auprès de l’AFP le représentant permanent adjoint de l’Ukraine, Viktor Nikitiuk. « Nous souhaitons que seuls les ressortissants des États membres travaillent au sein de l’institution. En tant qu’Ukrainien, jamais je ne prétendrais travailler pour l’Union européenne ou l’Otan », deux organisations dont Kiev n’est pas membre.
Cette position est partagée par une douzaine de pays, à l’image de l’Estonie ou de la Lettonie, qui ont jugé « intolérable » le maintien d’employés russes dans les différents services du Conseil de l’Europe, où travaillent plus de deux mille personnes. « Il y a une vulnérabilité au sein de l’organisation », analyse un diplomate. « On ne peut pas être sûr que des informations ne seront pas transmises clandestinement, et on ne sait pas le mal que ça pourrait causer ».
Non renouvellement des CDD mais maintien des CDI
Mais le Secrétariat général, craignant notamment des répercussions judiciaires à d’éventuels licenciements, a fait un choix intermédiaire : concernant les salariés russes sous contrat à durée déterminée, leurs contrats ne sont pas renouvelés. Cette politique a été validée en mars par le tribunal administratif international, qui a été saisi d’un recours pour « discrimination » par quatre juristes russes non titularisés. « La condition selon laquelle seuls les individus possédant la nationalité d’un État membre peuvent devenir membres du personnel d’une organisation intergouvernementale est largement répandue dans le domaine de la fonction publique internationale », rappelle le tribunal, qui a rejeté les recours.
Mais s’agissant des employés russes en contrat à durée indéterminée, le Conseil de l’Europe a décidé de les maintenir en poste, parfois à des responsabilités importantes. Au total, 90 russes continuaient d’exercer leurs fonctions au 1er janvier. Ce chiffre a pu diminuer depuis, dans des proportions variables selon les sources, mais reste dans tous les cas supérieur à 40. Sollicitée, l’organisation n’a pas souhaité répondre aux questions, précisant simplement que ses salariés « sont tenus de respecter les normes les plus élevées d’intégrité professionnelle et personnelle ».
Cette politique de ressources humaines a pu donner lieu à des situations étranges : en novembre, la Secrétaire générale du Conseil de l’Europe, Marija Pejčinović Burić, rencontrait officiellement Sviatlana Tsikhanouskaya, représentante de l’opposition démocratique biélorusse. Entre les deux femmes a pris place le Russe Alexandre Guessel, alors directeur des Affaires politiques du Conseil de l’Europe, l’un des plus hauts postes de l’organisation.
Des réaffectations problématiques
Pour éviter de renouveler de tels impairs, certains employés russes ont été réaffectés. En janvier, M. Guessel est ainsi devenu représentant spécial sur les crimes antisémites, un poste moins exposé. De même en mars, le Russe Igor Nebyvaev, dont le père est un ancien général des services secrets russes selon le journal allemand Bild, a dû quitter son poste de secrétaire exécutif de Moneyval, l’instance chargée de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, pour des fonctions moins stratégiques. « Il y a eu six ou sept personnes qui ont été remplacées et c’est une bonne chose », souligne un diplomate. « Mais d’un autre côté, si l’inquiétude est liée à la personne, alors cette inquiétude n’a pas disparu. Déplacer une personne d’un poste à un autre ne résout pas le problème ».
Une double nationalité facilitant le maintien
Le maintien des salariés russes a été facilité par le fait que ces derniers disposent en général d’une double nationalité, française le plus souvent, de par leur présence sur le territoire depuis plusieurs années. Selon plusieurs sources, ces diplomates ont été basculés du quota d’employés de la Russie vers le quota du pays de leur seconde nationalité. Cette situation accentue le déséquilibre du nombre de ressortissants de chaque État membre employés au Conseil de l’Europe : la France, déjà surreprésentée, accroît ses effectifs, au détriment d’autres nations, et au détriment de ses propres ressortissants employés sous contrat à durée déterminée, qui voient s’éloigner la perspective d’une titularisation. Sollicité, le Quai d’Orsay n’a pas répondu aux questions de l’AFP.
Pour démêler le problème, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a exigé en mars que la Secrétaire générale mène une analyse de risque sur chaque ressortissant russe au sein de l’organisation, notamment sur « les risques de pression externe exercée sur les agents ». Un bilan est attendu le 1er juillet.
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