ENTRETIEN – L’ancien secrétaire d’État chargé de l’Outre-mer et ancien député Yves Jégo, auteur de nombreux ouvrages, en dernier lieu : C’est où la France ? – Plaidoyer pour la France du monde (Éditions du Net, 2025) analyse pour Epoch Times la situation à Mayotte.
Epoch Times : En tant qu’ancien secrétaire d’État chargé de l’Outre-mer, comment avez-vous vécu le drame du passage du cyclone Chido ?
Yves Jégo : C’est douloureux, les images étaient terribles. Je me rends très souvent à Mayotte. J’ai beaucoup de compassion pour les Mahorais face à une catastrophe qui aurait pu avoir des conséquences humaines bien plus dramatiques, mais qui révèle au fond tous les manquements et toutes les difficultés que peut connaître l’île.
Quel regard portez-vous sur la nomination en décembre de l’ancien Premier ministre socialiste Manuel Valls au poste de ministre des Outre-mer ?
Je pense que c’est très bien d’avoir un ancien Premier ministre, numéro trois du gouvernement, ministre d’État en charge des Outre-mer. Sa nomination montre l’intérêt que le gouvernement de François Bayrou porte sur les territoires ultramarins.
Cependant, au-delà de l’homme, de sa personnalité et de sa force politique, Manuel Valls va devoir maintenant incarner une vision politique et obtenir des résultats tangibles pour nos compatriotes d’Outre-mer qui attendent des politiques ambitieuses. À l’occasion de cette nomination, c’est la vision globale de la métropole vis-à-vis de ses territoires d’Outre-mer qui doit changer.
Le Premier ministre avait notamment indiqué, en déplacement à Mayotte en décembre, vouloir empêcher la reconstruction des bidonvilles, mettre en place une zone franche permettant d’exempter d’impôts les entreprises pendant cinq ans, et recenser la population. Pour vous, par quoi passe la reconstruction de l’île ?
D’abord, il y a de l’urgence : rétablir, les réseaux, l’eau, l’électricité, les transports, etc. C’est d’ailleurs tout l’objet du plan « Mayotte debout ». Ensuite, il y a ce que j’appellerais « Mayotte demain » c’est-à-dire avoir une vision à long terme, notamment en matière de reconstruction.
Cet épisode dramatique doit être l’occasion de construire de nouveaux équipements tels qu’un port en eau profonde, qui est d’ailleurs programmé, ou encore de construire un nouvel hôpital. La question des transports et de la circulation, au passage épouvantable, doit également être retravaillée.
J’appelle aussi de mes vœux à la construction d’une ville nouvelle pour loger dans des conditions dignes les populations mahoraises.
Enfin, la question du développement économique s’impose : toutes les difficultés auxquelles l’île fait face ne pourront pas être résolues si on ne projette pas un développement économique puissant et ambitieux.
L’idée d’une zone franche globale est une bonne idée pour développer l’économie mahoraise, mais il va falloir aller négocier à Bruxelles parce qu’on ne peut pas créer de zones franches sans l’accord de l’Union européenne.
Dans une tribune publiée dans Le Figaro le 5 janvier, Bruno Retailleau, Manuel Valls et Sébastien Lecornu ont affiché leur fermeté sur les questions migratoires à Mayotte et ont évoqué la nécessité de revenir sur le droit du sol sur l’île. Qu’en pensez-vous ?
Depuis vingt ans, les ministres affichent leur fermeté et rien ne change. Les Mahorais subissent les conséquences des discours creux qui ne sont suivis d’aucun acte.
Concernant le droit du sol, je ne pense pas que sa révision soit une solution pour répondre à la problématique de l’immigration clandestine.
Je rappelle que la loi dit que pour qu’un enfant devienne français quand il est né sur le sol français de parents étrangers, il faut qu’il ait vécu treize années consécutives dans ses seize premières années de vie sur le territoire français.
Par conséquent, l’idée qui consiste à dire qu’il suffirait de naître à Mayotte pour devenir français quand on a des parents étrangers est mensongère.
Je ne suis pas contre l’ouverture d’un débat sur l’immigration, mais il ne peut pas avoir lieu sans un dialogue – avec les Comores, Madagascar et les pays africains de la région des Grands Lacs qui sont la source de cette migration -, et sans un débat, en parallèle sur le développement économique, parce que tout ceci est lié.
On peut donc toujours agiter le chiffon rouge médiatique du droit du sol, mais même en le révisant à Mayotte, la question de l’immigration irrégulière restera tout aussi prégnante qu’aujourd’hui.
Vous parlez justement de dialogue avec les Comores. Le dialogue n’est-il pas aujourd’hui difficile avec Moroni ? « Depuis 1975, la gestion de cette île, c’est la France. Je ne sais donc pas par quelle magie celle-ci veut gérer un territoire et trouver les responsables de telle ou telle situation qu’il s’y produit dans un autre, ailleurs », déclarait en décembre Mamada Madi Boléro, conseiller du président comorien en réponse à des propos de Bruno Retailleau sur la lutte contre l’immigration clandestine à Mayotte.
Il y a la diplomatie de façade et la diplomatie réelle. Je me suis rendu, il y a un peu plus d’un an aux Comores pour rencontrer le président comorien ainsi que ses ministres, et je peux vous garantir qu’il y a, de leur part, une volonté de dialogue. Ce sont d’ailleurs des ministres qui sont parfaitement francophones. N’oublions pas que Marseille est la première ville d’accueil de la communauté comorienne !
Au-delà de la communication, je pense qu’un dialogue de co-développement s’impose. Il faut offrir aux Comores un projet de développement économique partagé, d’union économique. Et proposer ce même projet à Madagascar. In fine, nous devons développer une terre de France, Mayotte et deux pays francophones : les Comores d’un côté et Madagascar de l’autre.
Ces territoires ont en plus l’avantage d’être juste en face de ce que j’appelle la grande Afrique de l’Est, c’est-à-dire l’Afrique du Sud, le Mozambique, la Tanzanie et le Kenya qui sont avides de consommation et avec lesquels on peut développer des échanges économiques.
Il est donc urgent de réfléchir avec les Comores et Madagascar sur ce développement économique partagé, et à cette occasion poser sur la table la question de la régulation de l’immigration.
Dans un éditorial publié dans La lettre du Made in France en décembre, vous avez indiqué « défendre la vision d’une Dubaï à la française à Mayotte ». Pourriez-vous développer ?
Je défends la construction d’une ville nouvelle qui pourrait permettre de loger dignement ceux qui vivent légalement à Mayotte, mais aussi faire de l’île une vitrine. Comme je le disais, il y a en face de Mayotte, des pays en forte croissance qui sont très demandeurs de produits made in France.
On peut tout à fait imaginer que Mayotte devienne un peu comme Dubaï. Toutes choses n’étant pas égales par ailleurs, mais l’île pourrait devenir une vitrine internationale des savoir-faire français, notamment en matière d’urbanisme, mais aussi en matière de représentation des entreprises, des savoir-faire et des produits français.
En d’autres termes, il faut en faire une zone de tourisme économique intelligent qui pourrait faire rayonner la France et l’Europe dans un endroit où elles sont plutôt absentes.
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