Au lendemain de l’élection de Donald Trump à la tête des États-Unis, journalistes et éditorialistes en sont arrivés à la même question : comment ont-ils pu se tromper à ce point ? Durant des semaines, les experts se sont succédé dans les colonnes des journaux, tous avec l’idée que l’élection allait être serrée, mais n’émettant aucun doute sur la victoire finale d’Hillary Clinton.
À 2:52, l’expert en statistique Nate Silver, du site FiveThirtyEight, commentait la victoire du candidat républicain comme « le développement politique le plus choquant de toute sa vie ». Un peu plus tard, Margaret Sullivan, du Washington Post, blâmait la rhétorique de Trump, se plaignant que les journalistes ne le prenaient pas au sérieux : « Il nous a tellement aliénés que nous ne pouvions plus comprendre ce qui se passait devant nos yeux ».
John King, de CNN, réalisait que l’électorat n’avait pas été correctement sondé. « Nous n’avons jamais tenu une réflexion basée sur la réalité des faits », disait-il. Fox News est allé plus loin. Tucker Carlson, éditorialiste de la chaîne, pointait : « Nous devons habiter le monde dans lequel nous vivons. Les élites n’ont pas compris le pays qu’ils sont censés présider ».
Vivre dans une bulle
La formule de Carlson résume peut être le mieux la situation. En effet, la surprise de la victoire de Trump pourrait être attribuée au fait que les élites des États-Unis se sont développées loin de cette nation qui est la leur. Ce phénomène fait l’objet du livre Coming Apart, de Charles Murray, chercheur en sciences politiques. D’après lui, moins de 5% des Américains se trouvent en position dominante pour décider ce que doit être la vie du reste de la nation.
Cette élite englobe les cadres supérieurs, dirigeants d’ONG, avocats et juge des plus hauts niveaux, studios de cinémas, universitaires et chercheurs de prestige, responsables des bureaucraties fédérales, politiciens. Les éditorialistes et chefs de réseaux de télévision ne font pas exception, car ce sont eux qui décident des informations dont disposent les Américains.
Pour Murray, ce groupe de « privilégiés » appartiennent à une classe homogène, ont les mêmes goûts et partagent la même culture. Leurs revenus sont les plus élevés, leurs écoles sont les mêmes, ils se marient entre eux et partagent le même code postal.
Il apparaît en effet que ces classes vivent dans des lieux différents et sont socialement et culturellement séparés du reste du pays. Il est fort possible qu’aucun d’entre eux ne côtoie dans sa vie quotidienne les membres des classes inférieures, mis à part les chauffeurs d’Uber.
Le journaliste moyen, qui décide de quoi écrire, ne dispose pas du même revenu que les membres de cette classe, et pourtant, il s’identifie à ces normes.
Déconnectés
Pour les habitants des quartiers riches du nord de Washington D.C., les temps n’ont jamais été aussi propices. Leurs richesses, liées à la bonne santé du marché boursier, continuent de s’accumuler. Sur les plateaux des émissions de télévision, le dimanche matin, des membres de cette classe expliquaient avec une pointe d’ennui la théorie du libre marché et ses conséquences positives sur le long terme.
Malgré la solidité de leurs arguments, les habitants du centre n’ont pas la même grille de lecture. À Youngstown, dans l’Ohio, les usines qui garantissaient le revenu des classes moyennes ont été délocalisées. Dans le Colorado, les ouvriers font face à la rude concurrence des immigrés illégaux et ne disposent d’aucun soutien de la part du gouvernement.
Bien que l’image évoque un raccourci, la carte des électeurs du pays divise bel et bien Wall Street et la Silicon Valley du le centre du pays. Les côtes Est et Ouest abritant la finance, le high tech d’une part et les agglomérations de taille modeste abritant la plupart de l’industrie américaine de l’autre. Ce n’est pas un hasard si de récentes études marquaient une distanciation forte entre le fleuron technologique de la Californie et les Américains moyens qui ne bénéficiaient en aucune façon du fort enrichissement de ces élites. Pour reprendre l’exemple d’Uber, les investissements de la firme s’envolent dans le pays, mais la plupart des chauffeurs ne bénéficient d’aucune couverture ou redistribution.
Pour ces populations, la théorie du libre marché a du plomb dans l’aile. De leur point de vue, non seulement les élites ne reconnaissent pas les souffrances de la classe moyenne, mais elle les entérine. Ce sont ces personnes qui ont finalement cherché à bousculer l’establishment et ont élu Trump à la Maison Blanche.
Le temps du repenti
Les discours du candidat républicain ont largement évoqué le rôle de la corruption dans le fossé existant entre les classes supérieures et moyennes. Et effectivement, la moquette bleue du Congrès n’a jamais autant été foulée par les lobbyistes des bureaux de K Street, situés juste en face du bâtiment. Mais l’idée d’un « système corrompu » va en fait au-delà de la seule considération morale. Cela démontre que pour les gens ordinaires, ce système ne fonctionne pas.
Si les journalistes ont autant été surpris par la victoire de Trump, ce n’est pas du fait d’une corruption de leur part. C’est, plus simplement, qu’ils voient le monde avec les mêmes lunettes, les mêmes œillères que celles des élites.
Le choc a néanmoins été salutaire pour permettre à la classe supérieure de considérer l’espace qui la séparait du reste du pays. Murray est assez pessimiste à ce sujet. Il voit dans les États-Unis une identité culturelle qu’il est bien difficile de démêler.
Jim Rutenberg, du New York Times, reconnaissait comme ses pairs que les « journaux étaient largement passé à côté des événements ». Amende honorable pour le quotidien new yorkais à la célèbre devise « All the news that’s fit to print » (toutes les news qui méritent d’être publiées) : le journal a publié, et c’est une première, une lettre signée Arthur O. Sulzberger Jr. à destination de ses collaborateurs.
Une fois n’est pas coutume, le texte présente les repentis du directeur. « Nous ne pouvons accomplir notre devoir de journalisme indépendant et original, celui sur lequel nous avons fondé notre réputation sans la loyauté de nos lecteurs. Nous couvrirons les politiques et l’agenda [de Donald Trump] de façon correcte. Nous apporterons les analyses de nos experts avec des commentaires pertinents tout en rapportant les changements du gouvernement et leurs conséquences sur le terrain », a-t-il écrit dans sa lettre.
« Les hommes et femmes oubliées de ce pays ne le seront plus jamais. Nous allons tous nous unir comme nous ne l’avons jamais été », a prononcé Trump lors de son discours d’investiture. Il sera bien difficile à la classe d’élites de faire son mea culpa sans abonder dans le sens des paroles de leur nouveau président.
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