Un projet de loi européen destiné à protéger la liberté des médias a passé une première étape cruciale mercredi, avec un accord entre États membres, mais les dispositions laissant la porte ouverte à l’espionnage de journalistes au nom de la « sécurité nationale » suscitent l’inquiétude.
Ce texte prévoit une série de mesures pour défendre le pluralisme et l’indépendance des médias face aux « menaces croissantes, internes et externes à l’UE », a souligné la ministre suédoise de la Culture, Parisa Liljestrand, dont le pays exerce la présidence semestrielle du Conseil de l’UE. Lors d’une réunion des ambassadeurs des 27, seules la Pologne et la Hongrie, pays régulièrement épinglés pour la mainmise du pouvoir sur les médias, ont voté contre le texte qui contient des exigences de transparence sur la propriété des médias et sur l’attribution de la publicité d’État.
Le règlement porte aussi sur le respect du secret des sources journalistiques par les gouvernements, et sur l’interdiction de déployer des logiciels espions dans les appareils utilisés par les journalistes. Des pratiques d’espionnage qui ont récemment touché plusieurs pays d’Europe, dont la Hongrie, la Pologne ou la Grèce. Mais par rapport à la proposition initiale présentée par la Commission européenne en septembre, le compromis agréé mercredi élargit les possibilités d’exception et insiste sur la « responsabilité des États membres dans la protection de la sécurité nationale ». Ces exceptions ont été apportées à la demande de la France, soutenue par plusieurs pays. Des dispositions dénoncées par Reporters sans frontières (RSF). « La possibilité de surveiller les journalistes au nom de la sécurité nationale est la porte ouverte à tous les abus », a souligné Julie Majerczak, directrice du bureau de RSF à Bruxelles.
La Fédération européenne des journalistes (FEJ), regroupant 71 syndicats et associations professionnelles dans 45 pays, a aussi fustigé un « coup porté à la liberté des médias ». « L’ajout d’une exemption basée sur la sécurité nationale (…) met les journalistes encore plus en danger et crée un effet dissuasif sur les lanceurs d’alerte et autres sources », a déclaré à l’AFP Renate Schroeder, directrice de la FEJ. Du côté de l’exécutif européen, on se réjouit de voir tout de même avancer un texte qui au départ cristallisait diverses oppositions.
Un pas en avant
La vice-présidente de la Commission européenne, Vera Jourova, a salué l’accord des États membres comme « un important pas en avant vers de premières règles européennes pour protéger le pluralisme et la liberté des médias ».
Le texte devra encore faire l’objet de négociations avec le Parlement européen, une fois que les eurodéputés se seront mis d’accord sur leur position à l’automne. Parmi les autres sujets controversés en discussion figure aussi la question de la modération des reportages et articles de presse par les plateformes en ligne comme Twitter ou Facebook.
Des « sources journalistiques d’information fiables »
Pour éviter des retraits abusifs, la proposition de loi prévoit un traitement à part pour les médias: lorsqu’une plateforme identifie un de leurs contenus susceptible d’enfreindre ses règles d’utilisation, elle devrait avertir le média de son intention de supprimer ou de restreindre l’accès à ce contenu, et justifier sa décision. Or il est prévu que les médias se déclarent eux-mêmes en tant que tels auprès des plateformes.
La CCIA, organisation représentant les intérêts des géants comme Google, Meta et Twitter, estime que cet article contient des « failles propices à la diffusion de désinformation ». « Des acteurs malhonnêtes pourraient abuser du système, étant donné que n’importe qui peut se déclarer en tant que média », souligne le lobby de la tech. RSF de son côté prône « une approche positive obligeant les plateformes à promouvoir les sources journalistiques d’information fiables », qui « serait bien plus pertinent ».
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