En 2022, le ministère de la santé français a annoncé le déploiement de « Mon espace santé », un dispositif numérique susceptible de transformer la qualité des soins et la prise en charge des patients.
Cet espace numérique a été présenté comme un accès facile et sécurisé aux informations médicales ainsi qu’à des services en ligne tels que la prise de rendez-vous et le renouvellement des prescriptions. Il a pour objectif de réduire les délais d’attente et d’améliorer la communication entre les patients et les professionnels de santé.
Mais Mon espace Santé (anciennement Dossier Médical Partagé) alimente les discussions autour de la sécurité des données de santé qu’il contiendra. Depuis ses débuts, ce dispositif numérique a toujours été un vrai défi pour le ministère de la santé : malgré son potentiel, son adoption par les patients n’a pas été spectaculaire. Les derniers chiffres communiqués par la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie annoncent que seuls 10 millions des 65,7 millions de détenteurs d’un compte Mon espace santé ont activé leur carnet de santé numérique.
Des patients soucieux de leurs données
Dans nos travaux, nous avons taché de comprendre les préoccupations et les motivations des patients en matière de partage de données médicales. Ces derniers sont soucieux du sort de leurs données médicales partagées, de la confidentialité des échanges, de la sécurité et du contrôle qu’ils peuvent avoir sur ce processus. Ces raisons expliquent en partie les réticences liées à l’adoption du service proposé par l’État.
Plusieurs patients que nous avons pu interrogé au cours de notre enquête craignent que leurs données soient utilisées sans leur consentement ou divulguées à des tiers non autorisés. À titre d’exemple, en France, le déploiement initial du Dossier médical partage (DMP) a suscité des préoccupations concernant la possibilité que les assureurs et les employeurs puissent accéder aux données de santé des patients.
Afin de garantir la sécurité des données, plusieurs mesures ont été mises en place pour limiter l’accès aux informations contenues dans le DMP. Des organismes tels que la CNIL (la Commission nationale de l’informatique et des libertés) travaillent conjointement avec les autorités gouvernementales afin de faire respecter cette règle.
Ceci a nécessité que les pouvoirs publics renforcent les aspects réglementaires sur la sécurité et la confidentialité des données en donnant aux patients un contrôle plus important sur la gestion de leurs informations médicales mais également à travers des mesures de sécurité avancées à l’instar du chiffrement et l’authentification forte.
Selon le deuxième alinéa du III de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique, les patients sont ainsi en mesure de limiter l’accès à leurs données de santé à certains professionnels uniquement s’ils le souhaitent. Le gouvernement a aussi établi un registre d’habilitations des professionnels de santé qui peuvent accéder aux données des patients selon leur profession ou leur spécialité.
Certains patients, moins réticents, sont motivés par une meilleure coordination des soins, une réduction des erreurs médicales, ainsi qu’une plus grande autonomie dans la gestion de leur santé. Les patients ont accès à leurs données de santé instantanément, leur permettant de mieux comprendre leur état de santé, de prendre des décisions éclairées et d’obtenir des soins plus personnalisés.
Différents profils de patients
Une meilleure compréhension des préoccupations et des motivations des patients vis-à-vis du partage des données de santé permettrait de mieux discerner leur profil face à l’utilisation du dispositif et au partage des données médicales. C’est ce qu’une étude réalisée auprès de 1076 Français a permis de faire en identifiant quatre groupes de patients : les patients angoissés ; les patients prêts ; les patients inquiets ; et les patients équilibrés.
Les patients angoissés représentent environ 4% de notre échantillon. Ils affichent les niveaux de préoccupations et de risque perçu les plus élevés en matière de confidentialité des données médicales au point de ne plus considérer l’utilité et les avantages découlant de l’utilisation du DMP. Ces patients appartiennent vraisemblablement à des catégories socioprofessionnelles élevées et ont pour la plupart la quarantaine.
Contrairement aux patients angoissés, les patients prêts sont les plus motivés par les avantages du DMP et n’affichent pas de préoccupations par rapport à leurs données médicales. Représentant 34 % de notre échantillon, ces patients croient en l’utilité du DMP pour l’amélioration de la qualité de leur prise en charge, ainsi qu’un accès, une gestion et un contrôle plus efficaces des données. Plus âgés que la moyenne (plus de 50 ans et principalement entre 60 et 69 ans), ces patients sont majoritairement des femmes appartenant à des catégories socioprofessionnelles moyennes.
Les patients équilibrés sont relativement proches des patients prêts quant à leurs motivations pour l’adoption du DMP. Ils affichent toutefois certaines préoccupations par rapport à leurs données médicales. Les équilibrés représentent environ 11% de notre échantillon ; ils sont majoritairement des hommes, dans la cinquantaine, ayant des niveaux d’éducation et des catégories socioprofessionnelles plus bas que la moyenne.
Enfin, les patients inquiets représentent 51% de notre échantillon, soit plus de la moitié des patients. Ils expriment beaucoup moins de préoccupations en matière de confidentialité que les patients angoissés. Par ailleurs, ils perçoivent les avantages du DMP plus favorablement ; ce qui en fait une cible plus facile à convaincre.
Les inquiets sont plus jeunes que la moyenne (entre 20 et 49 ans) et appartiennent à des catégories socioprofessionnelles élevées.
Rassurer les usagers
Pour élargir l’utilisation du DMP, les pouvoirs publics doivent d’abord déployer de grands efforts pour rassurer les patients sur l’utilisation de leurs informations personnelles et communiquer davantage sur les technologies utilisées pour sauvegarder les données. De telles initiatives doivent être orientées vers les patients angoissés et inquiets. Par ailleurs, toutes les parties prenantes (le ministère de la Santé, les médecins, etc.) devraient agir pour dissiper la confusion et les préoccupations des patients. Elles doivent détailler avec précision les types de données stockées sur le DMP, la manière dont elles sont stockées, les professionnels de santé susceptibles d’y accéder et la manière dont elles sont susceptibles d’être utilisées. De plus, éclairer les patients sur le fait que le DMP est géré dans le respect de la réglementation et les rassurer sur la confidentialité des données les aiderait à avoir confiance et mieux partager leurs données.
En effet, le DMP est réglementé par la loi française sur le système de santé qui établit un cadre juridique précis pour la collecte, le stockage et l’utilisation des données de santé personnelles. Cette loi a été renforcée par le règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’Union européenne entrée en vigueur en 2018. Par ailleurs, l’Agence des systèmes d’information partagés de santé (ASIP santé) a été chargée de superviser le DMP et de s’assurer que les règles de sécurité sont respectées. Son rôle principal consiste à effectuer régulièrement des contrôles et des audits autour de la bonne utilisation du DMP par les professionnels de santé conformément aux règles de sécurité et de confidentialité. En cas de violation, des mesures dissuasives et des sanctions peuvent être imposées.
Article écrit par Emna Cherif, Maître de conférences en Sciences de gestion et marketing, Université Clermont Auvergne (UCA) et Manel Mzoughi, Professeure associée en marketing, Propedia
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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