« Pas de pays sans paysan » : la mobilisation des agriculteurs reprend de l’ampleur

Par Germain de Lupiac
24 octobre 2024 06:49 Mis à jour: 24 octobre 2024 06:49

Moins d’un an après la fronde des agriculteurs, qui a tenu le pays en haleine pendant plusieurs semaines, les syndicats majoritaires ont appelé à une nouvelle mobilisation nationale à partir de mi-novembre. Cet appel intervient sur fond de négociations d’un accord de libre-échange UE-Mercosur et de mobilisations en cours dans plusieurs départements.

Plusieurs « avertissements » ont été lancés ces dernières semaines, attendant une réponse du gouvernement et pointant la tenue des promesses faites l’an passé : les accords de libre-échange, la pression normative, le casse-tête administratif ou encore le versement des aides européennes.

Une nouvelle mobilisation à partir de mi-novembre

L’alliance syndicale agricole majoritaire formée par la FNSEA et Jeunes Agriculteurs (JA), qui a notamment organisé des blocages d’autoroutes en début d’année, a décidé d' »une action nationale qui prendra effet à partir de la mi-novembre », a déclaré le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, lors d’une conférence de presse.

Son homologue des Jeunes Agriculteurs, Pierrick Horel, a estimé que cette mobilisation pourra servir à « remettre un petit peu de pression dans le tube pour arriver au bout de ce qu’on demande ». Ces formations entendent notamment obtenir de la « clarté » sur leur demande de prêts garantis par l’État, à taux réduit, pour les agriculteurs à court de trésorerie.

En question notamment, l’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay et Bolivie) qui, malgré les déclarations d’Emmanuel Macron, est en passe d’être finalisé.

« L’accord ouvrirait la porte à 99.000 tonnes de viandes bovines, à 180.000 tonnes de viandes de volaille, à l’équivalent de 3,4 millions de tonnes de maïs, à 180.000 tonnes de sucre », s’étaient alarmés les deux syndicats le 18 octobre, dans un communiqué.

Le texte pointait du doigt une « absence de réciprocité concernant les conditions de production » de part et d’autre de l’océan Atlantique, appelant Emmanuel Macron et le Premier ministre Michel Barnier à « mettre définitivement fin » aux discussions.

Une situation toujours explosive en France

En France, la situation sur le terrain est potentiellement plus explosive qu’il y a un an.

Après une campagne marquée par des pluies quasi incessantes, le pays a connu sa pire récolte de blé en 40 ans, des pertes considérables dans les vignobles, un regain d’épidémies animales et les semis de blé d’hiver pourraient être menacés si les sols restent gorgés d’eau.

Les syndicats se disent prêts à revenir dans la rue, tout en se défendant de pousser à la surenchère alors que se profilent leurs élections professionnelles fin janvier. Car, avant « d’appuyer sur le bouton » de la mobilisation nationale selon l’expression d’une autre source, la fédération nationale veut soupeser ses chances d’obtenir de nouveaux engagements dans un cadre budgétaire contraint, sans perdre la globale bienveillance des Français à l’égard des mobilisations d’agriculteurs.

Des actions d’agriculteurs ont été constatées ces dernières semaines en Occitanie d’où était parti le mouvement de contestation l’hiver dernier.

Le 21 octobre 2024 au soir, quelque 200 agriculteurs ont déposé devant la préfecture de l’Ariège le même nombre de panneaux de signalisation qu’ils avaient enlevés la semaine dernière, pour exiger du gouvernement français des mesures « concrètes et durables » en leur faveur. (MATTHIEU RONDEL/AFP via Getty Images)

En Ariège, des agriculteurs déposent 200 panneaux de commune devant la préfecture

Quelque 200 agriculteurs ont déposé en début de semaine devant la préfecture de l’Ariège autant de panneaux de signalisation qu’ils avaient retirés la semaine dernière pour demander à l’État des mesures « concrètes et durables » en leur faveur.

« Pas de pays sans paysan » et « Paysan, ma passion, mais quelle déception », pouvait-on lire sur des banderoles déployées par les manifestants qui ont accroché ces panneaux de sortie d’agglomération à la grille de la préfecture, répondant à l’appel des Jeunes agriculteurs (JA) et de la FDSEA 09.

« On travaille 70-80 heures par semaine et on ne se sort pas un Smic », a regretté Sébastien Durand (FDSEA), au cours de la manifestation, qui a eu lieu dans le calme, en présence du préfet de l’Ariège.

« Dix mois après, le compte n’y est pas », a-t-il ajouté, faisant allusion aux mesures annoncées par le gouvernement pour répondre à la mobilisation des agriculteurs lancée en début d’année.

Dans le Gers, de la laine de mouton et des bottes de foin devant les bâtiments de l’État

Dans la nuit de vendredi à samedi dans le Gers, une soixantaine d’agriculteurs ont déversé de la laine de mouton, des bottes de foin et de la paille devant plusieurs bâtiments de l’État à Auch, à l’appel de la Coordination rurale.

« Tracteurs chargés, bottes pourries. Enrubannez, bâchez, bombez à la peinture jaune, bref : videz vos fermes, il est temps de se faire comprendre », avait lancé Lionel Candelon, président régional de la Coordination rurale en Occitanie.

« On veut des réponses concrètes. Si après les semis de blés dans trois semaines on n’a pas d’avancées, on passera à des actions plus lourdes et plus impactantes. J’ai souvent des appels d’agriculteurs qui sont à l’agonie et qui ont des huissiers à leurs portes, ça ne peut plus durer », déclare Benjamin Checchin, président des Jeunes Agriculteurs du Tarn-et-Garonne.

« Il y a deux semaines, on nous annonçait qu’on aurait un vaccin gratuit contre la FCO, la fièvre catarrhale ovine, sauf qu’en fait, on s’est aperçu que cela fait deux mois qu’il y a une pénurie de vaccins, qu’on ne les a pas et qu’on ne les aura jamais. Donc aujourd’hui, il y en a marre qu’on nous fasse des promesses en l’air, qu’on fasse des annonces où il n’y a rien derrière de concret », a déclaré Lionel Candelon, président de la Coordination rurale du 32, devant la cité administrative départementale du Gers.

Une centaine d’agriculteurs protestent devant la préfecture de la Marne

Une centaine d’agriculteurs ont déversé du fumier le 18 octobre devant la préfecture de la Marne à Chalons-en-Champagne, pour dénoncer un « burn-out administratif » et réclamer une « simplification » des réglementations, près d’un an après d’importantes manifestations de la profession.

« La paperasse, on n’en peut plus », pouvait-on lire sur une pancarte plantée dans le fumier déposé devant la préfecture. Les agriculteurs déplorent aussi un « cumul de normes, de documents à remplir, de règles à retenir, d’interdictions ». Dans leur viseur, notamment la nouvelle directive nitrate, en application depuis le 1er septembre, qui instaure un calendrier d’épandage des effluents jugé trop complexe et « inapplicable ».

« C’est devenu un parcours du combattant pour faire la moindre petite action dans nos champs », explique explique Catherine Pierlot, de la FDSEA 51, reconnaissant qu’il faut « changer les pratiques » mais avec l’impératif « de concerter les agronomes et les agriculteurs ».

Des agriculteurs forcent l’entrée du conseil de Bourgogne-Franche-Comté

Une dizaine d’agriculteurs, échappés d’un groupe de 300 manifestants, ont forcé l’entrée, le 18 octobre, du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté afin de protester contre les retards de paiement de fonds européens, gérés par la région.

Selon les Jeunes agriculteurs (JA) et la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) de Côte-d’Or, qui avaient appelé à la manifestation, 3.447 dossiers sont en souffrance depuis un an et demi, empêchant le versement d’aides européennes (Feader, Fonds européen agricole pour le développement rural), gérés par la région.

« Ça fait 18 mois […] Ils ont énormément de retards et, à la vitesse où ils avancent, ils sont dans l’incapacité de traiter les dossiers avant le 30 juin 2025. Ce qui est grave car, à cette date, l’argent retournera à l’Europe », a averti Thibault Renaud, vice-président des JA de la région lors de la manifestation devant le conseil régional.

La présidente PS de la région, Marie-Guite Dufay, avait prévu de recevoir une délégation d’agriculteurs, mais en dehors de l’assemblée plénière. Une petite dizaine de manifestants a cependant réussi à forcer les portes de l’édifice régional, poussant Mme Dufay à finalement les inviter à rejoindre les débats où des membres des JA ont témoigné de leur « malaise ».

« Qui peut se permettre de vivre deux ans sans salaire? », a déclaré l’un d’eux devant l’assemblée des élus.

« Ces retards sont anormaux », a répondu en séance la présidente de la région, estimant la « colère légitime ». « On a mis les moyens pour avancer. Nous sommes englués dans une masse de dossiers et nous faisons tout pour nous désengluer », a-t-elle assuré.

Les agriculteurs ont ensuite quitté l’hémicycle, rejoignant leurs collègues manifestant à l’extérieur.

Michel Barnier promet de « faire une pause dans les normes »

Le Premier ministre Michel Barnier a promis début octobre de « faire une pause sur les normes » pour « encourager » les agriculteurs touchés par les crises.

« Ces agriculteurs qui sont touchés par des crises sanitaires, des mauvaises récoltes, méritent d’être encouragés. Ils en ont ras-le-bol. Ras-le-bol des contraintes, des règles et des contrôles. Donc on va faire une pause sur les normes », a-t-il déclaré.

« Ils travaillent beaucoup de manière vitale pour faire vivre, pour nourrir les Français avec de la nourriture saine, équilibrée, diversifiée, traçable », a souligné M. Barnier qui fut ministre de l’Agriculture de 2007 à 2009 sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

Dans sa déclaration de politique générale mardi Michel Barnier a promis de « soutenir » les agriculteurs « lorsqu’ils sont frappés par des crises, qu’elles soient climatiques ou sanitaires comme c’est le cas en ce moment avec la fièvre catarrhale ovine ».

Il a également annoncé que son gouvernement « reprendrait sans délai » le projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole, qui avait été modifié après les manifestations du secteur début 2024. Mais son examen avait été interrompu par la dissolution.

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