Moins de rejets dans l’air mais davantage en mer : présentés initialement comme une solution plus respectueuse de l’environnement, les « scrubbers », ces filtres installés dans les cheminées des navires pour réduire leurs émissions de soufre, sont dans le viseur de la ville de Marseille.
La cité phocéenne a demandé mardi la mise en place d’une Zone à faibles émissions (ZFE) portuaire, où seraient interdits « les navires les plus polluants » mais aussi ceux équipés de « scrubbers ouverts ».
Ces dispositifs censés améliorer la qualité de l’air permettent en fait de contourner une réglementation de l’Organisation maritime internationale (OMI) de 2020 qui limite les rejets en soufre dans l’atmosphère, en autorisant les armateurs à continuer à utiliser du fioul lourd à 3,5% de soufre au lieu du fioul à 0,5% obligatoire, mais près de deux fois plus cher. Placés dans les cheminées des paquebots, ces filtres spéciaux « lavent » les fumées avant qu’elles ne soient éjectées dans l’air, leur permettant de respecter les nouvelles normes. Problème : la plupart de ces scrubbers sont « à boucle ouverte », et rejettent ces eaux de lavage en mer.
Conférence débat demain mardi 14 mars à 18h à #Marseille sur la pollution maritime générée par les #Scrubbers, ces laveurs de fumée qui polluent la #Mediterranee?
En présence d’expertEs, d’éluEs, de parlementaires et d’associations.
?Cité des associations Salle Phocea Canebière pic.twitter.com/qrmmIm7MVB— Sébastien Barles (@sebbarles) March 13, 2023
« Rejets en mer inacceptables »
Alors que seulement quelques dizaines de navires dans le monde en étaient équipés en 2018, leur nombre a bondi à près de 3700 fin 2020, dont 85% avec scrubbers ouverts, selon l’ONG International Council on Clean Transportation.
« Les armateurs ont trouvé ce moyen pour contourner la législation et continuer à utiliser du combustible lourd en soufre, car moins cher », a dénoncé mardi Guillaume Picard, ex-commandant et chef mécanicien de ferries, devenu militant antipollution de l’association « Climat zéro fossile ». « Par navire, ce sont 2000 à 3000 tonnes à l’heure d’eau de mer polluée qui sont rejetées » : « Au final, onze navires polluent autant que tout ce que rejette le fleuve du Rhône en une année », a-t-il estimé, lors d’une conférence de presse co-organisée par la mairie de Marseille.
Extrêmement acides, ces eaux de lavage présentent aussi des concentrations élevées de zinc, cuivre ou nickel. « Contribuant à l’acidification des océans », elles sont « d’une toxicité aiguë pour les organismes aquatiques », a démontré une étude parue en 2020 dans la revue scientifique Environmental Sciences Europe. Des conclusions confirmées la même année par l’Institut suédois de l’Environnement.
« Ces rejets en mer ne sont pas acceptables. Nous avons tous conscience que nous allons droit dans le mur si nous ne changeons pas brutalement nos modèles, responsables du changement climatique », a plaidé Hervé Menchon, adjoint au maire chargé de la biodiversité marine.
Pointée du doigt par les associations écologistes locales pour utiliser de tels scrubbers à boucles ouvertes sur trois de ses navires, la compagnie Corsica Linea s’estime elle en règle. « Tous les rejets en mer sont analysés en permanence par des capteurs en sortie, tout en suivant des limites bien précises imposées par les autorités », a-t-elle répondu à l’AFP.
Personne ne contrôle !
Certes, la France interdit depuis le 1er janvier 2022 l’utilisation de scrubbers ouverts dans sa bande littorale des 3 milles nautiques (5,5 km) et ses enceintes portuaires. Mais certains navires bénéficient de dérogations, comme Corsica Linea, le temps de s’équiper de scrubbers à boucles fermées. Ceux-ci permettent de récupérer les eaux sales, qui doivent théoriquement être retraitées à terre. « Mais personne ne contrôle ! Du coup, une fois au large, les navires font ce qu’ils veulent », a ironisé M. Picard.
Les associations écologistes critiquent d’ailleurs le fait que les normes encadrant ces rejets, établies lors de la Convention de Barcelone de 1976, soient aujourd’hui dépassées. « La solution, simple, existe, même si ce n’est pas la panacée : il suffirait que les navires utilisent du gazole, composé de 0,1% de soufre », selon M. Picard. « Mais c’est trois fois plus cher que le fioul lourd », soupire-t-il.
Si la ville de Marseille veut s’attaquer aux scrubbers, ces derniers pourraient bientôt également être dans le viseur de la justice : ces dispositifs constituent la cible principale de la plainte contre X déposée début mars par des associations et riverains du port de Marseille.
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