À une semaine de l’arrivée du projet de loi immigration au Sénat, son article 3 – qui prévoit la régularisation des étrangers irréguliers dans les métiers en tension – ne cesse de cristalliser les passions. Aussi bien dans la majorité et chez Les Républicains qu’au sein du gouvernement.
Désaccords entre Les LR du Sénat et ceux de l’Assemblée nationale, entre la droite et le centre à la Chambre haute, divisions au sein du camp présidentiel, cacophonie entre Élisabeth Borne et Gérald Darmanin… À mesure qu’approche le 6 novembre, date à laquelle le Sénat entamera ses pourparlers, l’article 3 du nouveau projet de loi immigration – qui établirait un nouveau titre de séjour pour les clandestins travaillant dans les métiers dits en tension – focalise toute l’attention et les crispations. L’aile gauche de la macronie est vent debout pour défendre la mesure, le parti Les Républicains (LR) en a fait une « ligne rouge », mettant en garde quant à sa volonté de ne pas voter le texte si elle y est intégrée.
Guerre interne
Officiellement, l’exécutif veut maintenir la disposition, ou a minima créer une nouvelle circulaire de régularisation, plutôt que de créer un titre de séjour de plein droit, par le biais de la loi. Celle-ci autoriserait les migrants dans les métiers en tension à demander eux-mêmes leur régularisation, sans passer par l’employeur, comme c’est le cas actuellement. Le pouvoir d’appréciation reviendrait au préfet.
Pour rassurer les députés de la majorité, inquiets du retrait de la mesure, le ministre de l’Intérieur a soutenu le 24 octobre, lors d’une réunion à l’Assemblée nationale, être « favorable à l’article 3 », précisant qu’il n’était pas pour un « accord à tout prix » avec LR. Opération réussie… jusqu’à la parution d’un article du Parisien, venu mettre le feu aux poudres. Partagé sur les boucles de discussion des députés du camp présidentiel, il rapporte un échange entre Élisabeth Borne et le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau, lors d’un dîner, lundi soir, à Matignon, au cours duquel la Première ministre aurait laissé entendre que l’article 3 du texte pourrait être abrogé en vue de rallier le soutien de la droite.
De quoi offusquer Gérald Darmanin, officiellement responsable des négociations avec ce groupe politique. Chez les députés, les soupçons se portent sur la « guerre interne » que se livrent ces deux piliers du gouvernement depuis la rentrée politique de l’ex-LR en août à Tourcoing, censée préparer l’après-Macron.
Sans article 3, des députés macronistes voteraient contre
« Cet article du Parisien a fait bondir des collègues qui n’en ont pas l’habitude », confirme au Monde la députée Renaissance du Maine-et-Loire, Stella Dupont, qui juge « pas impossible » la probabilité de ne pas voter le texte si la mesure était vidée de sa substance, répercutant ainsi le son de cloche de sa collègue du Loiret Caroline Janvier. Le 18 octobre, dans Le Figaro, cette dernière faisait valoir que, sans l’article 3, « l’équilibre de ce projet de loi, qui était déjà très difficile à trouver, serait brisé » et justifierait de ne pas le voter. « Sans article 3, je ne voterai pas le texte, prévient également le député Renaissance des Français de l’étranger, Marc Ferracci. La circulaire actuelle a une application assez hétérogène selon les territoires, une nouvelle circulaire présenterait le risque de maintenir ces différences. » Le ton est donné.
« Je n’ai pas l’habitude de croire sur parole ce que raconte M. Retailleau », affirme pour sa part le député Renaissance de la Vienne, Sacha Houlié, chef de file de l’aile gauche au sein de la macronie. Sous son égide, une soixantaine de députés se sont rassemblés mercredi soir pour réaffirmer leur attachement à cet article, garant, selon eux, de l’équilibre du texte.
« Nous voulons que le principe d’une régularisation à l’initiative du salarié figure dans la loi, tout comme les critères de régularisation. Si le texte issu du Sénat ne nous convient pas, nous reviendrons dessus », prévient-il.
La circulaire, une alternative qui finira par unir la majorité ?
Pour autant, inscrire le principe dans la loi n’est pas indispensable dès lors que l’objectif derrière cette législation est atteint, estiment certains macronistes. « C’est le résultat qu’on recherche et quels moyens on met en place qui importent, plus que le canal législatif ou réglementaire », fait ainsi valoir la députée Renaissance de Paris, Astrid Panosyan-Bouvet.
Le ministre du Travail lui-même n’est pas non plus arcbouté sur une disposition législative. « Est-ce que cela passe par la loi, le décret ou le règlement ? Je suis ouvert sur les modalités », expliquait Olivier Dussopt dans une interview donnée au quotidien régional Le Télégramme, le 21 octobre. « Ce qu’il faut regarder, ce n’est pas l’équilibre du projet de loi en soi, c’est celui de l’ensemble de notre politique d’immigration », juge Mme Panosyan.
« L’article 3 ne doit pas être un totem, surtout si la voie réglementaire offre plus de souplesse. Sur cette question des régularisations, il faut être pragmatique », estime le député Renaissance Mathieu Lefèvre.
Divergences entre sénateurs et députés LR
La droite est, elle aussi, en proie aux divisions. Les députés LR sont inquiets des tractations de Gérald Darmanin avec les sénateurs : « Il y a des suspicions croisées entre nos groupes à l’Assemblée et au Sénat. Les députés LR veulent voter contre et ils ont l’impression que le Sénat, pour des raisons internes, est davantage enclin au compromis et favorable à un texte épuré », juge un dirigeant de LR. Si les sénateurs LR s’opposent avec fermeté à l’article 3, les centristes du Sénat, sans qui LR ne dispose pas de majorité à la Chambre haute, sont plus favorables à la position du gouvernement.
Quoi qu’il en soit, pour la droite, le dilemme reste entier. Ce texte favorise à la fois l’immigration, mais aussi les expulsions. Faut-il voter contre ? « Si ce texte reste dans l’ambiguïté, il faut évidemment voter contre. Si le gouvernement persiste à le faire adopter par 49.3, il sera légitime de déposer une motion de censure », prévient-on au sein du parti.
Après son examen au Sénat, le projet de loi doit être examiné le 27 novembre en commission des Lois au palais Bourbon, et à partir du 11 décembre en séance. D’ici là, les débats promettent d’être houleux.
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