ENTRETIEN – Rémy Verlyck est à la tête du think tank Familles Durables qui a pour objectif de « réaffirmer la nécessité de soutenir les familles pour favoriser l’épanouissement durable de la société et de chacun de ses membres ». Pour Epoch Times, il revient sur l’état de la famille de nos jours, les causes de la dénatalité. Il analyse également les politiques familiales menées ces dernières années.
Epoch Times : Comment jugeriez-vous l’état de la famille en tant que structure sociale aujourd’hui?
Rémy Verlyck : Il me semble que la famille avait par le passé le statut de cellule de base de la société, reconnue comme telle par le monde politique et souvent automatique, peu flexible hormis lors de décès qui étaient plus nombreux avant, entraînant remariages et familles recomposées à l’ancienne. Elle était largement le fruit d’un formatage hétéronome de la société : les modes de vie étaient proposés par la société et largement suivis par les individus. Des sociétés vivent toujours ainsi, mais la nôtre, de moins en moins.
Aujourd’hui, la famille est une option qui ne va plus du tout automatiquement de soi, relevant du choix personnel et de l’intimité, tant dans la question de savoir si l’on veut fonder une famille, que des modalités d’organisation au sein de cette hypothétique famille. Si le projet de vivre à deux durablement semble rester la norme, tout le reste est à définir.
L’individu contemporain doit faire des choix, des paris sur l’avenir, en l’absence de jalons traditionnels.
Également, la famille est désormais davantage instable. Le couple marié qui reste ensemble toute la vie, nonobstant les crises et difficultés réelles, c’est terminé. Selon le psychiatre et psychanalyste Serge Hefez, nous sommes dans une société du « démariage ». Quelque 6 bébés sur 10 naissent « hors mariage ». Si le nombre de divorces a baissé d’un tiers entre 2005 et 2021, c’est parce que les gens se marient moins, et ont donc moins l’occasion de divorcer.
Par ailleurs, le nombre de familles monoparentales est passé d’une sur dix dans les années 1990 à une sur cinq aujourd’hui. Si les formes d’organisation de la famille sont plus libres, ils sont aussi nécessairement plus fragiles.
En janvier, le bilan démographique de l’Insee nous apprenait que 663.000 bébés sont nés en 2024, soit une baisse de 2,2 % par rapport à 2023. Quelles sont, selon vous, les causes de cette baisse de la natalité ?
Les causes de la baisse de la natalité sont sans doute à trouver prioritairement dans le coût du logement, et ce, encore plus à l’heure du télétravail, et le pouvoir d’achat, car le soin et l’élevage des enfants coûtent cher aux parents qui ont bien moins recours au soutien informel familial que leurs aïeux.
Il y a aussi les difficultés d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, car les parents davantage esseulés doivent jongler entre plusieurs casquettes dans un contexte de grande importance donnée à la carrière.
Également, le fait de retarder dans le temps la première grossesse, donc l’accès à la première maternité ou paternité, en raison d’études plus longues ou de difficultés financières, réduit fortement la probabilité d’avoir le nombre d’enfants que l’on souhaite avoir. Lorsque l’on demande aux gens combien d’enfants ils souhaitent avoir, la réponse est de 2,39, plus élevée que le nombre d’enfants qu’ils ont en réalité. En 2024, l’indicateur conjoncturel de fécondité s’établit à 1,62 enfant par femme, contre 2,02 en 2010.
Ainsi, malgré le système de redistribution sociale, les Français ne parviennent pas à avoir le nombre d’enfants qu’ils souhaitent. La difficulté à trouver un partenaire stable, ainsi que la peur de l’avenir, qu’il s’agisse d’anxiété écologique ou du sentiment d’incertitude ou d’insécurité, jouent également un grand rôle sur la capacité à se projeter.
« À l’heure des crises de la solitude, de la santé mentale, de la natalité (liste non exhaustive), une nouvelle réflexion s’impose sur la qualité des liens interpersonnels, dont on sait qu’ils sont fondamentaux pour l’avenir de la société », écrivez-vous dans une Tribune publiée dans Le Figaro. Qu’appelez-vous les « liens interpersonnels » ?
Les liens interpersonnels sont tous les liens sociaux, prioritairement familiaux mais aussi amicaux, qui sont le maillage de nos vies. L’espèce humaine est éminemment sociale, nous ne vivons que par le lien social car nous sommes interdépendants. C’est inscrit dans notre ADN : le petit humain est à sa naissance incapable de survivre, et dépend entièrement de soins de ses parents.
L’affection et la qualité de la présence des parents est également très importante pour le développement et la structuration psychosociale. Ce sont les relations familiales, la première cellule de vie en société, qui lui permettront d’acquérir les habitudes nécessaires à la vie en société. Nous avons également besoin de soutien lorsque nous sommes malades, et lorsque nous vieillissons et que nous perdons en indépendance.
Le fait que de plus en plus de personnes se retrouvent dans une situation de solitude ou d’isolement n’est pas sans effets sur la santé psychique de la population, et sur la capacité des individus à vivre ensemble en harmonie. Même lorsque le couple subsiste, ils peuvent facilement se retrouver en burn-out parental tant le rythme est difficile, sans le soutien dont ils ont besoin.
Pour vous, la politique familiale d’Emmanuel Macron depuis 2017 n’a pas été à la hauteur des enjeux ?
Je dirais avant tout que le monde politique français, qu’il s’agisse des partis au pouvoir ou des partis de l’opposition, n’ont pas pris la mesure du caractère central et structurant de la politique familiale pour le présent et l’avenir de la société française. On a trop tendance à en faire une politique parmi d’autres, et souvent, de second plan.
En janvier 2024, il y a eu de la part du Président l’évocation d’un besoin de réarmement démographique qui a surpris tout le monde. C’est une expression qui provient du répertoire de Viktor Orbán.
On a évoqué une refonte des congés maternité et parentaux. Puis il y a eu la défaite du parti présidentiel aux élections européennes, la dissolution surprise et les difficultés que l’on sait pour parvenir à former un premier, puis un deuxième gouvernement. La politique familiale, peu évoquée, n’est pas centrale. Ce n’est que depuis quelques années que l’on accepte l’idée que la démographie, en France, est devenue, comme ailleurs, un problème. Auparavant, ce sujet était vu comme partisan.
Aujourd’hui, c’est moins le cas. On pense d’abord au système des retraites, fondé sur la solidarité entre les générations. S’il y a irrémédiablement moins de jeunes, ça sera compliqué de le faire perdurer. Mais on pense aussi à tous les métiers en tension, aux fermetures des classes, à la désertification progressive à prévoir de grandes parties du territoire rural, l’impact sur l’économie et le service public, en bref, sur la viabilité de notre société.
Un chiffre interroge : lorsqu’à l’initiative de l’UNAF, on demande aux Français et surtout aux Françaises le nombre d’enfants qu’ils souhaitent avoir, ils répondent 2,39. Or, selon l’INSEE, la fécondité dite « conjoncturelle » a atteint 1,59 enfant par femme en France métropolitaine en 2024. En France, pays des droits de l’homme et 7e puissance mondiale, les gens ne parviennent pas à avoir le nombre d’enfants qu’ils souhaitent avoir. Considérant le niveau des politiques de redistributions sociales, un tel écart peut effectivement être considéré comme un constat d’échec pour les décideurs politiques.
Comment le think tank « Familles Durables » soutient-il les familles ?
Familles Durables partage des données issues de la recherche dans différents domaines scientifiques, et donne la parole à des praticiens spécialisés. En ayant la volonté de ne pas se laisser enfermer par une pensée « en silo », où chacun pense dans son coin sans être lié aux autres disciplines, Familles Durables agit comme un « agitateur de réflexions ».
Nous voulons montrer combien la famille est une petite société fondamentale pour les individus et la société. Ses effets – positifs ou négatifs – y sont décuplés. L’impact d’une famille fonctionnelle sera très bon pour la société et les individus qui la composent. L’inverse est vrai aussi : l’impact d’une famille dysfonctionnelle sera très coûteux pour la société et dommageable pour les individus. Nous ne pouvons pas, en tant que société, nous passer de la réflexion sur les divers besoins de soutien des familles. C’est en contribuant à enrichir le débat public que nous espérons soutenir les familles, les individus et la société entière.
Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?
Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.