Malgré les risques et la peur, Judith Kahindo marche tous les jours plusieurs kilomètres, seule, vers sa plantation isolée de cacao, ressource convoitée à Beni, région de l’est de la RDC infestée par des groupes armés et endeuillée par les massacres.
La province du Nord-Kivu, où se trouve Beni, est principalement riche de ses minerais – cobalt, cuivre, coltan -, accusés d’alimenter les conflits qui ravage l’est de la République démocratique du Congo (RDC) depuis trois décennies.
Mais dans le territoire de Beni, le cacao – dont les cours ont flambé sur le marché mondial ces deux dernières années – nourrit aussi des violences.
Les massacres commis par les rebelles des ADF (Allied Democratic Forces), qui ont prêté allégeance à l’État islamique, ont fait des milliers de morts et empêché pendant plusieurs années les cultivateurs de cacao d’accéder à leurs plantations.
« La peur d’être massacrés »
Malgré une accalmie ces dernières années, « nous entretenons nos champs avec la peur d’être massacrés car le cacao est tellement convoité, que ce soit par les rebelles ou même nos soldats », déplore Juliette Kahindo, veuve et mère de huit enfants, qui se fraye un chemin à coups de machette au milieu d’une forêt enchevêtrée.
La production cacaoyère en RDC, répartie à travers le pays, reste marginale à l’échelle mondiale : en 2024, le pays devrait produire environ 50.000 tonnes de cacao, à peine plus de 1% de la production mondiale.
De puissants réseaux de contrebande
Dans cette région particulièrement fertile, les produits agricoles, dont le cacao, attirent les convoitises de divers groupes armés qui nourrissent des réseaux de contrebande vers l’Ouganda voisin, selon les acteurs de la filière.
« S’il n’y avait pas de cacao en abondance à Beni, la guerre aurait déjà pris fin », assure Judith Kahindo.
Les ADF ne sont pas la seule menace. « Il y a des des gens qui profitent de la terreur suscitée par les ADF pour voler », assure le colonel Mak Hazukay, porte-parole de l’armée dans le secteur.
Avant même l’émergence des ADF dans les années 2000, la région était déjà en proie aux attaques des « sangabalende », groupes criminels spécialisés dans le vol et la contrebande de cacao, explique Richard Kirumba, président de la société civile du territoire de Beni.
Selon lui, certains militaires déployés contre les ADF taxent aussi les commerçants ou pillent les champs. Le cacao volé est généralement écoulé à travers des réseaux de contrebande transfrontalière.
Contrôles peu scrupuleux et corruption endémique
« Les criminels vendent le cacao tel quel : ils le coupent, le décabossent (retirent la baie qui protège les fèves, ndlr) puis partent directement le vendre », explique Frank Ndinyoka Kabeya, acheteur de cacao et représentant de l’Union des négociants des produits agricoles au Congo.
Les contrôles sont peu scrupuleux dans un pays où, selon Transparency International, la corruption est endémique, et seuls des imprudents risquent des ennuis.
Les rues de Beni sont jalonnées de fèves séchant au soleil sur des bâches. La marchandise de contrebande est surtout écoulée auprès « de petits acheteurs », contournant les processus de certification, selon Karim Sibenda, ingénieur agronome dans une chocolaterie locale.
A l’Office national des produits agricoles du Congo (Onapac), chargé de certifier la qualité et l’origine du cacao destiné à l’exportation, l’activité bourdonne en pleine période de récolte.
L’entrepôt de Beni
Des tonnes de fèves à l’odeur vinaigrée s’entassent sous l’entrepôt de Beni, où des employés remplissent et tamponnent des sacs en toile destinés à l’étranger.
« Les producteurs sont identifiés par un code qui est lié à la zone » afin d’assurer la traçabilité, explique Agee Mbughavinywa, employé d’une compagnie chargée d’acheter et certifier les produits agricoles.
Les sacs sont essentiellement exportés vers l’Ouganda voisin, comme les autres produits agricoles de la région.
Des troupes ougandaises pour épauler l’armée
Depuis fin 2021, la RDC a autorisé la présence dans la région de troupes ougandaises pour épauler son armée contre les ADF, groupe armé d’origine ougandaise.
Cette présence militaire a permis de sécuriser des axes commerciaux vitaux et d’augmenter les exportations, selon l’Onapac. Mais ce rapprochement avec Kampala suscite également des craintes.
Une exportation sous label ougandais qui handicape l’économie
« Les acheteurs ougandais déstabilisent le secteur : ils viennent monnaie en main et imposent leur prix aux producteurs », déplore la directrice de l’Onacap à Beni. « Ils ne regardent pas la qualité, prennent le tout et exportent sous label ougandais, cela handicape l’économie du pays. »
A Beni, les méthodes traditionnelles de culture et un sol particulièrement fertile permettent de produire un café bio.
Menace de l’UE
Mais les violences menacent aussi sa certification biologique : l’UE a récemment menacé de ne plus reconnaître le label attribué aux produits locaux, l’insécurité empêchant les organismes de certification de déployer leurs inspecteurs sur le terrain.
Une mesure qui encouragerait l’exportation frauduleuse de cacao congolais sous label ougandais, estiment les acteurs de la filière.
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