La question énergétique, et plus particulièrement pétrolière, est depuis la Seconde Guerre mondiale un élément essentiel de la politique étrangère américaine.
En février 1945, à bord du navire de guerre américain Quincy, le président Roosevelt s’engageait à fournir une protection militaire à la famille Saoud. En contrepartie, le Royaume d’Arabie saoudite garantissait un approvisionnement énergétique aux États-Unis, dans un monde alors en pleine reconstruction et où le rôle stratégique du pétrole s’affirmait.
Signé pour 60 ans, le pacte de Quincy a été renouvelé pour la même durée en 2005 par George W. Bush. Devenus importateurs nets de pétrole vers la fin des années 1940, les États-Unis ont construit leur diplomatie énergétique dans un monde de plus en plus volatil avec la prise de pouvoir progressive de l’OPEP dans les années 1960, la fin de la convertibilité or du dollar en août 1971 et le premier choc pétrolier de 1973.
Sous l’impulsion d’Henry Kissinger (conseiller à la sécurité nationale de 1968 à 1975, secrétaire d’État de 1973 à 1977 et prix Nobel de la paix en 1973), les États-Unis ont réussi à imposer le dollar comme monnaie de facturation de l’or noir (le pétrodollar), assurant ainsi la suprématie de leur monnaie sur la scène internationale. À la fin des années 1970, Jimmy Carter, le 39e président des États-Unis, établit la doctrine de riposte militaire en cas de menace sur les intérêts américains dans le Golfe persique. Cette mesure scella les relations entre l’Arabie saoudite et les États-Unis dans le golfe Persique.
L’intervention militaire en 1991 au Koweït, après l’invasion du pays par l’Irak, tout comme celle de 2003, ont reposé sur cette logique de défense des intérêts pétroliers américains dans le Golfe. Si les relations entre les États-Unis et l’Arabie saoudite ont enregistré par la suite une dégradation (encouragement de Barak Obama à la démocratisation de sociétés au Moyen-Orient, politique américaine en Égypte en 2011, crise en Syrie, etc.), l’Arabie saoudite reste aujourd’hui le deuxième fournisseur de pétrole américain.
Les projets d’infrastructures énergétiques, tout comme la volonté de s’émanciper de la dépendance envers l’OPEP, sont de nature à favoriser les pays proches des États-Unis, producteurs de pétrole, à l’image du Canada et du Mexique… même si les relations avec ce dernier pays sont particulièrement tendues, notamment sur les questions d’immigration.
Une opportunité pour la Chine
D’un point de vue macroéconomique, les emplois promis par le plan « America First Energy » – s’appuyant sur une relance de la production de ressources fossiles aux États-Unis – repose sur une lecture passéiste des transformations de l’industrie et du marché pétrolier.
Pour l’instant, l’élection et les décisions de l’administration Trump auront eu pour principal effet de doper les capitalisations boursières des entreprises industrielles et de permettre une appréciation du dollar face aux différentes monnaies internationales.
La stratégie de Trump repose en grande partie sur ces effets de court terme censés engendrer de la confiance pour les différents acteurs de l’économie. Mais au-delà de ces effets, les objectifs énoncés risquent d’être difficiles à tenir.
D’un point de vue environnemental, la volonté délibérée et provocatrice de minimiser le problème climatique et d’inscrire les énergies carbonées en priorité nationale risque de se confronter rapidement à un principe de réalité de marché, mais également aux secteurs de l’assurance et de la banque aux États-Unis qui réfléchissent eux à la manière d’appréhender le risque climatique.
En matière de relations internationales, la tentation du protectionnisme, la loi sur l’immigration et les réfugiés sont autant de signaux d’une partie des États-Unis qui souhaite se renfermer sur elle-même. Trump n’est pas en train de remettre les États-Unis sur le devant de la scène mondiale, il déroule le tapis rouge à une Chine conquérante et innovante qui n’en attendait pas moins pour infléchir le cours de la gouvernance mondiale.
Un espace vide, le pragmatisme chinois
L’espace créé par l’administration Trump constitue une réelle opportunité pour l’affirmation d’une gouvernance chinoise au niveau mondial. Par le passé, Pékin a toujours su faire preuve d’un certain pragmatisme en mêlant des objectifs domestiques et une conquête progressive sur le plan international.
De l’ouverture économique de la fin des années 1980 à la libéralisation récente et progressive du yuan, en passant par l’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce en 2001, la « Go Out Policy » (la politique nationale encourageant l’investissement des entreprises chinoises à l’étranger) dans les années 2000 ou encore la multiplication des accords bilatéraux et multilatéraux, chaque étape de l’internationalisation du pays s’accompagne d’une montée en puissance à l’échelle internationale.
D’un consensus de Washington mis en place dans les années 1980 dans le cadre des institutions internationales issues de la Seconde Guerre mondiale (Banque mondiale, Fonds monétaire international), les années 2000 ont vu apparaître un consensus de Pékin, alternatif certes, mais engendrant de nouvelles formes de dépendances avec la Chine.
Dans ce contexte, la création de la Banque asiatique d’investissements dans les infrastructures (la BAII), en mars 2015, prend toute son importance. Pensée au départ pour promouvoir l’intégration régionale en Asie, cette institution est désormais forte de 57 États membres, dont de nombreux pays européens.
La Chine y possède plus de 25 % des droits de vote, bénéficiant ainsi d’une forme de droit de veto. La BAII est en passe de devenir un outil majeur de la politique d’internationalisation chinoise, notamment à travers ses investissements en Asie centrale, un projet global regroupé sous le vocable de « nouvelles routes de la soie » (« One Belt, One Road » ou OBOR). Ce projet apporte une réponse partielle à la problématique pétrolière de dépendance chinoise et constitue un réel enjeu de prestige pour la Chine dans sa réaffirmation en tant que une puissance globale.
À l’heure où Trump cherche à construire des murs, la Chine projette ainsi d’investir près de 4 000 milliards de dollars pour construire des infrastructures (routes, rails, ports, télécommunication) afin de créer une zone couvrant 65 pays entre l’Asie et l’Europe, 55 % du PIB mondial, 70 % de la population mondiale (4,4 milliards d’habitants) pour un chantier de plus de 30 ans !
En maître d’œuvre, Pékin propose donc un projet d’intégration global marqué par le sceau de la connectivité. L’acquisition en 2016 du port du Pirée d’Athènes par l’entreprise chinoise Cosco, afin d’y établir un hub méditerranéen pour les conteneurs chinois, constitue le premier investissement symbolique de ces « nouvelles routes de la soie » en Europe.
Dans le domaine énergétique, La Chine se pose aujourd’hui en leader de l’investissement dans les énergies renouvelables et des questions relatives au changement climatique (finance verte notamment) ; elle risque là aussi de prendre l’espace laissé par les États-Unis et une Europe en pré-campagne électorale. Sur le plan géopolitique, Pekin se pose en diplomate aguerri avec l’ensemble des pays du golfe Persique, Arabie saoudite et Iran en tête.
Le pari du repli sur soi et des énergies carbonées de Trump dans un monde en transition pourrait ainsi constituer une étape cruciale de l’affirmation du leadership chinois mondial… Xièxiè Mister President ! (Merci, monsieur le Président !)
Emmanuel Hache, Économiste et prospectiviste, IFP Énergies nouvelles et Marine Simoën, Ingénieure de recherche en économie, IFP Énergies nouvelles
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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