Samedi 19 décembre, pour la seconde semaine consécutive, des dizaines de milliers de Polonais se sont rassemblés dans toutes les grandes villes du pays pour protester contre la tentative du nouveau gouvernement conservateur de modifier les principes de fonctionnement de la Cour constitutionnelle.
Accusé de préparer, après avoir neutralisé la capacité de la Cour à les défendre, une attaque organisée des principes de la constitution polonaise, le Parti « Droit et justice » (PiS) perd vingt points dans l’opinion publique, deux mois seulement après avoir survolé les élections législatives du mois d’octobre et constitué son gouvernement sur fond d’opposition à l’Europe.
Le conflit s’est allumé lorsque le nouveau parti au pouvoir a annulé, le 26 novembre, la nomination par ses prédécesseurs de cinq juges parmi les quinze de la Cour constitutionnelle. Le parti « Plateforme Civique » avait effectivement maltraité le calendrier des nominations pour désigner de nouveaux juges avant les élections législatives dont il savait qu’il sortirait perdant. Prophétie réalisée, mais le PiS maintenant au pouvoir a joué le coup de force en décidant – sans que ce soit dans ses prérogatives – d’invalider la nomination des cinq juges, accusés de liens d’intérêts avec l’opposition, et de les remplacer lors d’une procédure accélérée le 2 décembre. Le tribunal constitutionnel polonais a eu beau se positionner contre le gouvernement et valider la nomination de trois juges sur les cinq désignés par Plateforme Civique, le nouvel exécutif polonais ne montre aucune intention de faire marche arrière. Dans le même temps, les parlementaires du PiS travaillent à modifier les règles de fonctionnement de la Cour constitutionnelle pour affaiblir sa capacité à bloquer les lois jugées inconstitutionnelles. Les textes en préparation prévoient, par exemple, qu’elle prenne ses décisions par une majorité des deux tiers, niveau de consensus rarement atteint. L’opposition estime donc que le gouvernement cherche à engluer la Cour et à la rendre dépendante de l’exécutif pour que celui-ci, qui contrôle les deux chambres parlementaires, puisse faire adopter des lois dures et potentiellement anticonstitutionnelles.
« Cela va se finir en guerre civile »
« Je suis inquiet et déprimé », indique Andrzej Zoll, ancien président de la Cour constitutionnelle cité par la Gazeta Wyborcza, pour qui le mouvement lancé par le PiS « met fin à vingt-cinq années de démocratie en Pologne ». En milieu de semaine dernière, le 15 décembre, quinze hommes politiques parmi lesquels l’ancien Premier ministre Ewa Kopacz et les anciens présidents Bronislaw Komorowski et Aleksander Kwasniewski, ont publié une lettre ouverte dans laquelle ils se disent eux-aussi « inquiets et opposés » à la tentative du PiS de museler la Cour constitutionnelle. Lech Walesa lui-même est allé jusqu’à dire craindre une « guerre civile » si le gouvernement ne fait pas marche arrière. Intervenant à la télévision publique polonaise le 17 décembre, l’ancien dirigeant a insisté sur l’importance de mener les réformes de façon ouverte et démocratique. « S’ils ne font pas ainsi, je dois les prévenir que cela va se finir en guerre civile. » Des mots lourds qui sont pourtant le résultat d’une observation simple : Quand, le samedi, 50 000 personnes marchent dans les rues de Varsovie contre le gouvernement, elles sont presque aussi nombreuses, le dimanche, à y aller pour le soutenir. Lech Walesa, dont Kaczynski a été l’aide de camp, sait que ce dernier est partisan de la manière forte et pourrait par manque de compromis scinder la population polonaise en deux camps incapables de co-exister, un scénario à la thaïlandaise.
Lech Walesa craint une « guerre civile » si le gouvernement ne fait pas marche arrière.
Le président du Parlement européen, Martin Schulz, a comparé la décision du gouvernement polonais à un coup d’État, renforçant la confiance de l’opposition et provoquant la colère du Premier ministre polonais Beata Szydlo, laquelle a formellement demandé des excuses. Pour ne rien calmer, après que certains membres de l’opposition ont demandé l’intervention de l’Union européenne, Jaroslaw Kaczynski, président du PiS, les a accusés de traîtrise : « Nous avons en Pologne l’horrible tradition de trahir, cette habitude de donner à des puissances étrangères des informations sur la Pologne », cite le New York Times. « Voilà de quoi il s’agit. C’est comme si c’était dans leurs gènes, dans les gènes des pires Polonais. »
Le PiS poursuit la direction eurosceptique et autocratique qui est la marque de fabrique des Kaczynski dont le premier passage au pouvoir en 2006-2007 – les deux frères Lech et Jaroslaw étant respectivement président et Premier ministre – a été marqué par d’importantes tensions avec l’Allemagne. Pour certains critiques, la nouvelle Premier ministre Beata Szydlo n’est pas beaucoup plus qu’une marionnette mise en avant par Jaroslaw Kaczynski, défait lors des précédentes élections présidentielles et législatives, et qui avait besoin de mettre en tête de pont de nouveaux visages pour espérer reprendre le pouvoir.
Changement de style marquant, Beata Szydlo a supprimé le drapeau européen de l’arrière-plan de ses conférences de presse, n’affichant plus que le drapeau polonais dont elle dit « préférer les magnifiques couleurs blanche et rouge ». Sur la crise des migrants, la Pologne s’est depuis octobre fermement opposée à l’Europe et plus particulièrement à l’Allemagne en refusant d’accueillir des demandeurs d’asile, mais en acceptant de contribuer financièrement aux efforts européens.
Le nouveau ministre des Affaires étrangères polonais souhaite également que l’accord entre l’OTAN et la Russie soit revu pour permettre à la Pologne d’accueillir de façon permanente une base de l’OTAN. Peu diplomatique, il argue du fait que cet accord est né parce que « l’Allemagne s’intéresse plus aux intérêts de la Russie qu’à ceux liés à la sécurité dans les pays d’Europe centrale et orientale ». Et pour montrer tout son sérieux, en pleine nuit le 18 décembre, des militaires polonais ont « pacifiquement » pris le contrôle d’un centre de formation de l’OTAN sur leur territoire, mis aux arrêts le responsable du site supposé proche de l’opposition et nommé un nouveau représentant.
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