Au tribunal, Anatoli Berezikov répétait qu’il avait peur de « disparaître ». Deux semaines plus tard, le 14 juin 2023, il est retrouvé mort dans sa prison à Rostov-sur-le-Don, dans le sud-ouest de la Russie.
Anatoli Berezikov est, officiellement, le premier opposant russe au conflit en Ukraine à mourir en détention depuis l’offensive du 24 février 2022. Les circonstances de son décès sont obscures. Raison avancée par les autorités : suicide. Mais ses soutiens, eux-mêmes persécutés par les services de sécurité, rejettent cette version. Ils affirment qu’il a subi des tortures, récurrentes dans le système judiciaire russe, qui pourraient avoir entraîné sa mort. « Les gens peuvent être réprimés sans procès ni enquête. Ils peuvent vous enlever, vous emprisonner, vous perquisitionner, vous intimider, vous torturer et vous tuer », affirme à l’AFP Tatiana Sporycheva, une militante des droits humains ayant aidé Anatoli Berezikov.
À Rostov-sur-le-Don, cet homme de 40 ans à la barbe et aux longs cheveux blonds avait une réputation de joyeux drille anticonformiste, passionné de musique expérimentale et fermement anti-Poutine. Comme lui, des milliers d’anonymes ayant exprimé leur opposition au conflit subissent en Russie la répression du pouvoir faite de menaces, de violences, de milliers d’amendes et de peines d’emprisonnement.
Né en 1983 à Biïnsk, dans la région sibérienne de l’Altaï, Anatoli Berezikov s’est installé dans les années 2010 à Rostov-sur-le-Don, où il fréquente la scène culturelle alternative. « Il travaillait comme tatoueur et perceur, fabriquait des machines à tatouer et les vendait », raconte une amie, sans donner son nom. Usant de son talent pour l’électronique, il fabrique aussi des synthétiseurs analogiques pour des expérimentations de « musique bruitiste ». « C’était un technicien tombé du ciel », d’après Valentin Sokhorev, 52 ans, un ami musicien. Berezikov chine partout des pièces pour ses bricolages. Sur une photo datant de 2019, on le voit en short, torse nu, sur un marché aux puces enneigé. Sa tenue habituelle, hiver comme été. À Rostov, il se déplace à vélo, toujours torse nu.
Tabassé et torturé avec des électrochocs
Parallèlement il milite et manifeste pour le mouvement anticorruption d’Alexeï Navalny, interdit en 2021. Logiquement, il s’oppose à l’attaque contre l’Ukraine. Il a affirmé avoir collé des affiches du projet ukrainien « Je veux vivre », qui aide les soldats russes à se constituer prisonniers sur le front.
Le 11 mai 2023, la police l’arrête. Il effectue successivement trois courtes peines de prison pour des délits présumés, technique fréquemment utilisée contre les opposants avant le lancement de graves poursuites judiciaires. Pendant sa détention, selon ses avocats, il est tabassé et torturé avec des électrochocs. La militante, Tatiana Sporycheva, le voit au tribunal le 31 mai. Elle tourne une vidéo le montrant exténué. « Il avait beaucoup maigri », note-t-elle : « Il répétait ‘‘Ils vont m’emmener, je vais disparaître et personne ne me retrouvera’’. »
Le 14 juin, Anatoli Berezikov meurt en détention, officiellement après s’être pendu dans sa cellule. Mais aucune expertise médicale n’a été rendue publique. Une enquête a été ouverte sur de potentiels sévices ayant conduit au « suicide ». Mais la militante Tatiana Sporycheva et l’avocate Irina Gak, qui s’enquéraient elles aussi de sa mort, ont récemment dû quitter la Russie après avoir été menacées par les services de sécurité.
« Il a pas compris le danger »
Un avocat de l’ONG russe de défense des droits humains « Pervy Otdel » a pris le relais, sous couvert d’anonymat. La famille d’Anatoli Berezikov, pour raisons de sécurité, ne parle pas à la presse. Le musicien Valentin Sokhorev, qui se considérait « presque » comme le grand frère d’Anatoli Berezikov, dit avoir longtemps essayé de le dissuader de militer. « Je lui disais, mon pote, faut pas faire ça. Si tu t’agites cul nu devant un nid de frelons, sois prêt à ce qu’ils te piquent très fort. Donc ne te lève pas. Mais ça, il l’a pas perçu, il a pas compris le danger », estime Valentin Sokhorev. « Il était vaillant mais fou », tranche-t-il.
Lui-même avait vu, lors de la meurtrière crise constitutionnelle de 1993 en Russie, des chars tirer sur le siège du Parlement à Moscou. Dégoûté, Valentin Sokhorev s’est ensuite désintéressé de la politique. « J’ai compris que dans ce pays, celui qui a raison, c’est celui qui a des tanks. Depuis 1996, je ne vote plus », indique cet homme bourru. Il vit dans le village de Davydkovo, près de Moscou, où il cultive un potager. Sous le porche de sa maison, entouré de ses quatre chiens et de l’odeur des plantes après la pluie, Valentin Sokhorev branche sur un ampli l’un des synthétiseurs fabriqués par Anatoli Berezikov.
L’instrument produit des sons électriques stridents. Selon Valentin Sokhorev, certaines personnes ressentent un « sentiment de paix » en écoutant cette tempête de bruits. C’était le cas d’Anatoli Berezikov.
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