Les appellations « droite » et « gauche » sont anciennes puisqu’elles prennent leur origine dans l’histoire de la Révolution française. En 1789, l’Assemblée constituante s’interroge pour savoir si, dans les nouvelles institutions politiques de la France, le roi doit ou non avoir un droit de veto sur les nouvelles lois et si ce droit doit être absolu ou simplement suspensif, pour un temps.
Au moment du vote, les partisans du veto absolu se mettent à droite du président, le côté noble de l’assemblée selon beaucoup d’usages d’origine chrétienne : il est honorifique d’être à la droite du père comme à la droite de Dieu. Ceux qui veulent un veto très limité se rangent à gauche. La géographie de la salle prend ainsi un sens politique : à droite les partisans d’une monarchie qui conserve au roi beaucoup de pouvoirs, à gauche ceux qui veulent les réduire.
Au XIXe siècle, l’utilisation de ce vocabulaire imagé pour classer les positions politiques des parlementaires s’est progressivement développée. Ce sont des formules qui ont le grand avantage d’être simples, et donc de réduire la complexité des idées politiques à une dichotomie. Celle-ci permet aussi, souvent, pour le locuteur de ce vocabulaire, d’identifier le camp du bien auquel il appartient et le camp du mal qu’il dénonce.
Avec très vite, cependant, des sous-catégories pour situer sur une sorte de dimension allant de la droite à la gauche l’ensemble des acteurs politiques, la question étant alors de savoir si tel parti est plus ou moins à gauche ou à droite qu’un autre. On va bientôt parler de « coalitions des droites », de « bloc des gauches », de « centre droit » et de « centre gauche », d’« extrême gauche » et d’« extrême droite »…).
« Le combat des deux France »
Au fil des décennies, les questions qui sont au cœur de la vie politique ont évolué. Sur chaque problème en débat, on a pu repérer une ou plusieurs positions de gauche, une ou plusieurs positions de droite, avec aussi des positions de centre et des indécis. Si au début du XIXe siècle, ce clivage entre gauche et droite oppose, essentiellement, les tenants de la royauté absolue aux partisans d’une monarchie constitutionnelle, il va ensuite mettre aux prises les partisans de la monarchie aux Républicains, puis les tenants d’une République conservatrice aux adeptes d’une République moderne qui fait adopter les grandes lois de la IIIe république : liberté de la presse, libertés syndicales, divorce, liberté associatives…
À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, le débat entre droite et gauche va très largement recouper l’opposition entre défenseurs du catholicisme et partisans de la laïcité de l’État – ce qu’on appellera souvent le « combat des deux France », la France catholique et la France anticléricale. À partir des années 1930, le clivage économique devient dominant, la gauche défendant le socialisme et la droite le libéralisme.
Aujourd’hui les enjeux du débat politique sont peut-être moins ciblés sur une question unique. Le débat économique clive toujours entre gauche et droite, même si les solutions libérales et socialistes ne sont plus exactement les mêmes que par le passé. Le débat sur le libéralisme des mœurs est devenu important depuis les années 1970, avec des débats récurrents sur l’avortement, le divorce, l’homosexualité, le mariage pour tous, l’euthanasie. Il en est de même pour les questions autour de l’immigration et de l’ouverture sur le monde plutôt que la fermeture sur l’univers national, le protectionnisme économique et la défense des traditions culturelles.
Plusieurs droites et plusieurs gauches…
Déjà René Rémond, historien de la politique, parlait dans un ouvrage célèbre de trois droites : une droite légitimiste et contre-révolutionnaire, une droite libérale, une droite bonapartiste. On peut discuter pour savoir si ces trois droites existent encore.
Demeure incontestablement une différence importante entre une droite conservatrice, plus autoritaire, favorable à une économie où l’État conserve un rôle régulateur et protecteur, et une droite libérale en économie qui veut déréguler, libérer le travail et les dynamiques entrepreneuriales, très présente chez Les Républicains, de Raffarin à Sarkozy. La droite bonapartiste, autrefois rapprochée du gaullisme, peut aujourd’hui en partie l’être du Front national qui maintient le culte du chef, de l’ordre et du patriotisme.
Sur chacun des grands domaines qui structurent les débats politiques, on distingue en fait au moins deux droites et deux gauches. Sur les valeurs familiales et le mariage homosexuel, on voit bien qu’il y a à droite une minorité ouverte à une permissivité croissante et à gauche une minorité assez réticente à certaines évolutions. Sur les enjeux migratoires, il en est de même. Les politiques restrictives à l’égard de l’accueil des migrants ne convainquent pas toute la droite et les politiques ouvertes sont loin de faire l’unanimité à gauche.
… sans oublier le centre
Les positions centristes sont souvent difficiles à caractériser car ceux qui se revendiquent du centre politique sont parfois sur des positions intermédiaires concernant un grand enjeu politique, parfois plutôt à gauche sur un enjeu et à droite sur un autre. Les radicaux du début du siècle ont souvent été considérés comme défenseurs de la laïcité et des libertés fondamentales, de ce fait adeptes du « cœur à gauche mais du portefeuille à droite », leurs positions économiques étant plutôt libérales. Alors que les centristes issus de la démocratie chrétienne sont adeptes de politiques sociales, favorables au dialogue entre patrons et salariés, opposés au libéralisme économique débridé mais conservateurs en matière familiale.
Même si on peut repérer des droites, des centres et des gauches qui constituent comme des familles de pensée sur le long terme, les solutions politiques proposées sont donc très différentes d’une période à l’autre. Il n’y a pas véritablement de contenu universel et pérenne associé à ces catégories géographiques.
On ne peut même pas dire, aujourd’hui, que la droite est pour l’ordre et la gauche pour le mouvement, comme on l’a parfois prétendu. Par rapport à l’État providence, c’est la droite qui est réformatrice alors que la gauche est pour la défense des acquis sociaux. Mais à chaque période, gauche, centre et droite sont des repères qui permettent de classer les partis, les hommes politiques et les idées qu’ils défendent.
Des présidentielles qui ravivent les clivages
Les primaires citoyennes ont permis de bien saisir les écarts qui séparent droite et gauche mais, à l’intérieur de chaque camp, on a pu aussi identifier des positions plus à droite et d’autres plus à gauche, les seconds tours des primaires le montrant clairement : à droite entre François Fillon et Alain Juppé, à gauche entre Benoît Hamon et Manuel Valls.
Et il est à parier qu’une grande partie des téléspectateurs du premier débat télévisé avant le premier tour de la présidentielle classent de manière assez semblable, en fonction de leurs compétences politiques, les cinq candidats sur une échelle allant de la gauche à la droite.
Jean-Luc Mélenchon, candidat de la France insoumise incarne une forme de protestation sociale qui refuse les alliances avec la gauche de gouvernement et propose un programme nettement plus en rupture sur les institutions, sur l’Europe, sur la politique économique que Benoît Hamon, représentant de la social-démocratie.
Pas de bonnet blanc et de blanc bonnet
L’affirmation selon laquelle gauche et droite, ce serait la même chose, est donc erronée, mais il est intéressant d’essayer de comprendre ce qui explique cette fréquente impression. Elle apparaît nettement dans les sondages d’opinion dès les années 1980. Un nombre croissant de personnes affirment que gauche et droite n’ont plus de sens. Et pourtant, les mêmes personnes, dans les mêmes sondages, acceptent de se situer sur une échelle allant de la gauche à la droite, revendiquant une certaine identité politique en termes de droite et de gauche. Et, selon leur position sur cette échelle, les individus répondent aussi différemment à de nombreuses questions politiques.
Ce paradoxe peut s’expliquer. Beaucoup se sentent plutôt de droite ou plutôt de gauche en fonction de ce qu’ils pensent, tout en estimant que les gouvernants mettent en œuvre des politiques semblables lorsqu’ils sont au pouvoir. Ils attendent donc des programmes politiques clairs, résumables en propositions de droite ou de gauche. Mais ils sont déçus par les réalisations.
Cette difficulté à mettre en œuvre un programme lorsqu’on est aux affaires tient en fait à plusieurs raisons :
- Les conjonctures changent en cours de mandat et il faut s’adapter aux événements (crise financière, attentats…).
- De nombreux groupes de pression se font entendre pour contester la mise en œuvre de certaines propositions, pressions qui s’avèrent assez souvent efficaces.
- Le Conseil constitutionnel retoque parfois une loi (par exemple sur une tranche très haute d’impôts pour les salaires très élevés).
- Dans un contexte de mondialisation et d’interdépendance des économies, un gouvernement peut difficilement mettre en œuvre une politique trop décalée. Déjà en 1983, François Mitterrand en avait fait l’expérience lorsqu’il préféra le « tournant de la rigueur » plutôt qu’une sortie du système monétaire européen.
- Certaines promesses peuvent être faites en fonction de leur rentabilité électorale supposée, en oubliant la difficulté de leur mise en œuvre. Autrement dit, vendre des idées de droite ou de gauche dans une campagne, c’est aussi faire au moins un peu rêver au détriment des réalités niveleuses.
Les programmes des candidats – tels qu’on peut les lire ou les entendre dans les débats – sont souvent assez techniques mais, au-delà des chiffres et des mécanismes annoncés, les valeurs qui les inspirent sont assez facilement repérables. Certaines différences opposent les radicaux – protestataires – aux modérés, mais beaucoup d’autres renvoient encore et toujours à des valeurs de droite (économie libérale, défense de l’ordre et de la conformité, nationalisme…) opposées à des valeurs de gauche (économie réglementée, défense des libertés individuelles, ouverture sur le monde…).
Pierre Bréchon, professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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