Nous sommes tous contrariés de temps en temps – certains d’entre nous plus que d’autres. Que nous soyons tristes après avoir perdu un proche, en colère contre nos amis ou notre famille ou encore inquiets de l’état du monde, il est souvent bon de tout laisser sortir.
En effet, le fait de partager nos émotions réduit notre stress tout en nous rapprochant des personnes avec lesquelles nous les partageons, en outre tout cela renforce notre sentiment d’appartenance à un groupe social. Lorsque nous ouvrons notre moi intérieur aux autres et qu’ils réagissent avec sympathie, nous nous sentons vus, compris et soutenus.
Mais le terme « partage » recouvre un grand nombre de modes de communication différents. Certains modes sont-ils plus sains que d’autres à long terme ? La science suggère que cela dépend, en partie, de la façon dont on partage et de la façon dont les gens nous répondent. Le fait d’évacuer souvent nos émotions devant les autres peut en fait nous faire sentir plus mal, surtout si nous ne trouvons pas le moyen de prendre du recul sur les raisons de nos sentiments, de prendre les bonnes mesures pour nous apaiser.
Pourquoi avons nous besoin d’évacuer nos émotions ?
Nos émotions sont de précieuses sources d’information, car elles nous alertent lorsque quelque chose ne va pas dans notre esprit ou dans notre environnement. Elles nécessitent notre attention. Que nous devions affronter une personne qui nous maltraite, nous cacher face au danger, chercher du réconfort auprès d’amis, des sentiments comme la colère, la peur et la tristesse nous aident à nous préparer pour affronter toutes ces situations.
Mais si les sentiments sont des signaux internes, pourquoi avons-nous besoin de les confier à d’autres ?
« Nous voulons être en contact avec d’autres personnes qui peuvent nous aider à valider ce que nous vivons, et le fait de s’épancher répond efficacement à ce besoin », affirme le chercheur Ethan Kross, auteur du livre Chatter (le bavardage). « Cela fait du bien de savoir qu’il y a quelqu’un sur qui on peut compter et qui se soucie suffisamment de nous pour prendre le temps de nous écouter. »
Partager permet également de mieux comprendre ce qui provoque nos sentiments difficiles pour les éviter à l’avenir. Parfois, le simple fait de verbaliser ce qui nous dérange en se confiant à quelqu’un permet de clarifier la situation et de nommer les émotions en cause. Ou, si nous sommes pris dans un tourbillon émotionnel, nos confidents peuvent apporter de nouvelles perspectives et offrir des conseils avisés, explique-t-il.
Malheureusement, cette dernière partie de l’équation se perd souvent dans la mêlée, relève-t-il.
« Lorsque nous nous sommes pris dans une discussion où nous évacuons ce que nous avons sur le coeur, nous nous sentons bien sur le moment, car nous sommes en contact avec d’autres personnes », déclare le chercheur. « Mais si nous ne faisons que nous épancher sans fin, nous ne répondons pas non plus à notre besoin cognitif de comprendre ce que nous vivons, d’y donner du sens. »
Ainsi, évacuer ses sentiments peut être bon pour se sentir soutenu, est efficace pour créer un soulagement sur le moment, mais cela ne suffit pas pour passer l’épreuve. Si les autres se contentent d’écouter et de témoigner de l’empathie, ils peuvent en fait, par inadvertance, prolonger nos difficultés à sortir de cet état émotionnel.
Évacuer ses émotions : les mauvais côtés
Pendant de nombreuses années, les psychologues ont cru que les émotions sombres, comme la colère, devaient être évacuées physiquement. C’est ainsi qu’est né un mouvement de « défoulement », les psychologues conseillant littéralement aux gens de frapper des objets mous, comme des oreillers ou des sacs de frappe, pour libérer leurs sentiments inhibés.
Cependant, il s’avère qu’évacuer ses émotions de cette manière n’apaise pas la colère, mais l’augmente au contraire. En effet, en encourageant les gens à donner libre cours à leur emportement, ils revivent le dépit dans leur corps, ce qui renforce les voies neuronales de la colère qui se déclenchera plus vite la fois suivante. Des études sur l’extériorisation de la colère, en ligne ou dans une discussion, ont également montré qu’elle était généralement inutile.
Il en va de même pour le chagrin ou l’anxiété à la suite d’un traumatisme. Bien que nous devions, bien entendu, chercher le soutien de notre entourage dans des moments difficiles, si nous nous contentons de revivre notre expérience sans trouver un moyen de nous apaiser ou d’y trouver un sens, cela ne fait que prolonger le mal.
Pendant un certain temps, les personnes qui travaillaient avec les victimes de traumatismes les encourageaient à faire un « compte-rendu », il s’agissait de leur permettre de verbaliser ce qu’elles avaient vécu pour éviter le stress post-traumatique. Mais une étude randomisée a montré que cela n’était pas d’une grande aide, probablement parce que le compte-rendu ne permet pas à ces gens de prendre du recul par rapport à leur traumatisme. De même, les étudiants qui ont passé beaucoup de temps à évacuer leur anxiété après les attentats du 11 septembre 2001 ont souffert d’une plus grande anxiété que ceux qui ne l’ont pas fait, et leur angoisse a pu se prolonger jusqu’à 4 mois. Comme l’écrivent les auteurs de l’étude, « le fait de mettre l’accent sur les émotions et leur évacuation s’est avéré être un facteur engendrant uniquement une potentielle anxiété à long terme ».
Le fait d’évacuer ses émotions dans les médias sociaux peut avoir le même effet. Dans une étude, des chercheurs ont interrogé des étudiants de l’université Virginia Tech et de l’université de l’Illinois du Nord à la suite des fusillades ayant eu lieu sur ces deux campus. Il s’agissait de déterminer dans quelle mesure le fait de s’épancher sur les médias sociaux leur permettait de se rétablir. Alors que les étudiants pensaient que le fait de laisser libre cours à leur état d’âme était bénéfique, le taux de stress post-traumatique et de dépression ne faisait en réalité qu’augmenter à mesure qu’ils s’exprimaient.
Parler et écouter avec précaution
En plus de nous faire sentir plus mal, faire part de ses émotions peut également avoir un effet négatif sur notre entourage.
Si les amis et la famille qui nous soutiennent sont, espérons-le, suffisamment attentifs pour nous écouter et compatir, il peut être frustrant de s’asseoir avec une personne qui se plaint fréquemment, qui se complaît dans ses problèmes sans tirer de leçon. Et le fait de côtoyer quelqu’un qui reste bloqué dans des cycles de colère, de peur ou de tristesse peut saturer les auditeurs qui finiront éventuellement par « absorber » cet état d’esprit.
« Tout évacuer de façon répétée, encore et encore, peut créer des frictions dans les relations sociales », déclare M. Kross. « Il y a souvent une limite à ce que ceux qui vous écoutent, vos amis, peuvent réellement entendre. »
Je sais que j’exige qu’on m’écoute quand je suis contrarié – et que je n’accepte pas immédiatement les conseils. Car, quand je suis en pleine souffrance, une personne qui essayera de me faire penser à autre chose ou me suggèrera telle ou telle solution me semblera faire preuve d’insensibilité, de condescendance.
Ce n’est pas ce que M. Kross préconise. Au contraire, selon lui, il y a un art d’être à l’écoute. Il faut la bonne combinaison d’empathie et de sympathie, attendre le moment opportun pour proposer une perspective.
« Les gens ne seront pas tous les mêmes, selon ce qu’ils vivent et l’intensité de leurs expériences. Il est très important d’être sensible au fait que certaines personnes peuvent avoir besoin de plus de temps avant d’être prêtes à passer de l’évacuation à la réflexion. »
L’évacuation habile des émotions
Il existe une façon saine de se libérer, note M. Kross, qui, dans les grandes lignes, propose les suggestions suivantes :
Nous devons être sélectif quant au moment où nous évacuons certaines émotions. Il existe de nombreuses façons de gérer des émotions difficiles, et toutes ne concernent pas forcément les gens qui nous entourent. Certains arrivent à prendre du recul d’eux-mêmes, en écrivant leurs pensées ou en prenant de la distance grâce à la méditation. M. Kross recommande de modifier son environnement, en ajoutant des plantes ou en se promenant dans de beaux espaces, pour traiter les émotions et atténuer une rumination qui peut nous maintenir dans un tourbillon émotionnel.
Lorsque nous nous épanchons auprès d’autres personnes, invitons-les à nous suggérer une perspective. Si nous nous surprenons à nous plaindre auprès de quelqu’un sans que nos émotions se dissipent, si éventuellement elles s’aggravent, nous sommes peut-être pris dans de la rumination conjointe, dite la « co-rumination », c’est-à-dire un ressassement qui peut vous garder coincé. Pour s’en sortir, on peut demander à la personne qui nous écoute de prendre du recul par rapport à ce qu’on dit et de nous aider à recadrer l’expérience qui nous fait souffrir, lui demander : « Comment puis-je envisager les choses différemment ? » ou « Que dois-je faire dans cette situation ? » etc. Cela l’incitera à oser vous conseiller, lui donnera l’assurance que vous cherchez autre chose qu’une oreille attentive.
Il faut aussi réfléchir à qui on se confie. Avant de s’épancher auprès de quelqu’un, demandons-nous : « Cette personne m’a-t-elle vraiment aidé la dernière fois que je lui ai parlé, ou est-ce qu’elle m’a simplement fait me sentir encore plus mal ? » Si une personne est là pour vous aider, mais qu’elle ne tend pas à élargir votre perspective, vous risquez d’être encore plus troublé émotionnellement. Faire plus attention à qui on se confie peut vraiment être bénéfique sur le long terme.
Il faut être prudent quand on libère ses émotions sur internet. Si le fait de les partager en ligne peut nous aider à nous sentir mieux sur le moment et à trouver des gens qui nous soutiennent, les résultats peuvent être mitigés. D’une part, sur la toile, les émotions négatives se propagent facilement, ce qui peut engendrer des réactions en chaîne et donner lieu à de l’intimidation ou du trolling, surtout si on identifie explicitement quelqu’un à l’origine de nos émotions. Bien qu’il ne soit pas clair si se confier en ligne est une bonne chose ou pas, cela risque de ne pas nous permettre de trouver l’alternative si nécessaire pour aller de l’avant.
Mais, dans l’ensemble, M. Kross estime qu’évacuer ses émotions est une bonne chose, car cela peut nous permettre de faire face à des sentiments difficiles. Si nous parvenons à dépasser ce stade, nous pourrons nous sentir mieux à long terme et préserver nos relations.
« L’évacuation des émotions a une certaine fonction », dit-il. « Cela permet de satisfaire ses besoins sociaux et émotionnels. Il faut juste trouver le bon dosage et s’assurer de le compléter par un recadrage cognitif. »
Jill Suttie, psychologue, est critique de livres pour le magazine en ligne Greater Good où cet article a initialement été publié.
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