Créer une forêt « sous cloche » pour voir ce que serait la nature sans l’homme, étudier le stress et l’embonpoint des moineaux des villes ou l’hécatombe des têtards décimés par le glyphosate : un centre scientifique du centre-ouest de la France tient depuis 50 ans le rôle de « vigie » de la biodiversité. C’est ce Centre d’Études Biologiques (CEBC) situé à Chizé, unité du Centre National de la Recherche Scientifique, qui, dans une étude en mars, a alerté sur l’effondrement « vertigineux » des populations d’oiseaux dans les campagnes.
On lui doit aussi des travaux sur la désorientation des abeilles ayant alimenté un débat parlementaire sur les néonicotinoïdes. Le « déclin massif » (et encore mystérieux) de la plus grande colonie de manchots royaux au monde, sur les îles Crozet, diagnostiqué en juillet? Encore eux. Avec, dans leurs rangs le biologiste Luc Jacquet, réalisateur du documentaire animalier oscarisé « La Marche de l’Empereur ».
A leur actif aussi: les premières balises Argos miniaturisées posées sur des albatros dans les années 80, à présent perfectionnées au point de traquer les bateaux de pêche illégale dans l’Océan austral.
« Le CEBC est au cœur des enjeux environnementaux actuels, peut-être plus qu’à aucun moment de son histoire », analyse-t-il. « Le suivi à long terme, ce justement sur quoi on était critiqué, est devenu un véritable atout. Détecter, alerter sur des changements, et décrypter les causes de ces variations. Par exemple, on nous disait « A quoi ça sert d’étudier les serpents, leur population, leur évolution, sinon à se faire plaisir? Aujourd’hui, on comprend à quoi ça sert… », explique son directeur Christophe Guinet.
Et ce qui faillit causer sa fermeture dans les années 80, l’absence perçue « d’originalité », de percées scientifiques spectaculaires fait aujourd’hui sa force: « des séries démographiques et physiologiques précises sur le long terme », qui permettent de suivre l’évolution des espèces, « à présent qu’on a pris conscience de l’impact des changements globaux ». C’est à la sortie de la France de l’Otan, en 1966, que le CEBC doit son existence. Dans les années 50, son site était une base de l’Alliance atlantique: 200 hangars à munitions disséminés dans le massif forestier de Chizé, dont les arbres fournissaient un écran en cas de bombardement.
En partant, 450 Gis laissèrent derrière eux une forêt enclose de 2.600 hectares, « sanctuaire » de faune sauvage – dont le chevreuil, le sanglier « pur » non hybridé – qui fournit aux scientifiques leur premier terrain de jeu, d’écologie appliquée. Cette forêt est le joyau « à retardement » du CEBC : elle est depuis 2006 une RBI, une Réserve biologique intégrale, l’une de trois grandes en France. Une forêt livrée à elle-même, où l’homme ne va plus, ne touche plus rien (sauf prélever des sangliers, surabondants), où sa trace s’efface, peu à peu. Pour observer l’écosystème à l’état « de nature ».
Naturel, vraiment? « Ce n’est pas une forêt naturelle à proprement parler, mais une forêt où un cycle naturel se reforme », précise Xavier Bonnet, herpétologue au CEBC. « Plus on rajoute du temps, plus c’est intéressant. En 10 ans, on commence à avoir des changements. En 20 ans, on commence à avoir des processus ». Rien de spectaculaire à l’œil du profane, entre les hêtres et chênes en compétition, les arbres tombés qui pourrissent, sous la dense canopée d’une forêt qui « se ferme » peu à peu. Mais « déjà on voit des peuplements d’espèces qui se différencient », assurent les chercheurs.
Le CEBC et ses 60 chercheurs, étudiants, techniciens travaillent sur trois grands axes: écophysiologie comment les espèces répondent aux variations de leur milieu, prédateurs marins, et relations agriculture-biodiversité, dans la plaine céréalière voisine. Et sur ce plan, la vigie, qui se défend pourtant de « catastrophisme », tire un signal d’alarme darwinien: « les espèces sont certes plastiques, adaptables à court terme et à long terme », rappelle M. Guinet. Mais entre l’habitat dégradé, « rationalisé », et l’agrochimie massive, « les changements sont d’une telle amplitude, si rapides et simultanés qu’aujourd’hui on dépasse les capacités des espèces à s’adapter, à la fois à court terme et en évolution génétique ».
D.C avec AFP
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