Délesté de 1.500 dollars au Baccara, Dong Qiang, industriel hongkongais, quitte une salle de jeux enfumée d’un casino de Sihanoukville au Cambodge, devenue un eldorado pour joueurs et investisseurs chinois qui ambitionnent d’en faire un nouveau Macao.
« Je suis venu ici quelques jours pour m’amuser », explique-t-il, relativisant sa perte. Il a l’embarras du choix: la ville portuaire cambodgienne d’un peu plus de 100.000 habitants – dont un tiers de Chinois aujourd’hui – compte 50 casinos, ouverts par ses compatriotes. De tels établissements de jeux sont interdits en Chine continentale voisine. Le Cambodge, où les réglementations sont clémentes en matière de jeux et de blanchiment d’argent, est devenu une destination refuge.
Objectif des investisseurs chinois à Sihanoukville: répliquer le modèle de Macao, devenue la capitale mondiale des casinos, loin devant Las Vegas en termes de chiffre d’affaires. Et attirer un maximum de touristes dans cette ville cambodgienne où séjournent déjà des dizaines de milliers de Chinois par an. Au rez-de-chaussé de l’Oriental Pearl Casino, sous la lumière criarde des néons et dans un silence de cathédrale, une dizaine de compatriotes de Dong Qiang jouent au Niu-Niu, un jeu de cartes très prisé en Chine.
D’autres enchaînent cigarettes et boissons énergisantes offertes par la maison devant des machines à sous « 50 Dragons ». La plupart des casinos « ont une pièce secrète, dédiée aux jeux d’argent en ligne », auxquels de nombreux Chinois jouent depuis chez eux des sommes colossales, explique un employé interrogé par l’AFP.
La Chine, plus puissant allié régional du Premier ministre cambodgien Hun Sen, a injecté depuis 2016 un milliard de dollars à Sihanoukville, notamment dans le cadre de de son gigantesque programme d’infrastructures des « nouvelles routes de la soie ». Ces investissements ont transformé la ville en un énorme chantier à ciel ouvert, avec des dizaines de complexes hôteliers et de tours en construction.
Pékin ambitionne d’en faire aussi un centre économique. Le port de Sihanoukville ne cesse de grossir. Il a récemment accueilli trois navires de guerre chinois, alimentant les rumeurs d’implantation d’une base militaire par Pékin. La visite du Premier ministre cambodgien Hun Sen dans la capitale chinoise cette semaine a relancé les spéculations à ce sujet.
Quatre zones économiques spéciales abritant déjà plus d’une centaine de sociétés chinoises ont été créées et une quatre-voies reliant Sihanoukville à Phnom Penh va être financée par la Chine. Cet afflux d’argent fait flamber les prix. « Un terrain proche de la mer se vendait moins de 500 dollars le mètre carré il y a encore deux ans, contre plus de 2.500 aujourd’hui », relève Darren O’Shaughnessy de l’agence immobilière CBRE.
Si ce boom profite à quelques Cambodgiens, devenus millionnaires en vendant leur terre, il ne bénéficie pas à la majorité d’entre eux, certains étant même menacés d’expulsion. « Les Chinois ont récupéré 10 hectares de nos terres. On nous demande encore de partir, mais nous préférons mourir que de déménager », s’emporte Boeun Kang, qui habite une cabane en tôle près d’un immense complexe de villégiature chinois en construction.
Les Chinois vivent et travaillent souvent en circuit fermé. Et les petits commerces tenus par des locaux disparaissent au profit d’enseignes en mandarin. Des ONG s’inquiètent aussi des conséquences environnementales de ce développement ultra-rapide, accusant hôtels et chantiers de rejeter directement leurs déchets à la mer.
Mais les autorités locales se veulent rassurantes. « Le PIB par habitant est passé de 1.700 dollars en 2015 à plus de 2.300 dollars en 2017 », affirme à l’AFP Yun Min, le gouverneur de la province.
« Les bénéfices sont mutuels. C’est une chance que nous ne pouvons pas nous permettre de laisser passer », ajoute-t-il, soulignant que Sihanoukville « est érigé en modèle » pour le Cambodge. Quant aux problèmes d’insécurité impliquant des ressortissants chinois, relayés régulièrement dans la presse locale et sur les réseaux sociaux, « la situation est sous contrôle », d’après lui.
Quatre unités spéciales ont récemment été déployées par le ministère de l’Intérieur, relève Chuon Narin, le chef de la police de la province. Un renfort qui n’est pas de nature à rassurer Sok, employée dans un hôtel à la périphérie de la ville. Elle interdit à sa fille de 15 ans d’approcher la nuit des casinos « par crainte de l’alcool, de la drogue et de la prostitution ».
D.C avec AFP
Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?
Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.