C’est l’histoire du nombre Pi qui cherche désespérément son identité. Elle n’est pas racontée dans un manuel scolaire mais jouée devant une classe pour donner goût aux mathématiques, discipline réputée ardue qui redevient obligatoire dans le tronc commun de classe de 1e au lycée.
Dans la salle polyvalente du collège Garcia Lorca de Saint-Denis, Pi est un personnage burlesque qui s’interroge sur l’utilité de ses décimales sans fin ni suite logique dans le monde rationnel des maths. Le spectacle parle des nombres et en filigrane, du « parcours initiatique d’une adolescente en quête de sens », explique à l’AFP François Perrin, metteur en scène, comédien et mathématicien, de la compagnie Terraquée.
Depuis dix ans, son labo « MaThéâtre » arpente les établissements scolaires de la primaire au lycée. Géométrie du ballon de foot, statistiques et politique, histoire des mesures… les spectacles explorent les dimensions culturelles des maths, pour aider les enseignants à faire aimer cette science réputée austère aux plus réticents. « On a constaté que quelque chose se passait au collège autour du goût pour les maths. Jusqu’à la fin du CM2, la matière est globalement populaire – bien plus que la grammaire. À la fin du collège, c’est plutôt l’inverse », analyse François Perrin.
« Comme pour tout, on n’est pas doués partout »
La bascule se fait en 4e, remarque Valentin Beyler, professeur de maths au collège de Chilly-Mazarin (Essonne). « La difficulté s’accroît nettement avec des théorèmes comme Pythagore ou Thalès qui demandent une formalisation du raisonnement à un âge où les adolescents sont en pleine transformation », poursuit ce jeune enseignant qui a monté des ateliers théâtre avec ses élèves.
Beaucoup décrochent, pensant qu’ils n’ont pas « l’esprit matheux », et arrivés au lycée il est souvent trop tard. « C’est une catastrophe », regrette François Perrin. Pour lui, ce blocage est lié à une fausse perception des maths « comme un monde aux règles figées où le droit à l’erreur n’existe pas ».
Une idée reçue que veulent casser les plus grands mathématiciens comme Hugo Duminil-Copin, lauréat de la médaille Fields 2022, selon lequel « on progresse en se trompant ». « Comme pour tout, on n’est pas doués partout », abonde le comédien. Un exemple ? Le Rubik’s cube : certains résolvent le casse-tête d’emblée grâce à une vision spatiale. D’autres y arrivent à tâtons en pensant « une suite de mouvements, avec une situation de départ, une d’arrivée ».
Sur une scène, ce cheminement prend corps et passe par le langage. « Le théâtre permet de verbaliser, c’est indispensable », souligne Valentin Beyler, qui demande à ses élèves de mettre en situation des problèmes mathématiques pour énoncer leur raisonnement à voix haute. Le rapport de l’ancien député et mathématicien Cédric Villani (en collaboration avec Charles Torossian) sur l’enseignement des maths, en 2018, insistait sur l’importance d’un apprentissage fondé sur la verbalisation.
L’ouverture du musée « Maison Poincaré »
Le nouveau musée des mathématiques « Maison Poincaré », que Cédric Villani a initié, a justement jalonné son parcours d’exposition avec des verbes (connecter, modéliser, inventer, visualiser…). « Cela permet aux enseignants de s’appuyer sur les compétences attendues de leurs élèves », dit Sylvie Benzoni, directrice de l’Institut Henri Poincaré à Paris qui a concrétisé le projet de musée, qui ouvrira au public le 30 septembre.
Excitante visite au « #Musée des Mathématiques – Maison Poincaré » grâce à l’@InHenriPoincare!
Un grand merci à Elodie Cheyrou, Adrien Rossille, Sally Secardin et Alegra Calabrese pour leur accueil chaleureux et leur passion inspirante.
Impatients de l’ouverture en octobre! ?️? pic.twitter.com/PWP7OKyKOh
— Association Science Ouverte (@ScienceOuverte) July 18, 2023
Public ciblé : les jeunes à partir de la 4e, « un niveau d’éducation qui inclut la grande majorité des adultes », dit cette mathématicienne qui veut « montrer des mathématiques vivantes, en interaction avec la société ». Avant l’ouverture, Adrien Rossille, médiateur scientifique, prépare ses visites pour les scolaires. « Nous n’avons pas vocation à remplacer les enseignants mais à les aider à répondre à la question récurrente : ‘‘à quoi ça sert ?’’ ».
Au programme : des ateliers sur les probabilités avec des jeux à pile ou face, sur les statistiques avec des tickets de caisse, la visite des dessous de l’intelligence artificielle, d’un jardin virtuel où le butinage des abeilles évoque le mouvement brownien… Ingénieur de formation, Adrien Rossille voudrait réconcilier le public avec l’abstraction : « elle n’est pas forcément synonyme de ‘‘plus loin que la réalité’’. Beaucoup de choses, parce qu’elles sont abstraites, permettent d’expliquer plus facilement des phénomènes grâce au langage commun que sont les maths ».
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