Édito – Depuis la fin des révolutions arabes, et en particulier ces deux dernières années, des charrettes marines de migrants tentent de traverser la Méditerranée, et chavirent. L’île de Lampedusa est habituée maintenant à moissonner des corps gonflés par l’eau de mer – hommes, femmes, enfants. Sur les chemins terrestres passant par l’Europe de l’Est, on trouve aussi parfois des dizaines de corps en putréfaction dans des semi-remorques abandonnés – à nouveau, hommes, femmes, enfants morts asphyxiés. Mais rien jusqu’à aujourd’hui n’avait ému et mobilisé autant que la photographie d’un enfant de 3 ans, ramené par la mer sur une plage de Bodrum, en Turquie. Le week-end dernier, des centaines de manifestations de soutien aux migrants se sont déroulées dans toute l’Europe, relayées par des millions de tweets d’appel à la solidarité, et le monde politique a soudain bruissé de nouvelles propositions de solutions.
Pourquoi cette image a-t-elle remarquée, plus que toutes les précédentes ? Peut-être parce que le petit Aylan, sur cette plage, a l’air d’un enfant qui s’est endormi parmi ses jouets après une longue et belle journée. Ses poings sont fermés, il porte ses petits souliers, son polo rouge est légèrement relevé au dessus de son ventre et chacun, en voyant l’image, regrette de ne pouvoir le redescendre jusqu’à sa taille pour qu’il n’ait pas froid. Seulement, il n’a pas la tête au creux d’un nounours mais dans un trou d’eau. Comme il est seul sur cette grande plage, on est triste de le voir perdu sans sa mère. Avant, lorsque des corps noyés nous étaient présentées par l’actualité, c’était autre chose ; il n’y avait pas Aylan, Kumar, Ahmed, Leila et les autres, juste des rangées de corps et des statistiques : « Nouveau drame de l’immigration : une centaine de morts ». Souvent aussi il n’y avait pas d’images, ce n’étaient que 500, 1 000 ou 1 500 personnes englouties par la mer, juste des chiffres comme lorsqu’on entend venant d’ailleurs parler de « milliers de prélèvements d’organes forcés en Chine », de « dizaines de milliers de personnes torturées pour leur croyance » – l’esprit peut vite voleter ailleurs à la recherche de distraction et d’oubli.
Avec Aylan, c’est différent : depuis la semaine dernière, nous connaissons sa coupe de cheveux, son âge, la couleur de ses vêtements, l’histoire de sa famille. Il est devenu une histoire vivante et n’est plus une statistique. En mourant dans les vagues, l’enfant en a déclenché une grande – cette émotion qui est remontée, s’est transformée en banderoles, manifestations, réunions européennes, analyses – un message massif sur tout ce que nous n’avons pas fait et sur les solutions que nous aurions dû trouver.
À la différence de leurs confrères européens, les médias français n’ont pour la plupart d’abord pas publié la photo d’Aylan, le justifiant par la nécessité de « pudeur » et de sobriété ; en même temps pourtant, leur site web continuait de mettre en exergue les dernières vidéos « trash » de la chanteuse Miley Cyrus ; ceux-là ont une vision du métier qui n’est pas la nôtre : informer, c’est aussi tenter d’éveiller les consciences. Même si elles se rendorment vite : quelques heures après la découverte du corps d’Aylan, transats et parasols étaient de retour sur la plage de Bodrum ; pour les clients des hôtels pour touristes et des camps de vacances, les joyeuses baignades reprenaient.
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