Le Sénat se penche mardi sur une page douloureuse de l’Histoire, avec l’examen d’un texte consensuel destiné à faciliter la restitution par les collections publiques des biens culturels dont les Juifs furent spoliés par l’Allemagne nazie.
L’objectif de ce projet de loi est de fixer un cadre pour faire sortir des biens des musées afin de les restituer à leurs propriétaires légitimes ou ayants droit, sans plus avoir à recourir à des textes législatifs au cas par cas. Après le Sénat, il sera débattu à l’Assemblée nationale.
« Identifier et retrouver ces biens culturels et les restituer aux ayants droit des victimes, c’est aujourd’hui faire œuvre de justice, mais aussi œuvre de mémoire, pour permettre aux descendants des familles juives spoliées de retrouver leur histoire », a estimé la ministre de la Culture Rima Abdul Malak.
100.00 œuvres d’art saisies en France
Les biens concernés – objets d’art, tableaux, livres…– ont été volés par les nazis entre l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler le 30 janvier 1933 et la capitulation allemande le 8 mai 1945. Cent mille œuvres d’art auraient été saisies en France durant la Deuxième guerre mondiale, selon le ministère de la Culture. 60.000 biens ont été retrouvés en Allemagne à la Libération et renvoyés en France. Parmi eux, 45.000 ont été rapidement restitués à leurs propriétaires.
Environ 2200 ont été sélectionnés et confiés à la garde des musées nationaux, œuvres dites MNR (Musées nationaux récupération). Le reste (environ 13.000 objets) a été vendu par l’administration des Domaines au début des années 1950. Nombre de ces œuvres d’art sont ainsi retournées sur le marché.
En 2019, le ministère de la Culture a créé la Mission de recherche et de restitution des biens culturels dont les propriétaires furent spoliés entre 1933 et 1945. Conservé par le musée d’Orsay, le tableau « Rosiers sous les arbres » de Gustav Klimt, a ainsi été rendu aux ayants droit de ses propriétaires. Il faisait partie des 15 œuvres concernées par une loi du 21 février 2022 permettant leur sortie des collections publiques.
Dérogation au principe d’inaliénabilité
Contrairement aux œuvres MNR, l’État ne peut jusqu’à présent être à l’initiative de la restitution d’œuvres entrées dans les collections publiques que par l’adoption d’une loi spécifique permettant de déroger au principe d’inaliénabilité de ces collections.
La loi-cadre aujourd’hui soumise aux parlementaires crée dans le code du patrimoine une dérogation à ce principe d’inaliénabilité des œuvres et biens culturels conservés dans le domaine public. La décision de sortie des collections nationales ne pourra intervenir qu’après avis d’une commission spécialisée. Les victimes pourront, si elles le souhaitent, négocier un accord amiable sur des modalités de réparation autres que la restitution.
Le projet de loi autorise aussi les propriétaires des musées privés ayant reçu l’appellation « musée de France » à restituer, après avis de la commission, les biens de leurs collections qui sont issus de spoliations par les nazis.
« Politique de réparation des spoliations antisémites »
Pour la rapporteuse du texte au Sénat, Béatrice Gosselin (apparentée LR), « il doit s’agir d’une nouvelle étape dans notre politique de réparation des spoliations antisémites ». En commission, seuls deux amendements ont été adoptés par les sénateurs, pour préciser le dispositif applicable aux musées privés. La dernière restitution de biens spoliés par les nazis a eu lieu le 18 avril. La ministre de la Culture a remis deux tableaux aux ayants droit d’Agathe et Ernst Saulmann, ainsi qu’une sculpture aux ayants droits de Harry Fuld junior. Les trois œuvres faisaient partie des biens dits MNR. Au total, 184 œuvres et objets MNR et assimilés ont été restitués depuis 1950. Ce projet de loi s’inscrit dans un travail de mémoire et une politique de restitution entrepris ces dernières années.
Le président Emmanuel Macron a ainsi promis une autre loi-cadre pour procéder à la restitution de biens culturels africains, parfois acquis dans des conditions contestables. Le Sénat examinera en outre en juin une proposition de loi transpartisane pour fixer le cadre général applicable à la restitution de « restes humains appartenant aux collections publiques », telles les têtes maories rendues en 2010 à la Nouvelle-Zélande.
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