Tous les yeux seront rivés sur lui : le Conseil constitutionnel rendra vendredi ses décisions sur la réforme des retraites. Trois scénarios sont sur la table, du probable rejet de certaines mesures à la censure complète, en passant par un premier pas vers un référendum.
Pro-réforme et opposants s’attendent tous à ce que certaines mesures passent à la trappe. Parmi les propositions en danger : l’index senior, qui doit obliger les grandes entreprises à déclarer les salariés de plus de 55 ans, mais pourrait constituer un cavalier législatif. L’index devrait cependant être repêché dans un futur projet de loi. L’expérimentation d’un nouveau CDI en fin de carrière est également menacée. Une censure partielle serait un moindre mal pour l’exécutif, qui pourrait arguer que le cœur du réacteur, le report de l’âge légal à 64 ans, est validé.
« Le Conseil irait dans le sens où il a toujours été », à savoir « ne pas contrer les grandes réformes sociales ou sociétales », estime Lauréline Fontaine, professeure de droit constitutionnel et autrice de « la Constitution maltraitée » (Amsterdam). S’ « il y a censure de points (…) mais pas des 64 ans, alors ça ne répondra en rien à la conflictualité sociale », a prévenu le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger. Des élus de gauche ont déjà annoncé qu’ils continueraient à exiger le retrait de la réforme.
Sur le papier, une validation complète du projet de loi, sans la moindre censure, est également possible, mais improbable d’après plusieurs constitutionnalistes interrogés.
Hypothèse de la censure totale
Les opposants au texte la réclament, et invoquent notamment un détournement de l’esprit de la Constitution par l’exécutif. Pour faire passer la réforme, celui-ci a utilisé un budget rectificatif de la Sécurité sociale, ce qui a restreint la durée des débats parlementaires. Un choix « motivé par aucun autre motif que celui de l’opportunité », a tancé le député PS Jérôme Guedj, qui a aussi évoqué des débats « insincères », notamment sur la revalorisation des petites pensions.
Élina Lemaire, professeure de droit public à l’Université de Bourgogne, souscrit à certains arguments, mais reste circonspecte quant à un rejet pour « détournement » de procédure : « il faudrait en quelque sorte que le Conseil aille scruter la conscience du gouvernement, ce qu’il s’est toujours refusé à faire ». « Ce n’est pas parce que la procédure est inhabituelle qu’il faudrait la censurer », estime le constitutionnaliste Didier Maus. Il soulève pour sa part de potentiels « pièges constitutionnels » : si les Sages estimaient que la réforme aggrave la situation des femmes ou de certaines carrières longues, et qu’il y a « rupture d’égalité ». Cela pourrait conduire à un gros coup de ciseau dans les articles du projet de loi.
Reste l’hypothèse d’un acte fort des Sages. En 1971, ils avaient élargi spectaculairement leur champ d’action en se plaçant en garant des libertés fondamentales. Mais un demi-siècle plus tard, ils sont toujours accusés par certains juristes de docilité envers l’exécutif. « Il pourrait y avoir à nouveau l’occasion d’un coup institutionnel, en se plaçant en gardien de la Constitution face à l’exécutif », avance prudemment Élina Lemaire.
Hypothèse d’un référendum
Les Sages pourraient faire coup double : ne pas censurer l’essentiel de la réforme, et valider la procédure de référendum d’initiative partagée (RIP) de la gauche. Ses initiateurs veulent soumettre à une consultation nationale une proposition de loi afin que l’âge de départ à la retraite ne puisse pas dépasser 62 ans. Les conditions requises semblent réunies (signatures de parlementaires, champ de la proposition…), et le feu vert au RIP est « probable », considère Lauréline Fontaine.
Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, et Jean-Pierre Camby, professeur associé à l’université Paris-Saclay, alertent toutefois dans Le Figaro : l’injonction d’un âge de départ qui « ne peut pas être fixé au-delà de 62 ans » pourrait « contraindre la loi future » et faire tiquer les Sages. Même en cas de validation, la route reste longue. Il faudrait que la proposition recueille 4,8 millions de signatures citoyennes en neuf mois, et qu’elle ne soit pas examinée durant les six mois suivants par l’Assemblée nationale et le Sénat, pour qu’elle soit soumise à référendum.
Reste à savoir ce que déciderait Emmanuel Macron si cette perspective se dessinait au soir du 14 avril. Certains à gauche l’appellent à imiter l’ancien président de la République Jacques Chirac, qui avait promulgué mais jamais appliqué le CPE (contrat première embauche), combattu par la rue.
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