De la guerre de la coquille Saint-Jacques entre Français et Britanniques, au soutien au Brexit, il y a un pas que les organisations de pêcheurs français refusent de franchir, face à des homologues britanniques très favorables, eux, à ce divorce. « Les Britanniques avaient commencé à pêcher un mois et demi avant nous. Ils viennent avec des capacités triples aux nôtres. C’est affolant », se désole Pierre Marie, capitaine en second de la « Bonne Saint-Rita », un coquillard qui débarque ses prises des dernières 24 heures avant l’aube en ce matin d’octobre à Port-en-Bessin dans le Calvados, en Normandie (nord-ouest de la France).
Le pêcheur fait partie des quelque 35 bateaux français qui dans la nuit du 27 au 28 août sont allés « dégager » les Britanniques pêchant à plus de 12 miles nautiques de l’Hexagone, alors que pour les Français la pêche n’ouvre que très progressivement au 1er octobre pour préserver la ressource. Certains bateaux ont subi des dégâts. « Nous on n’a pas tapé, on est resté à distance car c’est pas mon bateau. Mais ça aurait été le mien, j’y serais allé », assure le Normand.
« C’est pas le premier coup qu’on les vire. Tous les ans c’est le même cinéma », ajoute-t-il regrettant que seule une minorité des 200 bateaux invités à participer à l’opération se soient mobilisés. De là à souhaiter un Brexit dur? « C’est un sujet sensible. Il faut voir quelles seraient les contreparties », répond M. Marie qui préfère ne pas trop s’exprimer sur le sujet comme plusieurs autres pêcheurs interrogés ce matin-là.
Pour les coquillards, qui pêchent peu dans les eaux anglaises, « un Brexit dur serait une très bonne nouvelle. Ils sabreraient le champagne puisque la Manche serait séparée en deux et les navires britanniques ne pourraient plus venir sur la zone du large », où les altercations ont eu lieu, confie Olivier Eudes, responsable de la criée de Port-en-Bessin, entre deux poignées de mains aux patrons pêcheurs.
Mais « il ne faut surtout pas un Brexit dur » car les navires hauturiers, eux, réalisent 60% de leurs pêches dans les eaux anglaises, ajoute-t-il. Pour Manuel Evrard, directeur de l’organisation des pêcheurs (OP) de Normandie, un peu plus loin sur le port, « ce serait un raccourci » de dire qu’un Brexit dur serait bon pour les coquillards. « La flotte hauturière est très structurante pour la côte. Ce sont eux qui apportent notamment un gros volume de poisson et qui font tourner les criées », avertit-il, « c’est important qu’on reste unis ».
Un front « solidaire » qui sur les quais de Brixham, de l’autre côté de la Manche, suscite « l’admiration » de Drew McLeod, 50 ans, propriétaire et patron du Van Dijck, un bateau de plus de 15 mètres. Dans ce petit port du Devon de 17.000 habitants, plusieurs bateaux arborent des banderoles clamant les revendications des pêcheurs en vue du Brexit pour lequel, selon les sondages, entre 90 et 92% des pêcheurs britanniques ont voté. M. McLeod aimerait bien que « les chalutiers français soient interdits à moins de 12 miles » des côtes britanniques. « On peut comprendre que les Français qui ont de la ressource (en coquilles, ) devant chez eux ne veulent pas la ruiner », ajoute le patron-pêcheur.
Selon M. Eudes, les Anglais, avec des bateaux de parfois 40 m contre 16 maximum pour les Français, ont « pas mal dévasté la zone » du large, où la ressource a été évaluée à environ 7.600 tonnes de coquilles contre 15.000 tonnes l’an dernier.? Mais selon l’OP, le poids des ponctions britanniques est très difficile à estimer. Et les pêcheurs français vont pouvoir d’ici quelques semaines pêcher dans la baie de Seine, qui affiche en revanche des tonnages record (63.600 tonnes).
Mark Wise, de l’université de Plymouth (sud de l’Angleterre) souligne toutefois que la prudence est de mise en matière de ressource, avec une situation qui peut évoluer très rapidement. Si l’écho donné à la bataille du mois d’août ne reflète pas l’importance de la pêche, « une toute petite industrie » qui représente moins de 1% du PIB de l’UE, déclare-t-il à l’AFP, elle n’en a pas moins « un impact politique » et sera sans doute l’une des questions les plus discutées entre Londres et Bruxelles, prédit-il.
D.C avec AFP
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