Lorsqu’elle confectionnait des gants dans une usine de l’instable région chinoise du Xinjiang, Goulzira Auïelkhan touchait bien moins que le minimum légal mais le travail devait être impeccable.
« On nous disait ouvertement que les gants produits seraient vendus à l’étranger. Et que nous devions bien travailler », explique cette Chinoise originaire du Kazakhstan, un pays d’Asie centrale à majorité musulmane. Rentrée au Kazakhstan, cette femme de 39 ans affirme, comme plusieurs témoins rencontrés par l’AFP, avoir été victime de travail forcé organisé par les autorités chinoises dans le cadre de leur politique de « rééducation » des minorités musulmanes au Xinjiang.
Goulzira Auïelkhan raconte avoir été envoyée dans des usines travailler pour un salaire largement inférieur au minimum légal après être passée par ce que Pékin appelle un « centre de formation professionnelle ». Les autorités chinoises assurent que ces centres, où seraient ou auraient été détenues jusqu’à un million de représentants de minorités musulmanes, en majorité Ouïghours mais aussi Kazakhs, Kirghizes et Hui, font partie de leurs efforts pour lutter contre le terrorisme et le séparatisme dans cette région, théâtre de violentes tensions inter-ethniques et d’attentats meurtriers.
Si Pékin nie tout travail forcé, d’anciens détenus et les organisations de défense des droits de l’Homme dénoncent au contraire une pratique courante. Goulzira témoigne avoir été transférée dans cette usine de la zone industrielle de Jiafang après avoir passé 18 mois dans deux centres de « rééducation » du Xinjiang. Elle réside au Kazakhstan mais raconte avoir été arrêtée par la police chinoise lorsqu’elle est allée au Xinjiang rendre visite à des proches, une situation rapportée par des nombreux témoignages en Asie centrale.
Elle affirme que la vie dans les camps était rude, avec par exemple des passages à tabac à l’aide de gourdins électrifiés pour avoir passé plus de deux minutes dans les douches. Goulzira a d’abord considéré d’un bon œil son transfert, aux côtés de centaines d’autres détenus, dans l’usine de gants. « Tous les jours, on nous conduisait du dortoir vers l’usine, située à trois kilomètres de là », explique-t-elle à Almaty, en enlaçant sa fille de cinq ans qu’elle n’a pas vue pendant près de deux ans.
Goulzira a été payée 320 yuans (42 euros) pour deux mois de travail, avant que l’usine ne soit brutalement fermée en décembre et qu’elle ne soit autorisée à retourner au Kazakhstan. Le salaire minimum au Xinjiang oscille entre 820 et 1.460 yuans par mois, selon les chiffres officiels. Les autorités de Pékin et les responsables du Xinjiang démentent avec vigueur tout lien entre ces « centres de formation professionnelle » et de la main-d’oeuvre sous-payée.
Un représentant des autorités du Xinjiang a réfuté tout travail forcé et affirmé à l’AFP par email qu’il « n’y a aucun contrat existant entre les centres de formation et d’éducation et les entreprises » et qu’aucune de ces dernières « ne recevait de travailleurs issus des centres ». Les organisations de défense des droits de l’Homme affirment cependant que ce lien existe et certaines entreprises ont déjà pris des mesures en conséquence.
En janvier, la firme américaine de vêtements Badger Sportswear a annoncé l’arrêt de son contrat avec son fournisseur du Xinjiang, Hetian Taida, de crainte qu’il ne se serve du travail forcé des prisonniers. Goulzira Auïelkhan estime que sa libération n’est due qu’à une campagne de soutien lancée par son mari et soutenue par des militants des droits de l’Homme kazakhs. Le Kazakhstan est un allié de la Chine et son économie en dépend fortement, rendant très embarrassante pour les autorités l’incarcération de milliers de personnes d’origine kazakhe au Xinjiang.
Les diplomates kazakhs cherchent à régler le problème discrètement en négociant directement avec les autorités chinoises. En décembre, le ministère kazakh des Affaires étrangères a affirmé que plus de 2.000 Kazakhs avaient été libérés et autorisés à quitter la Chine dans un « geste de bonne volonté » de Pékin. Plusieurs proches de Kazakhs détenus au Xinjiang, rencontrés par l’AFP à Almaty dans les locaux de l’ONG Ata Jourt, assurent que les autorités chinoises avaient simplement abandonné les camps de « rééducation » pour d’autres formes d’emprisonnement.
L’une d’entre eux, Aïbota Janibek, 34 ans, raconte que sa sœur Kounikeï l’a appelée du Xinjiang en janvier après des mois de silence pour lui dire que les autorités chinoises lui avaient « assigné un travail » dans une usine de tapis de la région de Shawan. Aïbota a depuis perdu le contact avec sa sœur. Selon d’autres proches, elle a été transférée de l’usine de tapis vers une autre localisation: « Un proche m’a dit qu’elle est maintenant dans une usine qui fabrique des serviettes pour les avions ».
D.C avec AFP
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