De haut gradés bientôt devant la justice financière : un général, un colonel et d’autres militaires seront jugés en septembre 2024 avec une société sous-traitante de la logistique des opérations extérieures (Opex) des années 2010 pour des soupçons de corruption et de favoritisme.
Parmi les prévenus, a indiqué mardi une source judiciaire sollicitée par l’AFP, figurent huit militaires, au premier rang desquels l’ancien chef d’état-major du Centre du soutien des opérations et des acheminements (CSOA), le colonel Philippe Rives.
Seront également jugés un ancien commandant du CSOA, le général Philippe Boussard, un lieutenant-colonel du Commandement des opérations spéciales (COS), Christophe Marie, et le président de la société International Chartering Systems (ICS), Philippe de Jonquières.
Ils sont soupçonnés, à des degrés divers, d’avoir participé dans les années 2010 à une opération ayant permis à ICS d’être favorisée dans l’attribution de plusieurs marchés de logistique, notamment concernant le transport aérien, pour des Opex de l’armée française. « Il ne nous appartient pas de commenter une procédure en cours », a répondu le ministère des Armées, sollicité par l’AFP.
Rappel des faits
L’histoire a démarré en 2016 par un rapport de la Cour des comptes étudiant les Opex françaises, dont leur logistique. Faute de solution tricolore, entre des Transall vieillissants ou des A400M à la livraison retardée, l’armée française a eu régulièrement recours aux « très gros porteurs russes ou ukrainiens », notamment des Antonov 124, « une ressource rare au niveau mondial », comme le rappelaient les magistrats de la rue Cambon.
Comment ? Principalement via deux prestataires extérieurs, l’agence de soutien de l’Otan Salis et le logisticien privé ICS, vieux compagnon de route de l’armée française, pour des contrats se chiffrant en centaines de millions d’euros.
Outre des doutes sur leur avantage stratégique, la Cour des comptes s’interrogeait sur le surcoût des prestations offertes par ICS par rapport à celles de Salis. Il n’est pas possible de « comparer directement » les deux, avait répondu en mars 2018 le ministère des Armées.
La Cour des comptes a finalement signalé à la justice ces faits, comme l’armée un peu plus tard, donnant lieu à une enquête, révélée par le journal Le Monde et ouverte début 2017 par le Parquet national financier (PNF). Les gendarmes de la section de recherches de Paris ont perquisitionné en octobre de la même année le CSOA à Vélizy-Villacoublay (Yvelines) et les locaux d’ICS à Paris.
Dix prévenus
Selon la source judiciaire, le PNF vient de citer à comparaître les dix prévenus, à Paris du 9 au 25 septembre, pour favoritisme, prise illégale d’intérêts, corruption, violation du secret professionnel ou abus de biens sociaux.
L’enquête, riche de 8000 pages selon une source proche du dossier, a abouti, selon des révélations en 2018 de la cellule investigation de Radio France, à la découverte d’échanges soutenus entre plusieurs haut gradés et les responsables d’ICS à des moments-clés de passation de marchés. Les investigations ont également mis au jour plusieurs manipulations potentielles qui auraient permis à la société d’être mieux notée dans les processus d’attribution.
Selon une note de synthèse du PNF de juillet 2022 dont l’AFP a eu connaissance, Philippe Rives, par exemple, est soupçonné d’avoir rédigé « une fiche interne favorable à ICS » ou transmis des informations stratégiques à Philippe de Jonquières, en échange de son embauche future comme directeur général adjoint d’ICS. Il sera jugé pour favoritisme, corruption passive, violation du secret professionnel et prise illégale d’intérêts. Son avocat Matthieu Hy n’a pas souhaité commenter.
Philippe Boussard est, lui, suspecté de favoritisme, en ce qu’il aurait contribué à ce qu’ICS soit « privilégiée » dans l’attribution des missions, « pour un surcoût minimum estimé de 16,3 millions d’euros ». « Il ne doute pas que l’audience permettra de faire toute la lumière sur la réalité de ce dossier », selon son avocate Me Sandrine Dos Santos.
Dans une procédure distincte pour atteinte au secret de la défense nationale concernant l’enquête de 2018 de Radio France, trois journalistes ont été entendus en décembre 2022 en audition libre par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).
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