Vous bénéficiez d’une expertise, d’une qualification et d’une capacité d’autonomie ? Félicitations, vous voilà désormais candidat au portage salarial !
Signée en mars 2017 et bientôt appliquée, la nouvelle convention collective du secteur va permettre à un plus grand nombre de travailleurs indépendants de sécuriser davantage leur activité.
Loin d’être une pratique nouvelle, le portage salarial, apparu dans les années 80, se structure réellement depuis deux ans. Il permet à un travailleur autonome d’exercer, dans le cadre d’un contrat de travail par nature protecteur, sa prestation préalablement négociée avec son client.
L’objectif du portage salarial est simple : rattacher des professionnels autonomes à la sphère du salariat afin de leur faire bénéficier des protections sociales associées. Le salarié porté sécurise ainsi son activité, par nature risquée.
Plus de 60 000 salariés français portés
L’entreprise de portage salarial se rémunère par l’établissement de frais de gestion, établis en pourcentage du chiffre d’affaires réalisé par le porté. Un peu comme pour l’intérim, la relation est tripartite : le salarié porté, la société de portage salarial et le client du salarié porté.
Selon la Fédération des entreprises de portage salarial (FEPS), plus de 60 000 salariés sont portés en 2015 en France. Ils n’étaient que 15 000 en 2006. Avec un taux de croissance de plus de 233 % en dix ans, cette pratique est donc en pleine expansion et a de quoi séduire. Entre salariat et indépendance, le portage apparaît comme une forme hybride de mobilisation de la main-d’œuvre qui possède un double avantage : une indépendance technique forte et la protection sociale du salariat.
Vers une société de travailleurs indépendants ?
L’essor du portage salarial ne peut s’expliquer sans une montée parallèle du nombre de travailleurs indépendants. Le succès annoncé du portage salarial serait-il à rechercher du côté des non-salariés ?
En 2015, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), l’emploi non-salarié en France métropolitaine représentait 10,3 % de l’emploi des personnes ayant entre 25 et 49 ans.
Comme on peut le voir dans le graphique ci-dessous, cette proportion est relativement stable depuis plusieurs années. Cependant, il est vrai que des mesures comme la mise en place du statut de l’auto-entrepreneuriat depuis maintenant huit ans, vont dans le sens d’une inscription dans la sphère de l’indépendance d’activités qui ne l’étaient pas avant, ou qui n’existaient pas.
Statut d’emploi et type de contrat en France
Des politiques en faveur de l’entrepreneuriat
Plus généralement, favoriser la création d’entreprises est, dès les années 1970, un objectif de politique économique, visant d’abord à réduire le chômage. Et, avec un taux de chômage particulièrement élevé en France (10 % en 2015, selon l’Insee), on comprend aisément les efforts du gouvernement pour [r]éveiller les intentions entrepreneuriales des Français.
Finalement, devenir un travailleur indépendant serait-il le nouveau moyen d’être salarié ?
Si les « indépendants de toujours » peuvent se réjouir de la création de la branche dédiée au portage salarial en décembre 2016 ainsi que de la signature de la convention collective, cela pose question pour tous les autres indépendants – ceux qui le deviennent un peu « par hasard ». Encourager une création d’entreprise semble ainsi moins risquée, puisqu’il est possible, en parallèle, via les sociétés de portage, d’être salarié et protégé.
Le journalisme à la pige comme cas d’école
Ainsi, certaines professions se trouvent aujourd’hui chahutées par l’essor de l’auto-entrepreneuriat et du portage salarial. Ces professions sont celles pour lesquelles il existe une indépendance technique forte et un contrat travail salarié. Un exemple pertinent est celui du journalisme exercé à la pige.
Pour comprendre, revenons quelque 80 ans en arrière… En 1935, lorsque la loi Brachard fait du journalisme une profession à part entière, exercée par des professionnels identifiables, elle fait également du journaliste professionnel un salarié. Elle délimite ainsi un périmètre, écartant des individus qualifiés d’amateurs du champ des professionnels et du salariat.
Parmi eux, les pigistes, qui sont vus comme des journalistes amateurs, car ils ne cumulent pas les trois critères nécessaires à la qualification de professionnel : exercer une activité principale, régulière et rétribuée, dans le journalisme. Ces pigistes sont des journalistes payés à l’article, collaborant pour plusieurs titres.
Or, certains sont devenus de plus en plus professionnels et leur dépendance économique à l’égard de leur(s) donneur(s) d’ordre ne fait plus de doute. Avec le temps, la multicollaboration devient une réalité de la profession que la loi ne peut plus ignorer. Ainsi, la proposition de loi Cressard de 1974 bouleverse le journalisme : elle fait entrer, au moyen de la présomption de contrat de travail à durée indéterminée, ces pigistes dans la sphère du salariat.
Aujourd’hui, les journalistes pigistes sont donc des professionnels présumés salariés. Le portage salarial et l’auto-entrepreneuriat n’ont donc a priori pas leur place dans le journalisme. Pourtant, en étudiant les données de la Commission de la Carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP) depuis 2000, nous avons constaté que certains journalistes déclarent une activité annexe en tant qu’auto-entrepreneurs.
Mais si la profession ne portait pas spécifiquement attention à cela au tout début, la CCIJP semble refuser aujourd’hui les demandes de cartes professionnelles aux journalistes qui indiquent avoir cette expérience en tant qu’auto-entrepreneur, même si celle-ci rapporte une infime partie des revenus.
Ne pas encourager la création d’entreprises sans conditions
C’est une façon de décourager ces pratiques à la limite de la légalité, puisque le journalisme ne peut pas être exercé sous statut d’auto-entrepreneur, du fait de la présomption de salariat existante. Témoin de ces évolutions dans la profession, le collectif de journalistes pigistes « Les Incorrigibles » a publié un article le 10 juin 2010, intitulé « Le doux rêve du pigiste auto-entrepreneur ».
Lors des assises annuelles du journalisme à Strasbourg en 2010, un atelier a même été organisé sur le thème : « Journalistes pigistes, journalistes auto-entrepreneurs. Piges, droits d’auteur, auto-entreprise, portage salarial : quel est le statut le plus pertinent pour les journalistes qui travaillent à la tâche. Avantages et inconvénients de chaque formule ».
Les pratiques à l’œuvre dans le journalisme illustrent la complexité des formes de mobilisation de la main-d’œuvre, entre salariat et indépendance, et des droits attachés à chacune de ces sphères.
Source de plus de protection pour des travailleurs autonomes, le portage salarial apparaît donc comme une pratique séduisante… Mais il ne doit pas encourager la création d’entreprises sans conditions.
Clémence Aubert-Tarby, Enseignant-chercheur en économie du travail et économie des médias, PSB Paris School of Business – UGEI
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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