Que penser de la décision du Président Macron d’intervenir devant le Congrès du Parlement ce lundi 3 juillet ? L’annonce de cette mesure ne devrait pas surprendre puisque durant sa campagne présidentielle il avait prévenu qu’il userait régulièrement de cette possibilité constitutionnelle pour « rendre compte de son action ». Il faut noter, cependant, qu’en intervenant dès maintenant le Président ne cherchera pas à faire le bilan des premières semaines du quinquennat mais à fixer un cap et des réformes à engager, comme le fait chaque année son homologue américain dans son discours sur l’état de l’Union ou la Reine dans son discours du trône au Royaume-Uni.
Rappelons qu’inspiré de l’exemple américain, l’article 52 de la Constitution de la deuxième République (4 novembre 1848) prévoyait que le Président « présente, chaque année, par un message, à l’Assemblée nationale, l’exposé de l’état général des affaires de la République. » Dans cette optique, un discours devant le Congrès permet au Président seul et en majesté de prendre la parole sans contradiction possible et d’échapper aux questions sur les affaires qui ont entaché les débuts du quinquennat. Le recours au Congrès permet, en outre, de bénéficier d’une écoute nationale dont étaient privés les messages présidentiels lus au Parlement.
Les messages au Parlement : un instrument aux effets limités
Jusqu’à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le président de la République ne pouvait se rendre au Parlement pour s’adresser aux représentants de la nation. Cette interdiction tirait son origine du « cérémonial chinois » instauré par la « loi de Broglie » du 13 mars 1873 qui interdisait quasiment de parole Adolphe Thiers, chef de l’État d’une troisième République balbutiante, dont l’ascendant sur les députés et le talent oratoire risquaient de faire basculer la chambre en faveur de la République.
La loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 est allée plus loin encore en interdisant l’accès des assemblées parlementaires au chef de l’État qui ne pouvait communiquer avec les chambres que « par des messages qui sont lus à la tribune ». Les Constitutions de la IVe et de la Ve Républiques ont consacré cette conception étroite de la séparation des pouvoirs. Ainsi le premier alinéa de l’article 18 de la Constitution de 1958 dispose-t-il que le chef de l’État « communique avec les deux assemblées du Parlement par des messages qu’il fait lire et qui ne donnent lieu à aucun débat ».
Acceptable en raison de l’effacement de la fonction présidentielle sous la IIIe et la IVe République, cette disposition semble totalement inadaptée du fait de l’orientation présidentialiste de nos institutions, du poids de l’information continue et du foisonnement des réseaux sociaux. Le comble de l’archaïsme n’a-t-il pas été atteint le 27 mai 1975, à l’occasion de la célébration du centième anniversaire du Sénat, quand il a fallu « déparlementariser » l’hémicycle en en retirant la tribune, pour que le Président Giscard d’Estaing puisse prononcer un discours dont le contenu n’a pas été reproduit dans le Journal officiel des débats du Sénat, afin de respecter les usages ? Aussi a-t-il paru nécessaire de dépasser cette conception obsolète de la séparation des pouvoirs, ce qui a été fait en 2008.
Le Président Mitterrand grille la politesse à Pierre Mauroy
Il serait pourtant erroné de dévaloriser tous ces messages qui ont jalonné la vie politique de la Ve République : le Général de Gaulle y a recouru cinq fois, Georges Pompidou trois fois, Valéry Giscard d’Estaing une fois, François Mitterrand six fois, et Jacques Chirac trois fois. Jusqu’à Nicolas Sarkozy, tous les présidents de la République y ont eu recours pour marquer leur entrée en fonction et ils n’ont pas hésité parfois à griller la politesse à leur premier ministre comme va le faire Emmanuel Macron ce lundi 3 juillet. Georges Pompidou s’est adressé au Parlement dix jours seulement après son élection, Valéry Giscard d’Estaing trois jours après la sienne et François Mitterrand, en 1981, quelques heures avant que Pierre Mauroy ne prononce son discours de politique générale à l’Assemblée nationale.
Certains ont marqué un moment important de la vie politique du régime. Ce fut notamment le cas des messages du général de Gaulle mettant en œuvre l’article 16 (25 avril 1961), évoquant les accords d’Évian sur l’Algérie (20 mars 1962), traitant de l’élection du Président au suffrage universel direct (2 octobre 1962) ou saluant le renouvellement de l’Assemblée nationale après sa dissolution (11 décembre 1962).
Il en est allé de même le 8 avril 1986 lorsque François Mitterrand a accepté la première cohabitation avec pour seule règle : « la Constitution, rien que la Constitution, toute la Constitution ». Mais plus encore, doit être retenue son adhésion au présidentialisme, quand Mitterrand déclara le 8 juillet 1981 : « J’ai dit à plusieurs reprises que mes engagements constituaient la charte de l’action gouvernementale. J’ajouterai, puisque le suffrage universel s’est prononcé une deuxième fois, qu’ils sont devenus la charte de votre action législative. »
Comment ne pas voir dans cette déclaration les fondements de la toute-puissance présidentielle ? Élu sur ses 110 propositions, le Président nomme un gouvernement qui doit en faire son programme gouvernemental, que la majorité législative alignée sur la majorité présidentielle traduira en arsenal législatif. Le quinquennat et l’inversion du calendrier n’ont fait qu’institutionnaliser et renforcer cette lecture présidentialiste des institutions et que certains dénoncent aujourd’hui en évoquant le spectre du pouvoir absolu et le retour à l’hyper présidentialisme.
Un instrument plus efficace : le discours présidentiel devant le Congrès
Conscients du faible écho des messages présidentiels, le général de Gaulle et Valéry Giscard d’Estaing avaient souhaité y remédier avant de renoncer devant les oppositions soulevées par cette réforme. Il a fallu attendre la révision du 23 juillet 2008 suscitée par Nicolas Sarkozy, pour que soit ajouté un deuxième alinéa à l’article 18 selon lequel le Président « peut prendre la parole devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès. Sa déclaration peut donner lieu, hors sa présence, à un débat qui ne fait l’objet d’aucun vote. »
Loin d’une intervention du Président devant l’une ou l’autre chambre suivie d’un débat non sanctionné par un vote, comme l’avait envisagé le rapport du Comité Balladur, la réforme est restée bien timide. La déclaration présidentielle ne peut se faire que devant le Congrès. Elle n’est suivie d’un débat qu’en l’absence du Président. Présentée comme un moyen de renforcer les pouvoirs du Parlement cette réforme d’apparence bénigne a aussitôt entraîné des critiques, voire l’hostilité d’un certain nombre de parlementaires qui craignaient déjà que le Président ne domine et ne court-circuite son premier ministre.
Rien d’étonnant si la première application du nouvel article 18, le 22 juin 2009, ne fut pas concluante. Nicolas Sarkozy avait convoqué les parlementaires à Versailles pour leur faire part des réformes nécessitées par une crise économique « sans précédent » : retraites, construction de prisons, problème de la burqa. Mais le Congrès boycotté par les Verts et les communistes vit le Parti socialiste refuser de prendre part au débat qui suivit le discours du Président.
Le second recours au Congrès par François Hollande, le 16 novembre 2015, n’a guère été plus convaincant. Trois jours après les attentats du Bataclan et Saint-Denis, et soucieux de renforcer « l’unité nationale » le Président a notamment indiqué qu’il souhaiter une révision de la Constitution pour constitutionnaliser l’état d’urgence et étendre la déchéance de nationalité aux bi-nationaux nés Français et « condamnés pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la nation ». Or malgré les applaudissements et une Marseillaise entonnée par l’ensemble des Parlementaires debout, cette belle unanimité n’a pas duré et les mesures envisagées ont été la cause d’une profonde déchirure de la majorité avant d’être abandonnées.
Que penser alors du recours au Congrès par Emmanuel Macron ?
Après la présidence normale, le choix du présidentialisme
Comme en 2009, plusieurs élus ont décidé de boycotter la réunion du Congrès. Tel est le cas de la France insoumise et de certains UDI. Il est amusant de voir aujourd’hui, à droite Bernard Accoyer ou Jean‑Christophe Lagarde reprendre à leur compte les arguments des élus de gauche qui s’opposaient à la réunion du Congrès de 2009 et d’invoquer à leur tour la cherté et l’inutilité d’un déplacement à Versailles.
Or voici que de surcroît le Président a choisi de s’exprimer le 3 juillet, un jour avant le discours de politique générale du premier ministre, décision qualifiée par la plupart des commentateurs d’humiliation d’Édouard Philippe : Olivier Faure, président du groupe PS à l’Assemblée nationale y voit ainsi « une humiliation totale d’Édouard Philippe relégué dans le rôle de répétiteur. » Jean Christophe Lagarde (UDI), membre du groupe des « constructifs », un « rabaissement », et Chloé Morin directrice de l’observatoire de l’opinion à la fondation Jean Jaurès « une humiliation terrible pour le chef du gouvernement ».
Derrière les postures et les récriminations il faut tenter de comprendre. Certes, l’intervention du Président un jour avant le discours de politique générale du chef du gouvernement peut surprendre. Faut-il y voir une mauvaise manière du chef de l’État à l’égard de son premier ministre (ce qui n’a guère de sens en ce début de quinquennat), ou plus précisément un retour aux fondamentaux de la Ve République établis dès 1964 par le général de Gaulle et avalisés jusqu’en 2012 par ses successeurs de droite comme de gauche ?
À l’opposé de la « présidence normale » de son prédécesseur, le Président Macron souhaite renouer avec la conception présidentialiste des institutions. Dans cette optique le recours annuel à la convocation du Congrès ne peut que renforcer la prééminence présidentielle même si l’Élysée se défend de toute volonté de rabaisser le premier ministre. Il est logique d’imaginer que les deux « dyarques » se sont accordés sur la répartition des rôles, l’un mettant en œuvre les grandes orientations qu’aura tracées l’autre la veille.
Ce qui inquiète les opposants, c’est que face à la montée en puissance de Jupiter toutes les grandes figures des « partis de naguère » aient été éliminées, les oppositions balkanisées et le Président renforcé au Palais Bourbon par une majorité hétéroclite et hégémonique, et ce dans un climat d’attentisme voire de défiance de l’opinion. C’est donc l’hétérogénéité de la majorité législative et l’absence de tout contre-pouvoir qui peuvent inquiéter une opinion. Celle-ci se demande combien de temps pourra durer une expérience qui risque de se heurter à la rue pour faire passer ses réformes.
Christian Bidegaray, Professeur émérite de Sciences politiques, Université Nice Sophia Antipolis
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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