Doliprane sous pavillon américain : comment l’État veut faire passer la pilule

Par Germain de Lupiac
14 octobre 2024 04:56 Mis à jour: 14 octobre 2024 04:56

Le Doliprane, le médicament le plus vendu en France, est sur le point de passer sous pavillon américain. Sanofi a annoncé le 11 octobre négocier avec le fonds d’investissement américain CD&R pour lui céder le contrôle de sa filiale de produits en vente libre Opella.

Cette annonce s’est accompagnée d’une bronca chez des politiques de tous bords, dont certains ont exhorté le gouvernement à bloquer cette opération, au nom de la souveraineté sanitaire française.

L’État, qui ne semble pas démentir ce rachat, assure négocier favorablement pour que les sites de production restent en France, sans réelle garantie.

Le Doliprane sur le point de passer sous pavillon américain

Le groupe pharmaceutique français Sanofi a déclaré le 11 octobre « avoir entamé des négociations avec CD&R pour la cession potentielle d’une participation de contrôle de 50% dans Opella », confirmant des informations de presse. Il ne fournit pas de détail sur cette opération de grande envergure concernant cette filiale chapeautant une centaine de marques dont le populaire Doliprane, Mucosolvan, Maalox, Novanuit, etc.

Selon le journal Les Échos, le potentiel repreneur américain a offert plus de 15 milliards d’euros pour Opella, qui se revendique numéro trois mondial des médicaments sans ordonnance, vitamines, minéraux et compléments alimentaires.

Ce projet de séparation avait été annoncé il y a presque un an pour permettre à Sanofi d’accélérer dans l’innovation et se positionner en champion de l’immunologie et à Opella de se concentrer sur son domaine, considéré plus proche d’une logique de consommation que de la pharmacie.

Depuis, cette scission soulève des préoccupations en France concernant l’avenir du Doliprane, fabriqué à Lisieux (Calvados) et Compiègne (Oise) et sur des risques de délocalisation.

Sanofi répète depuis des mois que sa séparation d’Opella ne marque pas la mort du Doliprane et que les Français continueront d’en trouver en pharmacie.

Avec pour preuve, 50 millions d’euros déjà investis sur la dernière décennie sur le site de Lisieux qui produit la quasi-totalité du Doliprane, auxquels s’ajoutent actuellement 20 millions d’euros supplémentaires pour augmenter de 4 0% la capacité de production du Doliprane dans les prochaines années.

La France ne suffit plus

Opella a beau avoir des racines françaises et le Doliprane être sa deuxième marque en termes de revenus, la France ne représente qu’environ 10% des ventes de cette entité qui a réalisé 5,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023.

Une autre offre était menée par le fonds français PAI Partners aux côtés de co-investisseurs internationaux mais Sanofi a préféré l’option américaine qui a présenté une offre supérieure, selon des sources concordantes.

Un choix qui s’explique, selon ces sources, par le fait que CD&R est un fonds de 26 milliards de dollars, beaucoup plus gros que PAI (7 milliards d’euros), qui aura l’argent disponible pour soutenir la croissance d’Opella.

Le fait que les Etats-Unis soient le premier marché d’Opella avec près de 25% de son chiffre d’affaires a également fait pencher la balance au profit du groupe américain, qui a par ailleurs déjà réalisé des investissements en France (Conforama, Rexel, Spie ou encore Socotec).

« Très préoccupant pour notre sécurité nationale »

Des parlementaires de tous bords et des chefs de parti ont exhorté le gouvernement à bloquer, au nom de la souveraineté sanitaire française, la vente à un fonds américain d’Opella, filiale de Sanofi responsable de la fabrication du Doliprane.

Plusieurs chefs de parti ont aussitôt tiré à boulets rouges sur leurs réseaux sociaux. « La vente à la découpe de la France se poursuit », a tancé Jordan Bardella (RN). « Aucune leçon n’aura été tirée du Covid », a pointé Marine Tondelier (Écologiste). C’est « une honte » et « encore un symbole de notre perte de souveraineté », a jugé Fabien Roussel (PCF).

L’opération « pose un enjeu très préoccupant pour notre sécurité nationale », écrivent une soixantaine de députés issus des groupes Ensemble pour la République, Horizons, MoDem, Droite républicaine (ex-LR), et Liot (indépendants), à l’initiative du député Charles Rodwell (EPR).

Parmi les signataires, l’ancien ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin ou le chef du groupe Horizons Laurent Marcangeli.

L’opération irait à l’encontre du « rétablissement de la souveraineté française en matière de santé », alertent-ils dans un courrier commun au ministre de l’Économie, Antoine Armand. Ils demandent à l’exécutif d’invoquer un article du Code monétaire et financier lui permettant de soumettre à une autorisation préalable des investissements étrangers dans des secteurs sensibles.

Plus tôt, les députés LFI avaient fait la même demande. « Ces gens sablent le champagne en désindustrialisant la France », ont-ils dénoncé, pointant « une vente à 15 milliards d’euros… et 7 milliards de cadeaux aux actionnaires en perspective ».

Le patron du groupe Droite républicaine Laurent Wauquiez, et le rapporteur général du budget de la Sécurité sociale Yannick Neuder (DR), ont également écrit au ministre : « Il est indispensable que l’État agisse pour protéger nos fleurons industriels et assurer la souveraineté sanitaire de la France ».

« Alors que le paracétamol était déjà introuvable il y a quelques mois… ils l’abandonnent ? Ni bon pour notre santé ni bon pour nos emplois », a dénoncé sur X le patron des députés socialistes Boris Vallaud, appelant le gouvernement à « réagir ».

Inquiétude partagée par la fédération chimie-énergie de la CFDT qui a demandé dans un communiqué « l’intervention des pouvoirs publics afin que Sanofi reconsidère cette vente ». La décision du groupe, « guidée par une logique strictement financière, menace non seulement l’emploi mais aussi la qualité et l’accessibilité » du Doliprane, un « médicament essentiel pour des millions de Français », estime le syndicat.

Le gouvernement français croit pouvoir garder des sites de production sur son sol

Le gouvernement français est convaincu d’obtenir des engagements de maintien en France de sites industriels de la filiale de produits grands publics de Sanofi, qui produit le Doliprane, et que le groupe français veut céder à un fonds d’investissement américain, a déclaré le 13 octobre le ministre délégué à l’Industrie, Marc Ferracci.

« Nous allons discuter de ces engagements dans le cadre de la procédure qui a été introduite ces dernières années, qu’on appelle la procédure de contrôle des investissements étrangers », a indiqué le ministre.

« Je pense très sincèrement que des engagements seront pris, qui seront très solides, à la fois pour maintenir les emplois et pour maintenir la sécurité de l’approvisionnement des Français » en médicaments, a-t-il ajouté.

Les engagement de Sanofi et du nouvel investisseur devront porter sur « le maintien de sites de production en France » et sur « le maintien de la recherche et développement en France », a souligné le ministre de l’Industrie.

M. Ferracci a également indiqué qu’il comptait se rendre avec le ministre de l’Économie Antoine Armand sur le site de Lisieux, où Opella possède un site de production.

« Dans les prochains jours nous allons nous rendre sur le site de Lisieux pour écouter les préoccupations des salariés et discuter avec eux de ces fameux engagements », a-t-il indiqué.

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