Reims, Nantes, Limoges, Villerupt… Marseille n’a plus depuis longtemps l’apanage des règlements de comptes meurtriers liés au trafic de stupéfiants. Les fusillades plus ou moins sanglantes touchent désormais tout le territoire, témoignant de la violence des affrontements entre délinquants pour le contrôle des points de deal.
Trois morts par balle en cinq jours en mai à Valence (65.000 habitants, Drôme). Cinq blessés dont trois graves, également en mai, à Villerupt (10.000 habitants, Meurthe-et-Moselle). Même chose à Courrières (10.000 habitants, Pas-de-Calais), en mai aussi, avec deux blessés dont un grave. Et toujours le trafic de drogue (cannabis, cocaïne, etc.) comme fil rouge. « Il semble qu’il y ait une concurrence de plus en plus forte entre malfaiteurs pour la maîtrise du territoire ou la conquête du territoire, c’est-à-dire des points de vente des stupéfiants », analyse Yann Sourisseau, le patron de l’office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO).
Et cette concurrence féroce s’accompagne, ajoute-t-il, d’une « augmentation de la violence armée avec une volonté incontestable d’éliminer physiquement des concurrents ». Autrefois, se souvient un enquêteur, les affrontements entre bandes rivales se faisaient « dans la rue, à coup de pioche », ou donnaient lieu à « des tirs sur les façades d’immeuble » pour intimider.
« L’intensité du narco-banditisme a franchi un palier »
La police fait une distinction entre les « règlements de compte classiques » avec victime identifiée, planification de l’assassinat, mobile bien établi qui représentent « 60 à 70 faits par an en moyenne » et « les pseudos règlements de compte » que sont les homicides volontaires ou tentatives d’homicides entre délinquants, en très forte hausse. Cette seconde catégorie n’est mesurée que depuis 2020, aussi il y a peu recul pour l’évaluer. En 2022, « 236 faits ont été recensés avec 65 victimes décédées, en hausse de 12% par rapport à 2021 », selon les données de l’OCLCO. « 37% des faits ont eu lieu dans le Sud » de Toulouse à Nice, en passant par Marseille.
Et les premiers chiffres de 2023 sont alarmants : du 1er janvier au 31 mai, « 144 faits » d’homicides ou tentatives d’homicides ont été recensés faisant 43 morts et 155 blessés, soit une hausse de 65% par rapport à la même période de 2022, toujours selon l’OCLCO.
Yann Sourisseau relève « un éparpillement » des faits sur le territoire atteignant des villes de plus petite taille qu’auparavant, citant Rennes ou Nantes, qui apparaissent comme des points de passage des trafics entre le Sud-Ouest et la Bretagne. L’axe Île-de-France/Lyon, Grenoble/Marseille/Nice jusqu’en Corse, reste un classique, comme en témoignent les récentes fusillades sanglantes. Si à Valence par exemple, relève un expert de la police judiciaire interrogé par l’AFP, « l’intensité du narco-banditisme a franchi un palier depuis environ 2 ans, le phénomène touche d’autres villes comme Cavaillon, Avignon, Dijon, Nantes ou Besançon ».
Une répression inadaptée face à « l’ensauvagement des trafics »
Pascal Bolo, adjoint à la maire de Nantes en charge de la sécurité, va plus loin et considère qu’il s’agit d’« un problème national d’industrialisation du narcotrafic ». Policiers, magistrats, élus font le même constat, à l’instar du procureur de la République de Rennes, Philippe Astruc, qui relève « une agressivité extrêmement forte autour des parts de marché » que constituent les points de deal, depuis la sortie de la crise du Covid.
« L’usage des armes pour tuer semble s’être répandu. On ne peut que constater une augmentation des faits, même s’il faut être prudent sur l’analyse des évolutions criminelles constatées sur deux ou trois ans », relève le patron de l’OCLCO. Et pourtant, insiste-t-il, l’engagement des services de l’État contre les trafics de drogue est important, le taux d’élucidation des affaires aussi et les peines prononcées par la justice élevées.
Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, explique régulièrement que ces fusillades sont la preuve que les opérations de démantèlement des points de deal qu’il a assignées à la police portent leurs fruits. Les préfets le martèlent en écho. Mais les élus, peu convaincus, réclament des renforts de police et des réponses concrètes. Arnaud Robinet, maire LR de Reims, a ainsi fustigé une « inutile politique du chiffre de pénalisation des petits consommateurs qui n’a pas d’effets sur la radicalisation des trafiquants ». À ses yeux, « la répression actuelle n’est plus en lien avec l’ensauvagement des trafics ».
Des petites mains, des victimes jeunes et peu connues de la justice
Tous notent le jeune âge des victimes, mais également des auteurs des faits, qui, en outre, selon Frédéric Gallet, secrétaire du syndicat de police Alliance en Ille-et-Vilaine, font usage de leurs armes « de manière décomplexée, sans être aguerris ».
« Pour une poignée de milliers d’euros, les trafiquants peuvent trouver un jeune pour planter un coup de couteau ou tirer sur quelqu’un sur un point de deal. C’est sensiblement le même prix que pour conduire un gofast », confie un enquêteur d’Île-de-France. M. Sourisseau note que « parfois, ce sont de jeunes individus, peu connus des services de police, qui ne sont pas directement mêlés aux conflits et qui vendent leurs services à leurs commanditaires ».
Les victimes ont un profil similaire : peu connues de la justice, elles avaient, en 2022, « moins de 25 ans dans 53% des cas et moins de 20 ans dans 13% des faits ». Le trafic de stupéfiants, considéré par les malfaiteurs comme une « activité commerciale », leur « impose de vendre leur marchandise, c’est-à-dire de disposer des meilleurs points de vente, pour réaliser le maximum de bénéfices », estime le patron de l’OCLCO.
L’augmentation des faits d’homicide volontaire s’explique « sans doute », selon lui, « par une concurrence montée d’un cran depuis plusieurs années entre groupes de malfaiteurs qui entendent mettre la main sur un territoire rentable. Ce sont uniquement des enjeux pécuniaires qui motivent ces actes ». La France est le plus gros consommateur européen de cannabis.
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