La peinture est encore fraîche mais Sukhdeep Singh, fier propriétaire des lieux, imagine déjà les familles de réfugiés prendre place dans cet ancien foyer d’accueil du sud de Vienne, où il a lui-même passé ses premières années de vie en Europe.
Il avait débarqué là de son Inde natale, alors qu’il n’était qu’un adolescent. Désormais chef de projet au sein du groupe allemand Siemens et père de trois enfants, il a décidé de sauver l’immeuble des promoteurs immobiliers.
« Je ne voulais pas qu’il soit repris par une personne sans aucun lien avec la maison et son histoire », explique à l’AFP le trentenaire, barbe taillée et grands yeux clairs.
Rénover 16 appartements
Sukhdeep Singh s’est donc lancé dans un projet unique: rénover les 16 appartements, dont quatre seront mis à disposition de réfugiés – qui n’auront pas de loyer à payer.
Les fils électriques courent encore dans les escaliers et la ponceuse est reine, mais quand tout sera fini en mars, des familles pourront venir s’installer, tandis que le reste du lot sera loué au prix du marché pour rembourser le crédit.
Arrivé seul de la région du Punjab en 2003 après un éprouvant voyage à travers la Russie et l’Europe centrale, le jeune homme a trouvé refuge dans cet immeuble sans cachet, situé dans une zone industrielle.
« Pour être honnête, ma première impression du bâtiment a été terrible », se souvient-il.
Au dernier étage, il montre la petite pièce où il a vécu six années. « Là il y avait mon lit, et ici c’était le deuxième couchage », dit-il en désignant le coin de la pièce où habitait un adolescent afghan.
En dépit de ce cadre de prime abord peu avenant, Sukhdeep Singh s’est attaché aux lieux, qu’il a associés au fil du temps à un esprit de bienveillance et de persévérance.
Otto Tausig, a parrainé ses études
La maison accueillait alors une cinquantaine de mineurs non accompagnés venus d’Afrique, de Moyen-Orient et d’Asie.
L’adolescent y a joué au foot, a tissé des liens, a appris la culture locale et l’allemand auprès des travailleurs sociaux, enseignants et psychologues.
Traité avec respect, il a pu intégrer le système scolaire autrichien, un parcours couronné d’un diplôme universitaire.
C’est aussi là qu’il a rencontré un acteur et écrivain juif, aujourd’hui décédé.
Otto Tausig, qui a parrainé ses études, avait réuni les fonds pour acheter le bâtiment dans les années 1990 avant d’en faire don à une ONG protestante nommée Diakonie, dans le but d’accueillir de jeunes exilés comme lui jadis.
Ce Viennois avait échappé dans sa jeunesse aux nazis et fui à Londres.
Parallèlement à sa carrière au théâtre et au cinéma – où il a par exemple joué dans la « Reine Margot » ou « Place Vendôme » -, Otto Tausig consacrait son énergie à soutenir des causes.
Il tenait particulièrement à ce foyer, à qui il avait donné le nom de sa grand-mère, Laura Gatner, morte comme des millions d’autres dans un camp.
Prendre exemple sur les gens qui ont du cœur
C’est l’héritage de son mentor que veut perpétuer l’immigré indien, dans un climat de plus en plus hostile aux étrangers.
Alors que les contrôles aux frontières se durcissent, le nombre de demandeurs d’asile mineurs isolés est tombé à 390 en 2018, contre 8.300 en 2015.
Dans le même temps, le chancelier conservateur Sebastian Kurz défend une ligne dure face à l’immigration.
« Cet accueil que j’ai reçu, ce n’est plus le même aujourd’hui », regrette Sukhdeep.
Alors, quand il a appris que le foyer allait être vendu faute de jeunes envoyés à l’ONG par les autorités, il a pris les devants pour offrir un peu de chaleur humaine aux nouveaux venus.
Une jeune femme originaire du Moyen-Orient et sa fille de 12 ans, actuellement hébergées dans une structure gouvernementale, seront parmi les premières résidentes de son havre.
Sukhdeep Singh montre fièrement l’appartement de 45 m2 où l’enfant pourra avoir sa chambre et lire et étudier dans le calme.
« Vous imaginez la petite dans le centre (où elle se trouve actuellement), comment peut-elle y faire ses devoirs? », s’inquiète-t-il.
Dans l’entrée de l’immeuble, des carreaux de mosaïque rouges, bleus et jaunes épellent toujours le nom de Laura Gatner.
« Quand on cherche un modèle, il ne faut pas se tourner vers les grandes fortunes », souligne le nécessiteux devenu bienfaiteur. « Mieux vaut prendre exemple sur les gens qui ont bon cœur ».
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