Face au risque d’arrivée d’environ 50.000 migrants par mois en Italie, le gouvernement de Giorgia Meloni a décrété l’« état d’urgence migratoire » sur l’ensemble du territoire national pour les six prochains mois. Alors que Rome est à la peine en matière de lutte contre l’immigration illégale et que l’exécutif transalpin a déclaré en février travailler à faire venir légalement 500.000 nouveaux immigrés pour l’année 2023, certains souverainistes, à l’image de l’économiste Philippe Murer, accusent la femme politique élue sur le modèle de l’union des droites de « trahison » envers ses électeurs : sans sortie de l’Union européenne, ce scénario était inévitable, argue-t-il.
Depuis la fin de la crise du Covid-19, le nombre de migrants qui débarquent sur les côtes italiennes n’a jamais été aussi massif. Lors de ces premiers mois de l’année 2023, 31.292 migrants ont mis le pied dans la péninsule, contre 8000 l’année précédente : une augmentation de 300 %. Et la situation risque d’empirer à l’approche de l’été, des experts projetant des vagues migratoires à hauteur de 50.000 migrants chaque mois, soit un peu moins de 2000 personnes par jour. Le ministère de l’Intérieur s’attend ainsi à l’arrivée d’au moins 400.000 nouveaux migrants cette année, voire 1 million si la situation économique et sociale en Tunisie devait encore s’aggraver. Pour tenter d’endiguer cette explosion des flux migratoires, Rome a donc déclaré mardi 11 avril l’état d’urgence à l’échelle nationale pour les six prochains mois.
Quelles mesures comprend cet état d’urgence ?
Selon le site d’information Il Post, « [cet] acte permet au gouvernement d’adopter des ordonnances en dérogeant aux lois en vigueur, afin d’affronter plus efficacement une situation d’urgence ».
Cet état d’urgence a vocation à assurer une gestion plus souple des 115.000 migrants (hors réfugiés ukrainiens) qui occupent en ce moment des structures d’hébergement saturées, et à élargir le nombre de centres d’accueil et de centres de rapatriement, en prévision des futurs débarquements. Les autorités italiennes entendent ainsi mettre en place « de nouvelles structures, adaptées à la fois aux besoins d’accueil, au traitement et au rapatriement des migrants qui ne remplissent pas les conditions requises pour séjourner sur le territoire national », indique un communiqué gouvernemental.
Une mesure réclamée par le ministre de l’Intérieur Matteo Piantedosi, qui vise notamment à « décongestionner » le hotspot de Lampedusa, celui-ci hébergeant quatre fois plus de personnes que ne le permet sa capacité d’accueil de 400 places.
Pour la première fois depuis 2011, année durant laquelle le gouvernement de Silvio Berlusconi avait déclaré un état d’urgence humanitaire, un commissaire spécial sera nommé pour prendre en charge le dossier migratoire. En étroite collaboration avec la protection civile et la Croix-Rouge, celui-ci aura à sa disposition cinq millions d’euros et le pouvoir de réquisitionner navires et avions pour répartir les migrants sur l’ensemble du territoire italien, mais aussi, dans le cadre de l’ouverture de nouvelles structures, acheter ou louer des immeubles afin d’organiser leur accueil ou leur rapatriement. Également, des acteurs privés (hôtels, etc.) pourront être plus facilement impliqués et les procédures de transfert des migrants d’un centre à l’autre seront accélérées. Chacune des 20 régions de l’Italie devra être dotée d’un centre d’identification et de rapatriement, dont le nombre s’élève aujourd’hui à 10 et dont la fonction consiste à renvoyer dans leur pays d’origine les migrants ne remplissant pas les conditions pour demander le statut de réfugié, la protection subsidiaire ou bien la protection spéciale.
« Soyons clairs. Le problème n’est pas résolu », a tenu à faire savoir Nello Musumeci, ministre pour la Protection civile et les Politiques marines. « La solution réside dans une intervention réfléchie et responsable de l’UE mais l’Italie se trouve une fois de plus toute seule. »
Une mesure qui n’a, cependant, pas manqué de susciter des critiques à gauche. « [L’état d’urgence] va autoriser le gouvernement d’extrême droite de Meloni à rapatrier rapidement ceux qu’elle considère comme étant des migrants illégaux. Cela va voir des conséquences dévastatrices en termes de droits humains », dénonce Alissa Pavia, directrice associée de l’Atlantic council en charge de l’Afrique du Nord, dans une série de messages postés mercredi dernier sur Twitter. « Depuis des années, des ONG présentes dans le sud du pays ont demandé de l’aide pour faire face aux conditions de vie inhumaines dans les centres d’hébergement. Mais rien n’a été fait », souligne la chercheuse qui recommande plutôt d’« améliorer le système d’asile italien » et de « s’attaquer aux défis de l’intégration pour normaliser la cohabitation entre la population et les migrants ».
« Si vous refusez d’appliquer les lois européennes sur l’immigration, la BCE vous asphyxie financièrement »
Contacté par téléphone, l’économiste Philippe Murer analyse les raisons de cette crise migratoire en Italie. Rappelant que l’immigration illégale a quadruplé depuis l’arrivée de Giorgia Meloni au pouvoir, malgré son élection reposant essentiellement sur une promesse de fermeté sur ce chantier clé, M. Murer juge que l’impuissance de l’exécutif à contenir les vagues de migrants prend sa source dans le droit européen. Supérieur par primauté au droit national, il encadre juridiquement les politiques d’immigration depuis la signature du traité d’Amsterdam en 1997 et la promulgation de plusieurs directives européennes.
Par exemple, en raison de la « directive retour » adoptée en 2008, un migrant, dont la situation a été jugée irrégulière suite à un refus d’octroi d’un titre de séjour, doit d’abord se voir proposer un « retour volontaire » d’une durée maximum de 30 jours pour quitter le territoire européen, avant que le recours à la force, en vue de procéder à son éloignement, ne soit autorisé. « Cela oblige à les attraper deux fois », résume en substance Philippe Murer. Quand bien même, poursuit-il, en vertu de notre appartenance à l’espace Schengen et de l’article 77 du traité de Lisbonne, qui vise à développer une politique assurant « l’absence de tout contrôle des personnes, quelle que soit leur nationalité, lorsqu’elles franchissent les frontières intérieures », un migrant peut aisément rejoindre un autre État membre et disparaître. Quant aux frontières extérieures, la Commission européenne, institution non-élue démocratiquement et régulièrement accusée de vouloir une immigration massive, refuse de financer des mesures de protection, en dépit des demandes de nombreux États membres. Philippe Murer de marteler : « Sans frontières, pas de gestion des flux d’immigration ».
Sur le volet de l’immigration légale, ce dernier rappelle la déclaration choc du ministre de l’Agriculture italien, Francesco Lollobrigida, qui a affirmé en février dernier que l’exécutif transalpin comptait faire entrer 500.000 migrants légaux en 2023 sur le territoire italien : « Nous ne sommes pas contre l’immigration », à tel point que « cette année seulement, nous allons travailler pour faire venir environ 500.000 immigrés légaux ». Une autre « trahison » du gouvernement Meloni envers ses électeurs, estime Philippe Murer, qui a précisé que l’immigration massive a cours partout en Europe, même en Hongrie, car « tout est fait pour qu’il y ait de l’immigration quand un pays appartient à l’UE. Selon Eurostat, même au pays de Viktor Orban, la part d’immigration légale est si substantielle que, rapporté au niveau de la population française, le nombre d’entrées est équivalent à 500.000 par an, y compris avec des personnes d’origine extra-européenne. « Dire qu’il n’y a pas beaucoup d’immigrés extra-européens en Hongrie, c’est un mensonge. »
Pour lutter contre l’immigration sans sortie de l’Union européenne, il faudrait refuser d’appliquer les lois européennes, ce qui poserait un problème constitutionnel, entraînant un conflit aussi bien avec les juges européens que ceux issus des plus hautes juridictions françaises, explique l’homme souverainiste : en France, le principe de primauté du droit de l’UE est inscrit dans notre Constitution à l’article 55. Quand bien même un personnage politique parviendrait par voie référendaire à s’opposer aux cours de justice françaises et européennes, la Banque centrale européenne (BCE), en représailles, viendrait alors étrangler la France monétairement en privant les banques nationales de liquidités : un moyen de pression aussi discret que puissant employé quelques années plus tôt contre le gouvernement grec d’Alexis Tsipras, rappelle l’économiste. Lors du référendum du 5 juillet 2015, 61% des Grecs ont voté massivement « non » au plan d’austérité demandé par les créanciers européens (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international). Mais comme l’écrivent Les Échos, « il aura fallu six mois aux créanciers de la Grèce pour faire comprendre à Alexis Tsipras qu’il n’a pas d’autre choix que de poursuivre le programme d’austérité de ses prédécesseurs ».
« À moins de sortir de l’euro, il n’y a donc d’autres choix que de se plier à l’Union européenne. Même si un politique décidé arrive à la tête de l’État, il ne pourra durcir la politique anti-immigration que dans une certaine mesure, tant qu’elle n’est pas plus stricte que celle prévue par le droit de l’Union européenne », conclut Philippe Murer.
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