Le Gabon s’industrialise. Non content d’exporter ses ressources, le pays a entamé une mutation structurelle afin de devenir l’un des principaux centres de production de produits finis du continent. Dans ce petit pays d’à peine plus d’un million et demi d’habitants, les mots « diversification », « croissance inclusive » ou encore « développement durable » sont sur toutes les lèvres au sein de la classe politique, mais pas seulement. Les Gabonais se les approprient également de plus en plus, ayant compris que s’y trouvait leur avenir.
Alors que l’Afrique multiplie les initiatives afin de se remettre de la plongée vertigineuse du prix du baril de pétrole – dont l’exportation soutenait largement la croissance de nombre d’États – un pays semble d’ores et déjà se sortir d’affaire. Ayant très tôt fait le choix de réinvestir les retombées de ses rentes d’hydrocarbures dans sa diversification, le Gabon a su anticiper cette crise, et a entamé sa transition avant de devoir mettre ses dépenses publiques à la diète. Alors que dans nombre d’États d’Afrique et tout particulièrement d’Afrique centrale, le processus d’émergence n’en est encore qu’à ses balbutiements, le Gabon peut se targuer d’avoir mis sur pied un socle solide d’industrialisation qui commence à porter ses fruits. Ainsi, un peu plus de 5 ans après sa création, la Zone économique à régime privilégié (Zerp) de Nkok figure parmi les plus grandes réussites du pays. Grâce au démarrage des activités de joint-venture entre l’État gabonais et le groupe international singapourien Olam, le nombre d’emplois directs créés a augmenté de +6% en trois mois, passant de 1148 à 1216 emplois entre février et mai de cette année.
Cette politique volontariste d’industrialisation a été lancée par le Président Ali Bongo Ondimba dès son arrivée au pouvoir au tournant de la décennie. Conscient de la richesse du pays (son sol, sa biodiversité, ses minéraux rares…) il a tout fait pour que ce dernier cesse de brader ses ressources, et les transforme directement sur son territoire afin d’exporter des produits disposant d’une réelle valeur ajoutée. Il est épaulé dans cette mission par Maixent Accrombessi, directeur du cabinet présidentiel et chantre de la diversification économique dans le pays, ayant perçu très tôt « le risque de « jobless growth » qui caractérise les pays dont l’économie se base sur les industries extractives. »
Pour éviter cet écueil, le Gabon a décidé de soutenir les initiatives locales et de renforcer l’écosystème national plutôt que de s’endormir sur les lauriers de la rente pétrolière. « Le Gabon a choisi, avec vision et volontarisme, non plus une simple croissance de son PIB, mais une transformation structurelle, seule garante d’une croissance durable et inclusive. Un choix incarné et détaillé dans le Plan Stratégique Gabon Emergent », expliquait Maixent Accrombessi, interrogé sur la dynamique gabonaise lors de la session « Transformer l’investissement en une croissance durable et inclusive » du New York Forum Africa, en 2014. Pour lui, la maturation du pays « passera par la diversification de l’économie, et le développement des filières stratégiques ».
La mise en place d’un cadre propice à l’éclosion d’une industrie polymorphe a de fait permis de soutenir divers pans de l’économie gabonaise. Le secteur agro-industriel a connu un développement sans précédent. Les performances réalisées ces dernières années dans la filière bois, l’industrie des mines et du manganèse sont elles aussi très honorables. Depuis l’interdiction d’exportation des grumes, le chiffre d’affaires de l’industrie du bois a triplé, passant de 38 milliards de FCFA en 2009 à 114 milliards de FCFA en 2014. La production des unités de sciage a, durant la même période, connu le même essor. Les unités de placage ont augmenté de 70% en moins de cinq ans. La production d’or, qui était artisanale et désorganisée, est passée de 30 kilos en 2009 à… 1245 kilos en 2014.
L’industrie minière s’est offert un nouveau parc d’infrastructures qui agit comme palliatif à la chute du prix du pétrole. En cheville avec les autorités gabonaises, le groupe français Eramet a ainsi investi plus de 240 millions d’euros dans la construction d’un énorme complexe industriel dédié à la transformation du manganèse, ayant permis de créer 432 emplois directs et au moins autant dans la sous-traitance. Fini, donc, l’export du manganèse brut vers l’Europe, l’Asie ou l’Amérique du Nord, où il était transformé en acier, désormais c’est au Gabon que se crée la valeur ajoutée. Et si la contribution du secteur minier au PIB reste modeste (environ 6 %), à terme, ces efforts devraient la voir décoller.
Ce dynamise n’a pas manqué d’attirer l’attention des acteurs et investisseurs étrangers. Les groupes marocains Maroc Export et Banque Centrale populaire ont ainsi organisé le 1er juin un forum d’affaires dans la capitale gabonaise. Cette rencontre visait à connecter les entreprises gabonaises et marocaines opérant dans le même secteur. Elle concrétise le rapprochement entre les deux États, rapprochement largement dû à l’attractivité nouvelle du Gabon. De même, depuis le 30 avril dernier, la société chinoise Hai Shen Rong Hua s’est installée au sein de la ZERP de Nkok.
L’entreprise, spécialisée dans la conception et la fabrication de batteries de véhicules est devenue la première à se lancer dans cette industrie inexistante au Gabon. Autant de signes qui montrent que le Gabon prend son avenir en main, et que s’y dessine de façon chaque jour plus probante une révolution industrielle en bonne et due forme.
Consultant en géopolitique et relations internationales, possédant une forte expertise Afrique, Philippe Escande intervient essentiellement dans ce périmètre, où il aide les entreprises internationales à acquérir une vision à la fois globale et précise de leur environnement-métier, ainsi qu’à mesurer les risques sur le patrimoine humain et économique.
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