« J’aurais préféré prendre dix ans de prison » : le quotidien d’Alexandre Frey, « gilet jaune » de 37 ans, a été bouleversé depuis qu’un tir de lanceur de balles de défense (LBD) le 8 décembre à Paris, lui a « explosé » l’œil droit et « gâché » la vie.
Cet intermittent du spectacle, habitant de Vendeuil-Caply dans le département de l’Oise, assiste désormais aux manifestations devant sa télévision, entre deux opérations du visage. Amer et inquiet, il s’adapte petit à petit à « (sa) nouvelle vie ».
« Marcher, c’est plus la même chose, conduire ou aller à la piscine j’y pense même plus ! », déplore le Picard, rencontré le 13 mars par l’agence France Presse (AFP). Pour lui, rien ne sera plus jamais comme avant : « On peut me donner toutes les indemnités du monde, on m’a pris une partie de moi, c’est marqué sur mon visage ce qui m’est arrivé ».
Sous des cheveux bruns, tenus en arrière par un serre-tête, un visage anguleux, aux traits tirés par la fatigue. En chemise blanche et jean bleu, il raconte son acte 4 des « gilets jaunes », débuté dans les rues de la capitale, « souvent en première ligne » lors des heurts, et achevé prématurément avec « son œil dans la main ».
Vers 14 heures, dans une rue voisine des Champs-Élysées, « ça tirait de partout, ça cramait, c’était la guerre », affirme Alexandre Frey. Le manifestant dit s’être réfugié avec d’autres « gilets jaunes » derrière un kiosque et avoir dans un premier temps reçu deux tirs de LBD, à la jambe et au torse.
« Mon ami est touché (…) je le mets sur le coté et en me relevant je vois qu’on nous met encore en joue. Là, je la prends dans l’œil, elle m’explose l’œil, l’orbite, la rétine, tout », se remémore Alexandre.
Ses amis l’aident à s’extraire des affrontements. Il est pris en charge par un intervenant de la Croix Rouge, puis par les pompiers et enfin opéré en urgence pendant près de six heures. « J’avais la pommette explosée, le nez explosé (…) on m’a fait 70 points de suture à l’œil », assure le trentenaire.
Son visage reste mutilé, mais « le chirurgien a fait un bon boulot », selon lui. « Il m’a dit tout de suite : « Monsieur Frey, je vais pas tourner autour du pot, vous avez perdu l’œil ». J’ai pleuré comme tout homme l’aurait fait ».
Le 17 décembre, il porte plainte pour « violences aggravées », certificat médical à l’appui, et l’IGPN ouvre une enquête. Vient ensuite le temps des questions pour ce jeune père de famille.
« Ma vie est gâchée. Ce qui m’importe le plus, c’est le regard de mon fils de dix ans. Je lui dis quoi, qu’un policier m’a tiré dessus alors qu’ils sont censés nous protéger ? », s’interroge Alexandre Frey.
Pourtant, sa rancœur ne se porte pas sur les forces de l’ordre : « J’en veux juste à ces politiciens, qui donnent des ordres effroyables ».
Chaque samedi, il désespère de découvrir de nouveaux cas de violences policières à la télévision. « J’ai les boules. Les femmes (blessées), les mains explosées, les lynchages, franchement ça me fait froid dans le dos », lâche-t-il la gorge nouée.
L’avenir s’annonce incertain pour Alexandre Frey qui espère pouvoir retravailler un jour comme intermittent. « Je fais de la régie, dans le milieu il faut bien présenter », doute-t-il toutefois.
Depuis sa blessure, il a pu compter sur la solidarité d’autres « gilets jaunes », notamment via une cagnotte lancée sur internet qui a récolté environ 3 500 euros.
De quoi renforcer son soutien sans faille pour le mouvement qu’il a rejoint pour « se battre pour que son fils et ceux de ses proches aient un avenir ».
« Ces gens sur les ronds-points, ils sont incroyables (…) ils nous voient un peu comme des héros et eux continuent de se battre », assure Alexandre Frey avant d’ajouter : « Je suis toujours gilet jaune ».
D. S avec AFP
Dossier complet : http://factuel.afp.com/gjeborgnes
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