ENTRETIEN – Une ligne du budget 2025 de François Bayrou, définitivement adopté par 49.3, fait scandale : le texte entérine une modification du seuil de déclaration de la TVA pour les auto-entrepreneurs, qui devront désormais s’affranchir de cette taxe dès 25.000 euros de chiffre d’affaires annuel. « Un coup de poignard dans le dos des petits entrepreneurs », dénonce la Fédération nationale des autoentrepreneurs (FNAE). Des centaines de milliers de travailleurs pourraient désormais se voir amputés par l’État de pas moins de 20% de leurs revenus. Aussi, le Rassemblement national et le Parti socialiste se retrouvent sous le feu des critiques, accusés de ne pas s’y être opposés par le biais de la motion de censure. Grégoire Leclerq, président de la FNAE, revient sur ce dossier éruptif.
Epoch Times : Le Budget 2025 vient d’acter l’abaissement du seuil d’exemption de TVA à 25.000 euros pour les auto-entrepreneurs dès le 1er mars. Jusqu’ici, ils bénéficiaient d’une exonération jusqu’à 37.500 euros de chiffre d’affaires annuel pour les prestations de services et 85.000 euros pour les activités de commerce (achat/vente de biens). Combien d’entre eux sont concernés et quelles seront les conséquences de cette mesure sur leur activité ?
Grégoire Leclerq : Cette mesure concerne 300.000 auto-entrepreneurs. Ils seront contraints de choisir entre deux options : soit accepter une perte de 20 % de leurs revenus, puisqu’ils ne pourront pas répercuter la TVA sur leurs tarifs et devront la payer de leur poche, soit augmenter leurs prix afin d’inclure cette TVA, au risque de devenir trop chers pour leurs différents clients et de voir leur chiffre d’affaires diminuer.
Dans les deux cas, cette évolution s’accompagne également d’une complexité administrative supplémentaire. Contrairement à la facturation simplifiée des auto-entrepreneurs, la gestion de la TVA impose de comptabiliser la taxe, de la déduire sur certains frais, d’effectuer une déclaration trimestrielle ou annuelle, de la payer, de suivre rigoureusement sa trésorerie, d’obtenir un numéro de TVA intracommunautaire… Tout cela rendra leur activité considérablement plus complexe, plus coûteuse et bien moins avantageuse. C’est donc une très mauvaise nouvelle pour tous ces petits entrepreneurs.
Le 30 mai 2024, l’ancien Premier ministre Gabriel Attal et l’ancien ministre de l’Économie Bruno Le Maire ont signé un décret augmentant le taux global de cotisations sociales des auto-entrepreneurs de 21,1% à 26,1% d’ici à 2026. En ce début d’année, quelle a été votre réaction en apprenant que le gouvernement Bayrou-Macron cherchait cette fois-ci à taxer les auto-entrepreneurs à hauteur de 20% par l’abaissement de ce seuil de TVA ?
Je pense que cela révèle deux choses. D’une part, toutes les petites économies sont bonnes à prendre pour renflouer les finances publiques, même si cela se fait sur le dos des travailleurs précaires et des toutes petites entreprises, qui ne sont pas en mesure de pouvoir subir une taxe supplémentaire.
D’autre part, c’est non seulement injuste, mais aussi totalement contradictoire avec les discours officiels vantant un prétendu dynamisme entrepreneurial. Il n’y a aucune cohérence entre les paroles et les actes.
On parle sans cesse de simplification administrative et de soutien aux entrepreneurs, en répétant que la France est un pays ami des entreprises. Mais dans les faits, on pénalise les plus petites structures pour un simple dépassement de 12.000 euros sur leur chiffre d’affaires. C’est absurde et totalement ubuesque.
Cette mesure avait déjà été proposée sous le gouvernement Barnier, avant d’être finalement rejetée tant elle était absurde. Et pourtant, tenez-vous bien, elle a été reprise par ce nouveau gouvernement. C’est du grand n’importe quoi. Non seulement elle ne générera pas les recettes fiscales escomptées, mais elle compliquera inutilement la vie des indépendants.
Cependant, tout espoir n’est pas perdu. Le projet de loi de finances pour 2025 a été adopté, mais une loi de finances rectificative pourrait encore corriger certaines de ces absurdités. Ce que je vous dis là est néanmoins doublement hypothétique. D’abord, un PLFR remettrait en cause un 49.3, ce qui pourrait entraîner une nouvelle dissolution, et c’est un risque politique que le gouvernement ne sera pas forcément prêt à prendre. Ensuite, même si un PLFR était proposé, rien ne garantit que cette mesure serait supprimée. C’est pourquoi il est essentiel de se mobiliser pour tenter de la faire disparaître.
Étonnamment, c’est La France insoumise qui a mis en lumière cette hausse fiscale. Si LFI a ensuite fustigé une opposition du Rassemblement national à cette mesure tout en s’abstenant de voter la censure, de son côté, le RN, par la voix de Sébastien Chenu, a défendu un « choix de responsabilité » pour éviter « l’instabilité politique ». Avant néanmoins de reconnaitre que la censure du gouvernement aurait pu être envisagée si le Parti socialiste avait opté pour cette voie. Quel regard avez-vous porté sur cette polémique ?
Cela fait quinze ans que je préside la Fédération, et depuis quinze ans, nous sommes régulièrement instrumentalisés à des fins politiques, aussi bien par la droite que par la gauche. Cela prouve d’ailleurs que ce régime des auto-entrepreneurs est largement transpartisan et qu’il répond aux attentes de nombreux Français, quelque soit leur bord politique.
Ce qui est certain, c’est qu’en France, peu de partis ont une vision claire de la stratégie entrepreneuriale à adopter. Rares sont ceux qui comprennent qu’avant d’augmenter les impôts, il faudrait d’abord réduire les dépenses publiques. Et pourtant, le problème est toujours le même : notre budget est en déséquilibre chronique depuis quarante ans. La priorité devrait être de maîtriser les dépenses plutôt que de chercher systématiquement à alourdir la fiscalité.
S’il est bien que La France insoumise se montre bienveillante envers les auto-entrepreneurs, elle fait néanmoins partie de ces partis qui, une fois au pouvoir, continueraient d’augmenter les impôts. Cela doit donc nous pousser à une réflexion collective sur la manière dont nous concevons l’économie et les politiques publiques. Il est temps d’adopter une approche qui favorise réellement l’entrepreneuriat et la croissance plutôt que de perpétuer une logique centrée sur la dépense publique.
Si le texte ambitionne officiellement de ramener le déficit public à 5,4% du PIB, en réalité, il entrainera une hausse des prélèvements obligatoires de près de 21 milliards d’euros et une hausse des dépenses publiques de 43 milliards d’euros, selon Charles de Courson, rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale. Que cela vous inspire-t-il ?
Cela fait des décennies qu’on évite d’aborder les véritables problèmes. Le cœur du sujet n’est pas de freiner l’entrepreneuriat, de restreindre les initiatives, de démotiver ceux qui veulent se lancer ou de les pousser à la fraude — car c’est précisément ce qui va se produire — mais bien de réduire les dépenses publiques.
Ce qui est assez ironique, c’est que la hausse de recettes fiscales espérée par le gouvernement en alourdissant la fiscalité des auto-entrepreneurs n’aura tout simplement pas lieu. Beaucoup préféreront frauder ou limiter leur activité pour ne pas franchir le seuil imposé.
Pire encore, cette mesure entraînera une baisse des cotisations sociales, ce qui ne fera qu’aggraver le déficit. On parle ici d’une perte estimée entre 200 millions et un milliard d’euros, car de nombreux indépendants cesseront tout bonnement de déclarer ou mettront un terme à leur activité.
C’est une spirale infernale qui ne peut conduire qu’à une impasse. Tant qu’on ne s’attaque pas au problème par le bon bout — c’est-à-dire en réduisant les dépenses publiques et en améliorant la compétitivité —, on continuera à tourner en rond, sans jamais avancer.
La FNAE a lancé une pétition pour « protéger le régime auto-entrepreneur face aux attaques du projet de loi de finances pour 2025 ». Combien de signatures avez-vous recueilli ? Par ailleurs, envisagez-vous des actions pour lutter contre cette hausse de la fiscalité sur les petits entrepreneurs ?
La pétition a déjà dépassé les 100.000 signatures. À tel point que nous envisageons de la ralentir, car notre site web est complètement saturé sous l’afflux des auto-entrepreneurs qui nous sollicitent.
S’agissant de votre seconde question, nous mettons en place plusieurs actions pour faire tomber cette mesure, en menant un travail de lobbying auprès des ministères et des parlementaires. D’ailleurs, nous serons auditionnés à l’Assemblée nationale la semaine prochaine. Nous restons pleinement mobilisés et déterminés. Il est hors de question de baisser les bras maintenant.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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