Hervé Machenaud : « Nous dépendons de l’étranger, alors qu’avec le nucléaire, nous étions presque indépendants à 100 % »

Par Julian Herrero
12 décembre 2024 15:23 Mis à jour: 12 décembre 2024 15:39

ENTRETIEN – Dans un entretien accordé à Epoch Times, l’ancien directeur exécutif d’EDF, Hervé Machenaud revient sur les conséquences de la politique de développement des énergies intermittentes pour la France. Il analyse également comment l’Allemagne cherche, depuis des années, à imposer son modèle de transition énergétique à ses voisins.

Avec l’aimable autorisation de Hervé Machenaud

Epoch Times – Dans une lettre ouverte publiée dans Le Point le 1er décembre, vous dénoncez, ainsi que d’anciens dirigeants d’entreprises, ministres, parlementaires, hauts-fonctionnaires la poursuite de « la politique de développement accéléré des énergies intermittentes » prévue par le projet de Programmation Pluriannuelle de l’Énergie. Quelles ont été, selon vous, les conséquences les plus graves de cette politique ? La perte de souveraineté ?

Hervé Machenaud – Derrière ce développement accéléré des énergies intermittentes, se cache en réalité une politique antinucléaire. Si le nucléaire avait été considéré, objectivement comme une énergie permettant de produire de l’électricité de manière propre et pilotable, nous n’aurions jamais eu besoin des énergies renouvelables.

Malheureusement, les Allemands, rejetant le nucléaire, ont mis en œuvre explicitement une politique de transition énergétique (energiewende en allemand) qui a conduit à développer massivement les énergies renouvelables.

En France, tout s’est fait de manière plus sournoise : depuis François Mitterrand, l’énergie, l’industrie et l’environnement ont été le plus souvent rassemblés dans un seul ministère. De plus, la plupart des ministres de l’Environnement de ces quarante dernières années, jusqu’au revirement de 2022, ont été notoirement antinucléaires. Je pense notamment à Corinne Lepage, Dominique Voynet, Yves Cochet, Ségolène Royal, Nicolas Hulot et Barbara Pompili.

Cette politique implicite antinucléaire a atteint son paroxysme sous le quinquennat de François Hollande quand ce dernier a annoncé la fermeture de quatorze centrales pour faire plaisir aux écologistes.

Ensuite, il fallait trouver un substitut au nucléaire : le renouvelable. Mais à partir de là, nos dirigeants et pas seulement eux, se sont racontés et nous ont raconté un roman. On nous a annoncé la construction d’une filière industrielle du renouvelable avec des entreprises comme Alstom, Areva etc. Évidemment, rien n’a été fait.

Aujourd’hui, on ne peut que constater notre affaiblissement en termes de souveraineté énergétique. Des pays comme la Chine ont un avantage compétitif majeur sur nous, et même les États-Unis et l’Allemagne, sur le renouvelable. Les Chinois construisent plusieurs centaines de gigawatts d’éolien et de solaire par an. C’est considérable.

Maintenant, nous dépendons de l’étranger, alors qu’avec le nucléaire, nous étions presque indépendants à 100 %.

Comment avez-vous vécu tout au long de votre parcours à EDF le développement de cette politique ? EDF avait-il alerté nos dirigeants sur les dangers qu’elle représentait ?

À l’occasion de différentes réunions du Comité Exécutif (Comex), j’ai eu l’occasion de m’exprimer sur cette politique.

J’ai même dit une fois, il y a une quinzaine d’années qu’elle constituait une impasse et qu’elle conduirait la France à la ruine. Mais on m’a fait comprendre que c’était comme ça et pas autrement.

Vous dénoncez également dans la lettre ouverte les « directives européennes qui « refusent la prise en compte de la contribution de l’énergie nucléaire à la décarbonation et sanctionnent financièrement la France, pour imposer le modèle de transition énergétique allemand d’« Energiewende ». Peut-on affirmer que l’Allemagne, à travers l’UE, a cherché à imposer son modèle aux autres pays membres de l’UE ?

C’est tout à fait clair ! Aujourd’hui, la politique énergétique de l’UE est une politique allemande.

D’ailleurs, les Allemands sont obligés de l’imposer parce qu’ils ont 200 gigawatts d’énergie renouvelable qu’ils ne peuvent pas absorber quand il y a du vent et du soleil. Ils sont donc contraints d’en exporter vers les pays voisins.

Mais quand il n’y a pas de vent et de soleil, ce qui est le cas en ce moment, ils doivent importer massivement. En réalité, le système énergétique des Allemands est fondé sur l’imposition de leur modèle aux autres pays européens.

Au-delà de l’Europe, l’énergie nucléaire a fait l’objet d’une forte opposition en France, notamment de la part d’une partie de la classe politique. Comment expliquez-vous ce « nucléaire bashing » ?

L’École de guerre économique a produit une excellente analyse sur le sujet. Le mouvement antinucléaire est né en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale. Voyant ce qui était arrivé aux Japonais, les Allemands ont imaginé que la bombe nucléaire aurait pu tomber sur eux.

Par conséquent, en pleine guerre froide, au moment du plan Marshall et de l’installation envisagée de missiles nucléaires en Allemagne pointés vers la Russie, une espèce d’angoisse s’est emparée de la société, plus particulièrement des partis de gauche. À l’époque, les Soviétiques ont utilisé cette opposition pour empêcher l’implantation de missiles en Allemagne et ont encouragé et même financé par l’intermédiaire d’ONGs le mouvement antinucléaire.

D’ailleurs, dans les années 1980, peu de temps après que la France ait lancé son programme nucléaire, la violence des mouvements antinucléaires, essentiellement alimentés par l’Allemagne, était extrêmement forte. Encore plus forte qu’elle ne l’est aujourd’hui.

À l’époque, le directeur de l’équipement d’EDF en charge du programme nucléaire, se déplaçait dans une voiture blindée. Son épouse emmenait ses enfants à l’école tous les jours dans une voiture différente, en empruntant un itinéraire différent. Il y a également eu un attentat au domicile du président d’EDF. L’hostilité à cette énergie ne date pas d’hier.

Néanmoins, de nos jours, l’anti-nucléarisme est alimenté par le poids économique du renouvelable : des milliards d’euros de profits sont réalisés par des promoteurs qui sont subventionnés par le contribuable français. Il faut d’ailleurs comprendre que derrière ces promoteurs se trouve l’industrie du gaz. Ce n’est pas moi qui le dit, mais le PDG de Total Energies Patrick Pouyanné : « Derrière chaque éolienne, il y a du gaz ».

Quelle politique énergétique devrait être mise en œuvre, à l’heure actuelle, en France qui soit à la fois, respectueuse de l’environnement et pertinente sur le plan économique ?

Il faut impérativement relancer une politique nucléaire digne de ce nom, en employant également l’hydraulique et marginalement le gaz.

L’avantage du nucléaire est double : il constitue le meilleur moteur de la réindustrialisation de la France, en plus d’être pilotable et complètement décarboné, notamment par rapport à l’éolien ou le solaire.

Le kilowattheure nucléaire représente trois grammes de CO2 par kilowattheure, alors que nous sommes à 9 grammes pour l’éolien et environ 25 pour le solaire.

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