« Le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit humain, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits humains » : tel est l’article que des élus de diverses orientations politiques visent à inscrire dans le « bloc de constitutionnalité » et, plus précisément, dans la Charte de l’environnement.
Cette proposition transpartisane de loi constitutionnelle a été enregistrée le 16 mars 2023 à l’Assemblée nationale. Ce n’est pas la première fois qu’une telle proposition est portée. Déjà en 2017, des députés LFI avaient proposé un texte visant à faire de l’accès à l’eau un droit inaliénable.
À une période particulièrement marquée par la sécheresse en France et la mise en place de solutions controversées pour anticiper certains besoins, telle la création de « méga-bassines », cette proposition souligne le fait que l’usage de l’eau devient une problématique cruciale au carrefour de nombreux enjeux. Elle interroge la remise en cause d’un modèle qui a été longtemps peu soucieux de cette ressource perçue comme inépuisable.
Quel niveau dans la hiérarchie des normes ?
Pour justifier l’intérêt de reconnaître la valeur constitutionnelle au droit en question, cette proposition souligne le « manque d’autonomie et d’effectivité normative » du droit international protégeant, en l’occurrence, le droit humain à l’eau et à l’assainissement. En bref, ce ne sont pas les engagements internationaux qui manquent, mais leur effectivité.
L’eau potable est un droit humain, pas un privilège.
Cette semaine, du 22 au 24 mars, les pays se sont réunis au siège de l’ONU à New York afin de trouver des solutions pour un accès universel à de l’eau potable et salubre. https://t.co/aq9HCs5Gal pic.twitter.com/Hu0RSkp1bL
— Nations Unies (ONU) (@ONU_fr) March 26, 2023
Du côté du droit français, si plusieurs autorités (Défenseur des droits, CESE, CNCDH) se sont penchées sur la question, pour l’instant, le droit à l’eau potable ne dispose que d’une protection législative, fractionnée et incomplète. Surtout, elle ne permet pas d’imposer son respect à l’ensemble des pouvoirs publics, y compris donc au législateur. C’est en cela qu’est utile la constitutionnalisation.
En ce sens, le rattachement depuis 2015 par le Conseil constitutionnel de l’accès à l’eau potable à « l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent » ne correspond pas à la consécration d’un véritable droit fondamental à l’eau potable. Qualifié d’objectif, il n’est pas opposable au législateur par le justiciable. Et rattaché à la problématique du logement, il exclut de son champ de protection les personnes sans logement.
In fine, la protection actuelle ne permet pas de résoudre de manière adéquate divers problèmes, tels que les tarifs excessifs de l’eau potable dans certains territoires, la non‑accessibilité de l’eau potable pour des populations entières à l’instar de Mayotte, l’absence de toilettes et de fontaines publiques et gratuites dans l’espace public, le non‑raccordement à l’eau potable et à l’assainissement des campements et des bidonvilles, ou encore la mauvaise qualité de l’eau potable.
Si ce n’est pas encore arrivé, on pourrait envisager que le droit à l’eau soit consacré par le Conseil constitutionnel, en le rattachant à de véritables droits constitutionnels, tels que le droit à la santé. Cela permettrait de dépasser certains des obstacles évoqués.
Toutefois, la démarche de la constitutionnalisation expresse, proposée par les députés, a le mérite d’éviter l’incertitude d’une telle évolution jurisprudentielle et le manque de légitimité démocratique qui pourrait lui être reproché. Cela étant, qu’implique concrètement le droit en question ?
S’inspirer des expériences étrangères ?
Le droit fondamental à l’eau potable peut être défini comme la possibilité pour toute personne de disposer d’eau en quantité et qualité adéquates pour satisfaire ses besoins essentiels. Il recouvre un double aspect, à la fois social et écologique, comme en attestent certaines expériences étrangères ayant déjà consacré ce droit.
Incontestablement, la première raison de constitutionnalisation du droit à l’eau dans d’autres pays est la volonté de rompre avec des régimes du passé défavorables à l’accès universel à l’eau potable. En Afrique du Sud, la constitutionnalisation en 1996 a été une réponse aux conséquences néfastes de l’apartheid sur l’accès à l’eau potable des populations noires. En Bolivie et en Équateur, ce sont des privatisations de services publics, admises par des politiques néolibérales dans le cadre de programmes d’austérité, qui ont entraîné une augmentation exponentielle du prix de l’eau et une dégradation de la qualité du service fourni. Cela a donné lieu à des « guerres de l’eau » au début des années 2000. Les deux États ont fini par consacrer explicitement dans leurs nouvelles Constitutions un droit à l’eau et une interdiction de privatisation des services d’eau potable.
À côté de cela, dans de nombreux pays latino-américains et en Inde, une volonté d’anticiper un avenir écologiquement fragilisé motive de plus en plus la constitutionnalisation du droit. Ces États sont particulièrement confrontés aux conséquences du changement climatique et de la pollution sur la disponibilité de la ressource hydrique. Constitutionnaliser le droit à l’eau leur permet ainsi de le mettre sur un pied d’égalité avec d’autres droits, tels que la liberté d’entreprendre, et d’en justifier des restrictions.
Tel est le cas de nombreuses décisions de justice qui, sur le fondement d’un droit constitutionnel à l’eau potable, ordonnent la fermeture d’usines ou d’exploitations minières, dont les activités compromettent l’accès à l’eau potable des populations alentour. Ces États sont également prêts à remettre en question les présupposés anthropocentriques des systèmes juridiques façonnés « à l’occidentale ». De ce fait, ils n’hésitent pas à étendre le bénéfice de la protection constitutionnelle du droit à l’eau aux animaux et à d’autres éléments naturels, voire à reconnaître la personnalité juridique de leurs fleuves.
Qu’est-ce que cela changerait en France ?
En France, la récente proposition d’inscription du droit à l’eau potable au niveau constitutionnel est en demi-teinte. L’aspect positif, non-négligeable, est que cela constitue une contrainte considérable pour le législateur. Le droit devient opposable. Toutefois, quant au point de savoir ce qui est concrètement opposable, la formulation proposée peut être critiquée.
Pour ce qui est de l’aspect social, la proposition ne constitue pas une grande avancée, notamment du fait de rester extrêmement floue quant à l’étendue des obligations auxquelles une telle disposition soumettrait les pouvoirs publics.
Par ailleurs, si le lien avec les enjeux écologiques est absent ou, en tout cas, fortement minimisé dans la proposition, il est bien présent dans la problématique du droit à l’eau potable. Il ne s’agit pas ici de défendre nécessairement la tendance, en vogue, de reconnaissance de droits à la nature. Cependant, il faut souligner que la formulation proposée exclut toute possibilité en ce sens. En effet, elle insiste, sans justification particulière, à deux reprises sur le lien du droit à l’eau avec les êtres humains, ce qui la rend incompatible avec les autres dispositions de la Charte de l’environnement qui privilégient l’expression « toute personne » (le terme de personne pouvant s’appliquer juridiquement à des entités non-humaines).
Plus encore, elle poursuit une logique qui perpétue une conception anthropocentrée et, donc fragmentée, des droits environnementaux (droit à l’eau potable, à respirer un air non-pollué, etc.). Celle-ci ferme les yeux sur l’interdépendance des éléments naturels, humains et non-humains, et sur la contribution de ces derniers aux équilibres naturels. Or cela peut s’avérer problématique à long terme pour la protection de ces droits, même pour les seules personnes humaines.
En conclusion, la formulation de l’article proposé ne constitue pas une révolution. Déposée à l’occasion de la journée mondiale de l’eau, la proposition donne l’impression d’une formulation hâtive, floue quant au contenu du droit et des obligations qu’il entraîne. En revanche, cette proposition constitue une initiative bienvenue en matière de protection de l’accès à l’eau potable en France : elle constitue une opportunité de rouvrir un dialogue démocratique indispensable sur ces questions de plus en plus tendues.
Article écrit par Clémentine-Eleni Nikolaidis-Lefrançois, Doctorante en droit public, laboratoire de Droit International, Comparé et Européen, Aix-Marseille Université (AMU), Aix-Marseille Université (AMU)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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