Est-ce la première exposition d’une telle envergure sur le jade ?
Oui, effectivement. La dernière fois, il y a vingt ans, nous avons fait venir la collection du musée de San-Francisco. Cette fois-ci, quinze institutions participent à ce projet qui a été initié en 2011 et que nous avons concrétisé en 2012 avec le musée de Taipei.
Les collections présentées ont traversé de longues aventures. Pourriez-vous nous raconter ?
On a rassemblé les pièces de la collection de Fontainebleau qui viennent du Palais d’été détruit en 1860 par les expéditions françaises et anglaises. D’ailleurs, dans le catalogue, nous avons présenté un texte de Victor Hugo critiquant violemment ces actes contre les trésors de la Chine. Depuis 1860, ces deux collections impériales chinoises sont donc réunies pour la première fois.
Le Musée national du Palais accueille une collection qui a voyagé à travers la Chine pendant la guerre sino-japonaise. Tchang Kaï-check a pris les pièces les plus importantes de la collection et les a fait voyager à travers toute la Chine du nord au sud. Puis pour fuir les communistes, ces pièces ont dû de nouveau voyager jusqu’à Shanghai où elles ont pris le bateau pour Taiwan. C’est l’histoire des péripéties de cette ancienne collection impériale chinoise la plus importante.
À Fontainebleau se trouve également l’ancienne collection impériale chinoise la plus importante du XVIIIe siècle. Grâce à cette collection, nous avons les pièces en paires ou le fameux collier de l’impératrice composé de trois colliers de mandarins – c’est spectaculaire !
Regroupée au Musée chinois constitué par l’impératrice Eugénie, la collection est finalement devenue la collection impériale française. On pourrait dire que c’est un moment historique à tout point de vue.
L’exposition présente également un aperçu de la collection royale à partir de Louis XIV…
Oui, l’exposition était l’occasion de revisiter certaines pièces chinoises des collections françaises. On a pu entrer dans les réserves et trouver 300 pièces, pas seulement en jade. On a pu répertorier des thématiques qui se répétaient dans différents matériaux. Donc il n’ y a pas que le jade dans l’exposition.
À quand remonte l’usage du jade ?
En Chine, on ne parle pas d’âge de pierre mais d’âge de jade. Dans les livres d’histoire, c’est défini de telle façon : avant l’âge de bronze, c’est l’âge de jade.
On a trouvé le jade dans les tombes d’éminents Chinois. L’usage du jade dans la civilisation chinoise remonte à 8 000 ans.
Le jade venait du nord-est de la Chine qui était un peu comme le Far West, où il y avait les Mandchous. Mais l’âge néolithique était déjà très riche en culture et ils avaient probablement une liaison avec les steppes du nord de la Sibérie jusqu’en Corée.
Nous voulions donc montrer l’importance du jade dans la civilisation chinoise depuis l’antiquité.
Le jade a donc une grande importance dès l’ère néolithique. Comment l’expliquez-vous ?
À l’ère du Néolithique, il y avait de grands gisements de jade qui se sont épuisés plus tard. Les anciens ont observé que la matière est dure mais surtout tenace. Comparé au diamant, elle est moins dure. Elle est à 7 sur 10 sur l’échelle de Mohs alors que le diamant est à 10 sur 10.
Ils ont découvert que, quand on la polit, elle devient douce et avec beaucoup de patience, on peut la travailler alors que les pierres dures se cassent. D’ailleurs, pour cette raison, le jade est aussi le symbole de la vertu confucéenne. Quand on le touche, il y a une sorte de communion avec le corps humain.
On croyait que le jade portait chance et protégeait la santé. Encore aujourd’hui, les Chinois aiment porter du jade.
À quelle époque le jade commence-t-il à servir d’objet rituel ?
On pense que même à l’époque néolithique, le jade était utilisé pour des cérémonies rituelles. Peut-être que le prêtre l’utilisait pour communiquer avec l’au-delà. On a trouvé dans les tombes du Nord-Ouest une forme de lame – symbole militaire – mais très tôt les jades et les bronzes ont servi d’instruments rituels, même si au début ils servaient d’armes.
On a trouvé dans la tombe de la dame Fu Hao, l’une des épouses du roi Wu Ding – 1 200 ans avant notre ère – des pièces néolithiques comme celle du dragon lové en position fœtale. Mais ce qui est extraordinaire, c’est que l’on trouve aussi des imitations. En 1 200 av. J.-C., ils imitaient déjà les pièces de 3 500 ans av. J.-C. ! comme le « Dragon-cochon », le zhulong, qui est d’ailleurs l’une des pièces phares du musée Guimet.
Fu Hao a mené des campagnes militaires et devait être très riche car sa tombe contenait 750 pièces de collection, dont des pièces rituelles.
C’est pourquoi je dis, qu’à travers le jade, on retrace l’histoire de la Chine. Le jade est une matière qui n’a jamais cessé d’être utilisée en Chine.
Au XVIe siècle, on a repris des pièces très anciennes que l’on a regravé.
Pourrait-on parler d’une symbolique transmise d’une génération à l’autre ?
On voit qu’il y a des formes de l’Antiquité qui ont traversé les siècles à travers le subconscient, comme les tablettes gui en forme de lame qui ont sûrement aidé à communiqué avec l’au-delà, l’anneau, le disque bi ou le cylindre cong.
Déjà à l’époque néolithique, on croyait que le jade et les formes spéciales constituaient une sorte de cosmologie : le ciel et la terre, ainsi que le lien entre les deux. On trouve donc chez les défunts le cong, un tube de section carrée à l’extérieur sans base, traversé par un cylindre. Le disque bi symbolise le ciel, l’harmonie et l’éternité.
Il n’ y a pas de traces écrites de cette époque mais on sait que mille ans avant notre ère, le disque bi et le cong avaient déjà ces symboliques.
Les objets de l’époque néolithique sont fascinants, très simples mais très chargés, symbolisant le ciel et la terre. Tout comme un chaman, c’était à l’empereur de régler l’harmonie.
L’empereur était considéré comme le fils du ciel et c’était lui qui faisait le lien entre le ciel est la terre. Il avait aussi des obligations envers le peuple et l’une d’elles était la prière, qu’il offrait sous forme d’inscriptions sur des tablettes de jade à la montagne. Toutes ces cérémonies ont continué jusqu’au dernier empereur. Le coffret des tablettes gravées en or sur ordre de l’empereur Zhenzong des Song du Nord constitue justement l’un des grands chefs-d’œuvre que l’on a fait venir pour l’exposition. Dans l’histoire de la Chine, cette cérémonie a peut-être eu lieu quatre ou cinq fois.
À partir de quelle période la nature et les saisons sont-elles intégrées dans le décor de jade ?
Le naturalisme commence à être présent dès l’époque Tang mais s’est particulièrement développé à l’époque des Song avec les thèmes du printemps et de l’automne. À l’époque des Tang et Song, les pièces sont petites à cause du manque d’approvisionnement, mais d’une grande finesse. C’est l’époque où l’on commence à travailler la pierre en plusieurs couches. Cela donne un résultat très délicat.
L’âge d’or du jade est-il associé à l’empereur Qianlong, promoteur du goût archaïque ?
L’idée était de tracer l’histoire du jade jusqu’au XVIIIe siècle, l’âge d’or de l’histoire chinoise.
Qianlong a élargi ses territoires jusqu’en Asie centrale ce qui lui a permis d’avoir accès à des nouveaux gisements de jade très abondants. Poète, peintre accompli et maître de la calligraphie, il a promu l’art et a été un collectionneur averti. D’ailleurs, dans ses collections, on trouve des objets néolithiques en jade datant de 2 500 ans av. J.-C.
Il écrit des poèmes ayant pour sujet le jade et les fait graver dans le jade. Il fait également graver dans les livres de jade son interprétation de l’histoire du bouddhisme dont il assure le développement au cœur de son empire.
Sous son règne, le goût pour le jade s’élargit au monde islamique de l’Asie centrale à l’Inde et à la Turquie qui influencent à leur tour le goût chinois.
À travers l’empereur Qianlong, nous présentons le jade moghole que l’empereur a beaucoup apprécié. Dans l’art moghole, l’une des spécialités est l’incrustation des pierres précieuses. Leur travail délicat et magnifique a impressionné Qianlong ainsi que la cour française.
Loin de la mode de l’époque, encombrée de fleurs et ajourée, Qianlong a surtout apprécié le goût archaïsant des Song et des Ming, ainsi que le goût naturaliste des lettrés, prônant l’Antiquité. Juste pour comparer, en Occident, il y a eu le retour vers l’art grec antique. Qianlong préfère les lignes simples et douces, les objets transparents et sobres, ainsi que ceux que l’on peut assimiler à la vertu confucéenne. Il lance des modes et crée son propre style. Il collectionne non seulement des antiquités mais les fait copier. Puis il les signe « Qianlong, d’après l’antique » pour montrer ainsi son respect pour la tradition.
Il fait faire le style d’après les objets anciens. En fait, Qianlong a fait déjà ce que Louis Cartier fera 200 ans plus tard. Ils ont pris une pièce ancienne et l’ont modifiée ou ajoutée à un autre objet pour le transformer en un objet utilitaire. Qianlong a pris des objets néolithiques et les a transformés, comme par exemple un élément d’épée qu’il a transformé en flacon à tabac.
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