Dans un entretien accordé à Epoch Times, Jean-Pierre Colombies, ancien commandant de police et porte-parole de l’association UPNI (Union des Policiers Nationaux Indépendants), un regroupement de « policiers en colère », revient notamment sur l’actualité judiciaire et la montée de l’insécurité en France.
Julian Herrero : Vous avez été policier pendant 35 ans et depuis plusieurs années porte-parole de l’UPNI. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette association, ses origines ses missions et objectifs ? En quoi l’UPNI se distingue-t-elle du syndicat Alliance ou d’unité SGP Police ?
Jean-Pierre Colombies : Nous sommes une association née en 2016. L’UPNI est l’une des composantes de ces associations qu’on appelait à l’époque des associations de « policiers en colère », qui se caractérisaient notamment par leur prise de distance avec les partis politiques et les organisations syndicales. C’est un cri de colère de policiers de terrain qui considéraient que leur parole n’était ni entendue et encore moins relayée par les structures dites « traditionnelles » qui ont la possibilité d’être entendues par le ministère de l’Intérieur. Pour être encore plus clair, notre association est l’une des seules entités d’une époque remontant aux évènements de Viry-Châtillon. Souvenez-vous, des policiers avaient été agressés dans leur véhicules et certains avaient été gravement brûlés. Suite à ces évènements, il y avait eu un cri de colère des policiers de terrain.
Après un report et diverses expérimentations en métropole et en Outre-mer, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin souhaiterait, d’ici la fin de l’année, départementaliser la réforme de la police judiciaire qui prévoit l’intégration de l’ensemble des services de la police judiciaire dans une filière unique. Du côté de la place Beauvau, on assure que cette réforme simplifiera les procédures. Pourriez-vous nous détailler un peu plus le contenu de ce projet de loi ? Si oui ou non, pouvons-nous parler de « choc de simplification » comme l’assure le ministère de l’Intérieur ? Les conséquences seraient-elles positives ou négatives pour la PJ ?
J’aimerais tout d’abord rappeler quelque chose de très simple avant de rentrer dans les détails. Il faut savoir que la police est régulièrement réformée depuis des années. Nous en sommes quasiment à la vingtième réforme de la police nationale, ce qui est à mon sens une aberration.
En effet, ces réformes, je pèse mes mots, n’ont jamais permis une amélioration des conditions de travail des policiers et n’ont encore moins engendré une plus grande efficacité de la procédure. En réalité, les réformes successives n’ont fait qu’alourdir le processus judiciaire sans apporter la moindre contrepartie. Par exemple, l’avocat à la première heure de garde à vue, la multiplication des obligations faites aux OPJ notamment. Toute sortes de choses que l’on a inscrites dans ces réformes, sous couvert de renforcement des libertés publiques. Vous savez, le moteur de ces réformes, c’est purement et simplement la vanité des politiciens. Ces derniers veulent absolument laisser leur nom dans l’histoire des réformes de la police sans se soucier de l’intérêt général. Cela est fondamental. Il faut savoir que ces réformes ne sont jamais positives pour la police. Aujourd’hui, l’intérêt général c’est l’intérêt du délinquant, du mis en cause, mais on ne parle jamais de l’intérêt des victimes puisqu’aujourd’hui l’idée est de renforcer le pouvoir de l’avocat pendant le processus de garde à vue.
Pour rentrer dans les détails du projet de départementalisation de la PJ, cela signifierait, dans l’esprit de Gérald Darmanin, que tous les services de police — police aux frontières, renseignements, PJ et la sécurité publique — ne dépendraient plus que d’une seule entité : le préfet de police. C’est-à-dire qu’on va mettre toutes ces structures policières avec des vocations différentes sous une seule et même autorité. C’est un non-sens total. J’ajoute que la notion de départementalisation restreindrait beaucoup le champ d’activité de la PJ. Réduire le champ d’activité des services de PJ spécifiquement aux départements l’amputerait d’une force de frappe considérable. J’avoue ne pas comprendre en quoi le préfet pourrait avoir une vision intelligente du travail de la police judiciaire. On va ramener ses objectifs à une immédiateté politique. On le sait très bien, les préfets travaillent sous les instructions directes du ministère de l’Intérieur qui, par définition, a très souvent besoin d’une réponse immédiate et visible des problématiques criminelles. On répond plus à un besoin de communication que d’efficacité réelle. Encore une fois, c’est insensé. La PJ a besoin de temps. Il faut prendre en compte le paramètre suivant : le temps judiciaire est différent selon les services. Il y a donc toute une argumentation qui ne tient pas la route. Quand Gérald Darmanin nous dit qu’il va renforcer les services de police judiciaire en leur adjoignant des officiers de PJ de sécurité publique, ce n’est pas sérieux puisque ceux-ci sont déjà noyés sous les dossiers.
Mais on ne va pas jouer au naïf, on sait très bien quel est le moteur de tout cela : la vassalisation de la PJ au pouvoir politique. Le politique, dans ce pays, a toujours eu peur du pouvoir judiciaire. Le pouvoir judiciaire, ce sont les magistrats et les juges d’instruction et leurs collaborateurs immédiats, directs et permanents. Depuis l’affaire Urba dans les années 80, dans laquelle ont été mis en lumière les financements hasardeux du Parti socialiste, le politique a pris conscience que le pouvoir judiciaire était un danger mortel contre eux. À la suite de cette affaire, ils n’ont eu de cesse d’affaiblir le pouvoir judiciaire. Rappelons que Nicolas Sarkozy, en son temps, voulait supprimer purement et simplement le juge d’instruction. La réforme de Gérald Darmanin est un nouvel avatar de la volonté politique de détruire ou du moins d’affaiblir considérablement l’institution judiciaire. J’ajoute qu’il n’y a jamais eu la volonté de simplifier le travail judiciaire. Au contraire, il y a des esprits chagrins, par exemple, qui voudraient que l’avocat soit, non seulement, comme il l’est déjà, présent dès la première heure de garde à vue, mais qu’il assiste également son client durant toute la procédure, et notamment pendant les perquisitions. Ces pseudo-réformateurs ne réfléchissent pas à une chose fondamentale, c’est qu’il y a plusieurs niveaux de PJ. Il y a un premier niveau qui est la sécurité publique, la criminalité, la délinquance, l’accueil du public géré par la sécurité publique. Puis il y a les niveaux supérieurs qui sont graduels, puisqu’il y a la sûreté urbaine qui est juste au-dessus de cela, qui va traiter les affaires criminelles ou délictuelles. Enfin, il y a la police judiciaire. Si vous cassez cela, vous cassez le judiciaire. Les magistrats l’ont compris. Je rappelle que ce projet de réforme judiciaire a quand même un seul avantage : celui d’avoir fédéré les avocats, magistrats et policiers libres dont je fais partie, contre lui. Notez toutefois que les syndicats de police conventionnels restent très discrets vis-à-vis de cette réforme. D’autres la soutiennent, je pense notamment aux syndicats des commissaires.
La Cour des comptes, dans un rapport publié le 11 mai sur les moyens affectés à la PJ, pointe la « situation très dégradée » du traitement de la délinquance et la « crise multifactorielle » de l’investigation. Elle souligne notamment « un véritable engorgement » du portefeuille de procédures par agent dans les différentes circonscriptions de sécurité publique (CSP). Quelles solutions préconisez-vous pour mettre en œuvre un désengorgement efficace ?
Il y a plusieurs problèmes qui sont soulevés par la question. Il y a fondamentalement quelque chose de plus en plus frappant, c’est la baisse du niveau des enquêteurs. Il y a de moins en moins de vocations, les gens sont moins attirés par la police nationale. De nos jours, le niveau de recrutement est tombé à 7 de moyenne au concours de recrutement de la police.
Vous rajoutez à ce phénomène une désaffection totale pour le judiciaire. En ce qui me concerne, j’ai commencé comme inspecteur. À l’époque, c’était quelque chose d’assez noble.
Les meilleurs n’avaient qu’une ambition, c’était travailler dans le judiciaire. Aujourd’hui, les policiers affectés dans les services judiciaires n’ont qu’une ambition, c’est d’en partir. On a progressivement alourdi le travail judiciaire et la reconnaissance due à ce métier dans ce pays. Parallèlement à ce phénomène, on a judiciarisé la vie sociale. Il n’échappe à personne que dès qu’un problème de société émerge, on ne raisonne que d’une seule façon : aller au commissariat. Ce qui a pour conséquence d’encombrer le travail des commissariats pour des affaires très superficielles, au détriment d’affaires prioritaires comme les violences faites aux femmes ou les violences intrafamiliales. On cultive un paradoxe qui consiste à tout renvoyer vers tous les services de police et donc vers la justice.
Tout arrive dans les commissariats et en même temps, on ne fait rien pour fluidifier la procédure judiciaire. Par ailleurs, on alourdit la procédure, on intègre des éléments très anglo-saxons : l’audition filmée, la présence de l’avocat. Mais il n’y a pas de contrepartie. Ce que j’appellerais la contrepartie, c’est notamment, par exemple la dématérialisation des procédures, faire moins de papiers pour résumer les choses, puis considérer que le mensonge, par exemple, serait une conséquence ou une aggravation à la culpabilité de l’individu. Malheureusement, en France il n’y a pas de contrepartie. La charge de l’enquête repose unilatéralement sur l’appareil judiciaire, police et magistrats. Il n’y a aucune contrepartie demandée à la partie nuisible puisque c’est la partie de la délinquance.
Un phénomène inquiétant ronge la police nationale : l’augmentation du nombre de suicides. 35 suicides ont été recensés en 2021 et 46 en 2022 dont 12 pour le seul mois de l’année 2022. Quel est selon vous la cause de cette augmentation des suicides de fonctionnaires de police ? Est-ce révélateur d’une souffrance profonde ?
Bien sûr, c’est assez constant. L’institution police est celle qui est le plus frappée par ce phénomène. Oui, il y a un mal être lié à la dégradation des conditions de travail. C’est très complexe parce qu’il n’y a pas une cause, il y en a plusieurs, c’est multifactoriel, il y a une perte de sens du métier. Clairement, il y a une surexposition de l’institution police, comme je disais tout à l’heure, qui est mise en avant pour tous les problèmes. Tout problème doit se régler au commissariat de police. C’est une aberration totale et en même temps il y a une dénonciation systématique de l’appareil policier et donc de ses agents. Ensuite, il y a une absence de perception réelle de ce qu’est le métier de policier par l’opinion publique, ce qui crée un malaise permanent de dialogue entre l’institution et la population.
Il y a notamment une confusion entre police du quotidien et maintien de l’ordre. Nous l’avons vu au moment des manifestations des gilets jaunes et plus encore récemment, avec les mouvements sociaux liés à la réformes des retraites où il y a eu une manipulation du maintien de l’ordre avec des instructions données, d’être très violent. C’est l’héritage d’Emmanuel Macron, de ses ministres et de Didier Lallement. De ce fait, la population a une vision très parcellaire de ce qu’est le métier de policier. Ils oublient que le policier de leur quartier, de leur arrondissement, n’a strictement rien à voir avec le maintien de l’ordre. Donc tout ça, avec en plus les problèmes personnels concourt à créer des situations de tension extrême.
Depuis plusieurs années, on assiste à une montée de la violence dans la société. Cette violence touche les policiers (manifestations contre la réforme des retraites, Sainte-Soline…) mais aussi de plus en plus de personnes vulnérables comme les médecins, les pompiers, de très jeunes enfants ou encore des personnes âgées comme ce fut le cas récemment à Annecy ou à Bordeaux. Le chef de l’État a parlé en conseil de ministres de « processus de décivilisation ». Ce terme correspond-il à la réalité actuelle ? Pensez-vous qu’un endiguement de cette violence endémique soit possible ? Si oui, comment ?
On a un président qui n’a pas peur de rien en ce qui concerne sa responsabilité. De la part d’Emmanuel Macron, l’emploi de ce terme n’a que peu de sens. En 2017, il considérait qu’il n’y avait ni de civilisation ni de culture française. Certes, il y a une situation de violence au quotidien qui est le fruit d’un individualisme exacerbé, d’une frustration qui n’est plus gérée. Nous vivons une époque où chaque désir doit avoir une réponse positive pour celui qui le ressent. Mais au-delà de cela, il y a une violence de plus en plus prégnante, parce qu’il y a aussi une absence de réponse pénale pure et réelle. Il y a trop peu d’incarcérations. On oublie que la population a augmenté et que les services de police ont diminué mais aussi que les places des prisons n’ont pas augmenté suffisamment ces trente dernières années. Il y a un paradoxe quand même absolument insupportable. Donc comme je dis, c’est une violence qui a toujours été. Notre problème à tous, c’est que nous vivons avec des responsables politiques qui mettent la tête dans le sable, qui ne veulent pas voir la réalité en face pour des raisons budgétaires. Nous avons d’une part, une gauche qui est totalement démagogique, considère que tout acte délinquant est le fruit d’un mal être social ou d’un déclassement social. Ce qui est partiellement exact sachant que des individus s’installent dans la délinquance tout simplement parce que ça rapporte énormément d’argent, beaucoup plus que d’aller à Pôle Emploi. Et d’autre part, une droite cynique qui a destructuré des services de police uniquement par souci financier, budgétaire. Les réseaux de délinquants ont créée un espace de vie en dehors du système républicain, normalement admis. Pour en venir aux solutions, je pense que le rétablissement d’une forme de police de proximité serait une bonne idée. Cela coûterait de l’argent mais c’est à mon sens nécessaire. La police doit être visible et pas seulement répressive, même si la reprise en main du terrain risque d’entraîner des phases de violences contre ces réseaux de délinquants qui se sont appropriés l’espace.
Régler le problème de la violence passe aussi par la rééducation. Revenir à un système éducatif vraiment beaucoup plus ferme, rétablir le pouvoir en intrafamiliale, arrêter de culpabiliser le père ou la mère que l’on va considérer comme violent par rapport à l’enfant alors qu’il ne fait que le réprimander. Réapprendre le « non ». En somme, réapprendre l’interdit.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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