La blessure morale : une véritable « fracture du jugement interne » jamais diagnostiquée

Par Epoch Times avec AFP
28 janvier 2025 11:20 Mis à jour: 28 janvier 2025 11:39

Un militaire amené à tirer sur un enfant-soldat, une victime du Bataclan contrainte de s’enfuir sans pouvoir aider un proche : un conflit avec ses propres valeurs peut provoquer une blessure morale, dont les conséquences sont tout aussi délétères qu’un traumatisme psychologique.

Le concept est étudié aux États-Unis depuis la guerre du Vietnam, mais en France la blessure morale fait figure d' »objet flottant non identifié », relèvent la médecin Christine Roullière-Le Lidec et le secrétaire général de l’aumônerie militaire catholique Nicolas Méric dans un livre à paraître (« Blessure morale. Expliquer, accompagner, reconstruire« , éd. Pierre de Taillac).

« Une blessure qui n’était ni physique, ni psychique, ni spirituelle »

Les deux auteurs expliquent avoir constaté dans leur pratique professionnelle « l’existence d’une blessure qui n’était ni physique, ni psychique, ni spirituelle », non traitée car non diagnostiquée.

« La prise en charge de la blessure psychologique et du syndrome de stress post-traumatique (SSPT) est très bien faite mais il y a un trou dans la raquette, d’autant que maintenant le SSPT peut être utilisé de manière abusive », note Christine Roullière-Le Lidec.

Avec « l’effet pervers » de « psychiatriser » une personne atteinte de blessure morale. Cette « fracture du jugement interne » entraîne sentiments de culpabilité, de perte de sens et de l’estime de soi et, si elle n’est pas prise en charge, favorise un stress post-traumatique.

Un conflit avec ses valeurs, ses convictions

La blessure morale survient lorsqu’une personne commet, assiste ou ne peux empêcher un acte qui entraîne un conflit avec ses valeurs, ses convictions. Son « agent causal est interne », insiste la médecin, quand le critère fondamental du stress post-traumatique est extérieur, comme l’exposition à la mort ou à une violence sexuelle.

Et de relater l’expérience d’un soldat confronté en Afghanistan à un « gamin avec une ceinture d’explosifs et qui a eu l’image de son fils au moment de tirer ». Au SSPT lié à la possibilité d’être tué s’est ajoutée la blessure morale: « Le soldat n’arrivait pas à envisager de tirer sur un gamin », explique-t-elle.

Militaires, soignants ou salariés

La condition militaire expose à des questions éthiques spécifiques conduisant à des risques de blessure morale. Mais ils ne lui sont pas propres : une étude canadienne a mis en lumière la détresse morale des soignants pendant le Covid, contraints à des choix cornéliens dans le traitement des patients. Une étude publiée dans la revue américaine Harvard Business traite elle du cas de salariés soumis à des compromis moraux les exposant au risque de blessure morale.

La prise en charge d’une blessure morale passe par un accompagnement de la personne blessée. Plus qu’une question médicale, la réponse passe par la relation à autrui, le dialogue que ce soit avec un médecin -qui ne sera pas dans son rôle de docteur-, un aumônier ou toute autre personne agissant comme « agent de soutien moral ».

« Une question de dissonance de valeurs » et « une question sociétale »

La source de la blessure morale, « ce n’est pas un problème de valeurs, c’est une question de dissonance de valeurs », insiste Nicolas Méric, qui met en avant les atrocités commises par exemple par l’armée allemande en Union soviétique pendant la Seconde guerre mondiale : « Des armées dépourvues de valeurs éthiques permettent aux soldats de faire n’importe quoi sans pour autant éprouver de blessure morale ».

Les années de propagande faisant des Slaves des « sous-hommes » avaient fait leur œuvre.

Fracture de l’intime, « la blessure morale n’est pas simplement une question personnelle, mais une question sociétale », abonde Mgr Antoine de Romanet, à l’origine du projet, dont la fonction d’évêque aux armées françaises comprend le conseil au commandement.

Monseigneur De Romanet donne l’eucharistie aux soldats du régiment de Spahis à la cathédrale Saint Apollinaire de Valence, France, le 3 mai 2024. Messe de Saint Georges Patron des chevaliers pour les 40 ans de présence du premier régiment de Spahis à Valence célébrée par Monseigneur Antoine de Romanet évêque aux armées françaises. (NICOLAS GUYONNET/Hans Lucas/AFP via Getty Images)

Prévenir les blessures morales et  renforcer la « force morale » d’une nation

L’importance accordée par la hiérarchie militaire à la dimension éthique dans le combat, le fait de prévenir les troupes de la présence d’enfants-soldats par exemple, aide à prévenir les blessures morales.

Cela permet aussi de renforcer la « force morale » d’une nation, sa capacité à surmonter l’adversité. Particulièrement face à la manipulation des opinions, à la guerre hybride dont les Occidentaux accusent la Russie. Les actes de guerre hybride « s’appuient sur la blessure morale en instillant le doute, en jouant sur les incohérences sociétales », explique Nicolas Méric: « L’adversaire identifie les valeurs fondatrices d’une société et cherche à lui montrer qu’elle ne les respecte pas » pour saper sa confiance.

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