WASHINGTON – Mikhail Khodorkovsky, l’ex-magnat du pétrole russe et virulent critique du Kremlin, attend impatiemment le jour où Vladimir Poutine ainsi que l’élite politique qui l’entoure auront quitté le pouvoir. Entre-temps, il conseille aux États-Unis et à l’Occident en général de ne pas répéter les mêmes erreurs que dans les années 1990 avec leurs efforts en demi-teinte pour aider la Russie à se transformer en État économiquement moderne et démocratique.
Khodorkovsky s’est exprimé devant l’Atlantic Council en juin dernier dans le cadre d’une discussion au sujet des intérêts stratégiques de la Russie en ce qui a trait à l’Occident, devant une assistance qui semblait être composée majoritairement de Russes.
«Tôt ou tard, le système actuel va s’effondrer et nous devons nous préparer à cette éventualité dès maintenant. L’Occident doit mettre en œuvre une coopération très étroite avec les Russes favorables à l’Europe et il doit établir les mécanismes pour assurer l’intégration rapide de notre pays dans le système international après le changement de régime. Le temps pour agir sera limité», a-t-il déclaré dans sa langue maternelle russe.
Khodorkovsky estime qu’en 2011-2012, la population russe était sur le point de passer à la démocratie, en ayant assez des «dirigeants autoritaires et rétrogrades». Il base cette observation sur le mécontentement grandissant au sein de la classe moyenne et sur l’ampleur des manifestations. Les dirigeants ont conservé leur pouvoir en lançant une campagne de propagande à grande échelle qui a «fait appel aux sombres instincts des foules» et par la «répression des manifestations et les persécutions politiques».
Les événements comme l’annexion de la Crimée et l’interférence dans l’est de l’Ukraine doivent être évalués dans ce contexte.
«La confrontation actuelle avec l’Occident est absolument artificielle et a été orchestrée par l’élite russe qui veut s’accrocher au pouvoir. Cette élite a désespérément besoin d’un épouvantail qui peut détourner l’attention de la population de la nature corrompue et inefficace du régime», estime-t-il.
Selon lui, il ne faut pas s’attendre à une résolution rapide du conflit en Ukraine ou d’autres enjeux internationaux tant que Poutine sera au pouvoir. Même si une entente était conclue, dans le système actuel il pourrait soudainement changer d’avis et il n’y aurait pas de loi ou d’institution pour l’en empêcher.
Khodorkovsky affirme que Poutine est le genre de personne qui répond seulement à la force. «S’il perçoit la force de l’autre côté, il voudra discuter. Si tout ce qu’il voit sont des menaces en l’air […] il s’esclaffe.»
Russie ouverte
Khodorkovsky a grimpé au sommet dans les années 1990 en dirigeant Yukos, l’un des plus grands producteurs de pétrole en Russie. Il est devenu milliardaire, l’homme le plus riche en Russie et l’un des plus riches au monde.
Khodorkovsky fait face à son propre lot de critiques en ce qui a trait à l’accumulation de sa fortune. Il avait débuté comme banquier, fondant sa propre banque (Menatep), et l’argent aurait été fait sur l’effondrement rapide du rouble, selon des allégations. Dans les années 1990, Khodorkovsky était l’un des quelques «oligarques» reconnus pour leur opportunisme et leur caractère impitoyable durant la privatisation de la Russie après l’effondrement de l’Union soviétique. (Le terme «oligarque» n’est pas totalement approprié, puisque ces hommes accumulaient la richesse et non le pouvoir politique, mais le terme est resté.) Il a acquis sa compagnie pétrolière, qui est devenue Yukos, par l’entremise d’un encan truqué dans lequel il n’a déboursé qu’une fraction de la valeur, soit environ 8 milliards deux ans plus tard. Il a également été impliqué dans d’autres affaires douteuses.
Toutefois, tout comme le magnat du pétrole américain John D. Rockefeller, Khodorkovsky est également philanthrope. En 2001, Khodorkovsky a fondé l’ONG Open Russia Foundation pour promouvoir la société civile, la démocratie, la primauté du droit et les liens de la Russie avec l’Occident. Il a effectué des «dons charitables bien en vue», écrit Anders Aslund dans Russia’s Capitalist Revolution.
Son implication auprès de partis politiques d’opposition a ultimement mené à sa perte. Il s’est mis à dos les autorités russes, les accusant publiquement de corruption généralisée. Il a été arrêté en 2003 et a été condamné pour fraude et évasion fiscale dans un procès jugé politisé par plusieurs.
Amnesty International l’a déclaré prisonnier de conscience en 2011 en compagnie de son partenaire d’affaires, Platon Lebedev. Il a été emprisonné pendant dix ans jusqu’à ce que Poutine lui octroie son pardon en décembre 2013, avant les Jeux de Sotchi. Il vit actuellement en exil à Zurich avec sa famille.
Le gouvernement russe a fermé l’Open Russia Foundation en 2006 alors que Khodorkovsky était en prison. Le 20 septembre 2014, Khodorkovsky l’a relancée officiellement par l’entremise d’une vidéoconférence diffusée depuis Paris.
Le dissident russe Vladimir Kara-Murza a écrit: «Le mouvement Open Russia […] vise à soutenir et à donner une voix aux millions de Russes pro-démocratie et pro-Europe qui ont été marginalisés par le régime Poutine.»
«La notion selon laquelle “la Russie n’est pas l’Europe” est un mensonge imposé à la société par ceux qui veulent demeurer au pouvoir éternellement», avait déclaré Khodorkovsky lors de l’événement, selon Kara-Murza qui y participait.
Le régime russe aurait apparemment interféré avec la diffusion en Russie. Le quotidien The Guardian a rapporté que le site web de l’organisation avait été victime d’une attaque par déni de service distribué et que des militants dans des villes du centre de la Russie qui voulaient participer à la cérémonie avaient rencontré des problèmes, selon une relationniste de Khodorkovsky.
Russie européenne
Khodorkovsky estime que le meilleur avenir pour la Russie se trouve dans l’intégration de l’Europe, incluant l’accession à l’Union européenne et éventuellement à l’OTAN. Une telle intégration représente un défi mais c’est, selon lui, dans l’intérêt de l’Occident et de la Russie. Les politiques de Poutine d’isolation auto-imposée envoient la Russie dans la mauvaise direction, selon lui.
«Nous qui voyons la Russie d’un autre œil cherchons des alliés pour aider la Russie à finalement cimenter sa place dans l’Europe», affirme-t-il. La sécurité, le développement économique et la confiance dans l’avenir pour la Russie passent par la transformation économique. Seulement une intégration avec l’Occident peut permettre une telle transformation, ajoute-t-il.
Manque de volonté
Khodorkovsky a fustigé l’Occident de ne pas reconnaître les enjeux importants de l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne.
«Je ne crois pas que l’Occident démontre assez de volonté en ce qui a trait à l’intégration de l’Ukraine», croit-il. «Selon moi, l’Occident ne comprend pas tous les risques liés à une intégration non suffisante.»
Khodorkovsky conseille à l’Occident de ne pas trop se soucier des risques et ainsi rater cette occasion, sinon «nous allons encore perdre».
Version originale : ‘Confrontation With the West Is Absolutely Artificial,’ Says Russian Dissident
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