Le phénomène de la dévaluation monétaire et ses conséquences ne sont pas propres aux temps modernes : ils remontent bien plus loin dans l’histoire, jusqu’à l’Antiquité.
Avec l’effondrement de la République romaine, le grand-neveu de César, Caius Octavius, devenu Auguste, prit le pouvoir et instaura une vaste réforme monétaire au sein du marché commun romain. L’ancien système républicain trimétallique, basé sur des monnaies de différentes dénominations en argent, laiton et bronze, fut remplacé par un système quadrimétallique : pièces d’or (aureus et quinaire aureus), d’argent (denier et quinaire), de laiton (sesterce et dupondius) et de cuivre (as, semis et quadrant). L’aureus constituait la base stable du système monétaire, avec une teneur élevée en métal précieux (98 % d’or). Son poids passa d’une valeur théorique de 8,175 grammes sous César à 7,785 grammes sous Auguste.
De son côté, le denier argenté (denarius argenteus) devint l’élément central du nouveau système impérial. Sa teneur en argent resta également élevée, entre 97 et 98 %, mais son poids passa de 4,54 grammes sous la République à 3,892 grammes sous Auguste. Quant au sesterce et à l’as, ils conservèrent leur rôle de monnaies courantes et d’unités de compte. Le sesterce, qui contenait 1,13 gramme d’argent sous la République, fut remplacé sous Auguste par une pièce en laiton de 27 grammes. L’as, autrefois en bronze et pesant 54,50 grammes, fut allégé à 11 grammes de cuivre.
Ces réductions du poids des pièces en or et en argent, ainsi que le recours à des métaux moins coûteux pour le sesterce et l’as, permirent à Auguste de financer des niveaux inédits de dépenses publiques. Grâce à la conquête de l’Égypte et à la pacification de l’Empire, il entreprit de profondes réformes dans l’administration, la justice, les finances, la religion et l’armée. Il lança aussi d’ambitieux projets de conquête et mena un programme de travaux publics d’une ampleur inédite, si bien que Suétone écrivit qu’il pouvait se vanter d’« avoir trouvé Rome en brique et de l’avoir laissée en marbre » (Suétone, Aug., 28.3.2–4). Le budget annuel moyen s’élevait alors à environ 440 millions de sesterces, dont 273 millions alloués à l’armée et à la garde prétorienne, 55 millions à l’administration impériale, 60 millions aux distributions mensuelles de blé gratuites pour les Romains les plus démunis (annona) et seulement 7 millions aux travaux publics et aux jeux.
Suivant la logique augustéenne de dévaluation – réduction du poids des pièces suivie d’une injection de dépenses publiques dans l’économie –, ses successeurs des Ier et IIe siècles poursuivirent cette tendance en diminuant progressivement la teneur en argent du denier. Néron fut le premier à le dévaluer après Auguste, en abaissant son poids à environ 3,18 grammes et sa teneur en argent à 93,5 %. Grand amateur d’art, de voyages et de spectacles, il eut besoin d’importantes liquidités pour financer ses politiques d’emploi public, ses distributions de blé, ses spectacles et surtout ses projets pharaoniques, comme la Domus Aurea, un immense palais au luxe extravagant construit après l’incendie qui ravagea Rome.
D’autres empereurs suivirent cette voie : Vespasien abaissa la teneur en argent du denier à 90 % pour surmonter la crise financière causée par la guerre civile de l’Année des Quatre Empereurs. Domitien, après une tentative de restauration à 98 %, revint à 93,5 % pour financer l’augmentation des soldes militaires, la construction de la ligne de défense des Agri Decumates et les guerres en Bretagne et sur le Danube.
Le processus continua au IIe siècle : Trajan réduisit la teneur du denier à 89,5 % pour financer l’expansion militaire et d’énormes projets urbains comme le Forum de Trajan. Antonin le Pieux abaissa cette teneur à 83,5 %, suivi de Lucius Verus qui la fit chuter à 79 %. L’augmentation chronique des dépenses publiques et l’affaiblissement progressif de l’économie ne firent qu’aggraver la situation financière de l’Empire. Le budget de l’État, qui était de 440 millions de sesterces sous Auguste, atteignit entre 830 et 900 millions en milieu de siècle.
À la fin du IIe siècle, le denier argenté perdit près de la moitié de sa valeur initiale. Commode le dégrada à 74 % d’argent, notamment pour financer ses jeux extravagants et ses distributions publiques. Ses confiscations et la mise aux enchères des charges politiques ne suffirent pas à combler le déficit. Pertinax tenta brièvement de stabiliser la monnaie, mais son refus d’augmenter la solde des prétoriens entraîna son assassinat trois mois après son avènement. Son successeur, Didius Julianus, qui avait acheté l’Empire aux enchères, abaissa encore la teneur du denier à 81,5 %.
La guerre civile qui suivit porta Septime Sévère au pouvoir. Ce dernier inaugura l’emprise quasi totale de l’armée sur les finances impériales : il augmenta les effectifs militaires, fit passer la solde des soldats de 1 200 à 1 600–2 000 sesterces annuels et instaura l’annona militaris, un impôt spécial « temporaire » pour les besoins de l’armée. Il développa aussi un véritable État-providence : distributions gratuites de blé et d’huile d’olive à Rome, aides sociales atteignant 880 millions de sesterces et même des soins médicaux gratuits pour les plus pauvres (une sorte de Medicaid romain). Pour financer ces dépenses exorbitantes, il dévalua le denier trois fois de suite, réduisant sa teneur en argent à 78,5 %, puis 64,5 %, et enfin 56,5 %.
L’aureus, pièce d’or, résista mieux aux dévaluations que le denier pendant les deux premiers siècles, passant de 7,8 grammes sous Auguste à 7,2 grammes sous Septime Sévère, avec une pureté réduite à 88–90 %.
Toutes ces dévaluations s’accompagnaient d’une production monétaire accrue pour financer les dépenses publiques. L’excès de liquidités profitait d’abord aux élites proches du pouvoir – empereurs, sénateurs, hauts fonctionnaires, généraux – au détriment du reste de la population (effet Cantillon). L’inflation, modérée au début (0,7 % par an en moyenne), fut contenue par l’expansion du marché romain et la forte demande en deniers, à l’image du dollar ou de l’euro aujourd’hui. Cependant, à long terme, ces pratiques conduisirent à un affaiblissement du commerce, une généralisation du troc et, finalement, à l’hyperinflation et au contrôle des prix aux IIIe et IVe siècles, précipitant l’effondrement du système économique romain.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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