L’art académique, autrement nommé « académisme » ou « éclectisme » est un courant de peinture français du XIXe siècle ayant englobé de nombreux genres traditionnels, du portrait à la nature morte.
Mais c’est surtout le goût des peintres académiques pour des thèmes édifiants ancrés dans l’histoire ou l’antiquité, ainsi que leur orientalisme, qui démarque ce courant artistique.
Les artistes n’hésitaient pas à enrichir les récits de détails de leur cru pour les rendre plus nobles et plus convaincants. Les reines antiques aux destins symboliques constituaient un sujet de prédilection.
Au XIXe siècle, les académies d’art étaient bien établies dans toute l’Europe, et l’Académie des Beaux‑Arts de Paris formait les artistes émergents aux techniques et sujets traditionnels de manière bien particulière. Les jeunes apprentis étudiaient sous la tutelle de maîtres artistes. Ceux‑ci devaient s’assurer que leurs élèves trouveraient un mécène. L’académie parrainait des expositions, mettait en relation artistes et mécènes et influençait le goût du public.
Au cours de la première moitié du XIXe siècle, les artistes et les mécènes ont privilégié l’antiquité. Cette tendance résultait des décennies de conflits qu’avait vécues la France. Suite à la Révolution et aux guerres napoléoniennes, les Français devaient reconstruire la nation. L’antiquité les inspiraient bien davantage que l’histoire récente.
Parmi les personnalités antiques symbole de triomphe figure la reine Zénobie d’Arménie. Le tableau de William Bouguereau de 1850, « Zénobie trouvée par des bergers sur les rives de l’Araxe », représente cette reine qui survit miraculeusement après un parcours teinté d’horreur et de violence. Un parcours auquel les Français de toutes les générations s’identifiaient à cette époque.
En son temps, Bouguereau (1825‑1905) était un des artistes les plus célèbres. Son œuvre est considérée comme une des plus emblématiques de l’académisme. Bouguereau créait des compositions qui mettaient l’accent sur une dimension intellectuelle. Il piochait des sujets dans l’héritage culturel classique qu’il représentait en respect d’un ensemble fixe de règles esthétiques. Il ne négligeait pas pour autant la dimension impressive et ses œuvres ciblaient aussi la subjectivité émotionnelle de tout un chacun. De même, alors que certains privilégiaient la forme sur la couleur, Bouguereau reconnaissait l’interdépendance fondamentale des lignes et des couleurs, il fallait trouver le juste équilibre.
L’histoire de Zénobie
Pour comprendre l’histoire de Zénobie, il faut d’abord comprendre celle de son mari Rhadamiste, roi d’Ibérie.
Sous la dynastie des Pharnavazides (du troisième siècle avant J.‑C. au deuxième siècle après J.‑C.), Rhadamiste est le fils aîné du roi Pharasmanes Ier d’Ibérie. Pharasmanes craint que son fils ambitieux et impatient tente d’usurper son trône, il l’oriente donc pour aller usurper le trône de son oncle, le roi Mithridate d’Arménie. Après avoir persuadé son fils, il l’envoie déclarer la guerre à son oncle.
Mais Rhadamiste choisit de tromper Mithridate plutôt que de lui déclarer la guerre. Il le rejoint donc feignant s’être échappé suite à une querelle avec son père. Entretemps, il élabore une stratégie d’invasion.
Le prince Rhadamiste, alors célébré pour son ambition, sa force, sa beauté et sa bravoure, parvient sans peine à intégrer la famille royale arménienne et à épouser la princesse Zénobie, fille du roi Mithridate. Mais bien vite, pour s’emparer du trône, il massacre tout le monde. Seule Zénobie est épargnée. Ces événements se déroulent en 50 avant J.‑C environ. Bien sûr, son règne est aussi bref qu’épouvantable. Le peuple arménien se révolte et parvient à le chasser. Le voilà forcé de prendre la fuite, avec Zénobie.
Au lieu de s’enfuir avec Rhadamiste et de risquer une captivité honteuse aux mains de ses ennemis, Zénobie le supplie de lui faire grâce d’une mort honorable. Rhadamiste refuse d’abord, d’autant qu’elle est enceinte, puis cède. Après avoir accompli son horrible tâche, il la jette dans le fleuve. Miraculeusement, Zénobie survit et des bergers compatissants la soignent avec leurs remèdes rustiques. Ils l’emmènent ensuite dans la ville d’Artaxata où elle rejoint le nouveau roi d’Arménie, le roi Tiridate (épris d’elle selon la légende). Celui‑ci la traite comme un membre de la famille royale. Elle mène dès lors une vie paisible. De son côté, Rhadamiste parvient jusqu’en Ibérie. Plus tard, il est condamné à mort pour avoir comploté contre son père.
Bouguereau a dépeint un des moments les plus dramatiques dans le parcours de Zénobie. Mais il a surtout choisi le moment charnière, le tournant dans la vie de la jeune reine. À partir de là, l’horreur prendra fin pour elle. L’espoir, la stabilité, l’humanité, reprendront le dessus. Il y a une triste ironie dans le fait que Marie‑Antoinette, n’ait pas connu le même sort clément 60 ans plus tôt. Dépassant le legs sordide de la Révolution, Bouguereau a choisi de défendre et d’embrasser des valeurs comme la rédemption et la concorde. Les personnages et la composition sculpturale sont rendus de manière intemporelle de sorte que l’entraide spontanée, la solidarité simple, sont présentées comme des principes sacrés et universels.
La reine Didon de Pierre‑Narcisse Guérin
Le célèbre académicien Pierre‑Narcisse Guérin (1774‑1833) a également choisi un sujet royal pour son chef‑d’œuvre de 1815, « Enée racontant à Didon les malheurs de Troie ». Le tableau a remporté un énorme succès au Salon de Paris de 1817. Le salon était l’exposition d’art officielle de l’Académie des Beaux‑Arts, et c’était probablement l’événement artistique le plus important d’Europe au XIXe siècle.
Guérin, réputé pour sa diversité artistique, deviendra directeur de l’Académie de France à Rome en 1822. Outre ses propres contributions à l’Académie française, il compte parmi ses élèves Delacroix et Géricault.
Guérin, comme beaucoup de ses contemporains, s’est inspiré des récits historiques et mythologiques de l’antiquité. Son œuvre de 1815 dépeint des événements tirés du livre IV de l’Énéide de Virgile (écrit entre 29 et 19 avant J.‑C.).
L’Énéide retrace l’histoire d’Énée à la manière d’un récit homérique. Énée, qui a fui la ville de Troie tombée aux mains des Grecs va ensuite fonder la ville de Rome. Au cours de sa traversée de la Méditerranée, en route vers l’Italie, le héros aborde le royaume nord‑africain de Carthage. Il y rencontre la puissante reine Didon. En échange de son hospitalité, elle demande au jeune voyageur de lui faire le récit de la guerre de Troie et de ses aventures en mer. Énée s’exécute jusqu’à ce que Cupidon les frappe de sa flèche.
Guérin saisit Didon en train de regarder son invité avec un air subtil de tendresse. Au premier plan, le tableau représente un amour naissant. Au second plan, l’artiste laisse voir un paysage carthaginois attrayant. La palette de l’artiste est gorgée de soleil, chaude et accueillante. Cela mérite d’être souligné, car les artistes académiques choisissaient généralement les couleurs qui communiquaient le mieux les émotions des personnages, de sorte que l’atmosphère soulignait leurs intentions profondes.
Mais Énée devra quitter Didon, car les dieux lui ont donné une mission, qui est de fonder Rome. Tel est son devoir et son destin. C’est à lui de poser les premières pierres d’un empire qui changera le monde à jamais. Accablée de chagrin, Didon se donne la mort une fois délaissée.
Si, à première vue, cette histoire est tragique, Guérin en tire une leçon plus poignante, voire optimiste : la fondation d’un grand empire exige des sacrifices tout aussi grands. Après des décennies de bouleversements et de sacrifices en France, le public pouvait apprécier la promesse de temps glorieux à venir.
Guérin, comme Bouguereau, ont adapté ces histoires de reines antiques au public du XIXe siècle. Il s’agissait de transcender les horreurs de la Révolution, de célébrer l’ascension de la nouvelle nation française.
L’universalité et les valeurs morales mises en avant dans le style académique sont cependant intemporelles et nous touchent encore aujourd’hui. De manière remarquable, les académiciens ont développé un style unique où la couleur et la forme, l’émotion et l’intellect, étaient en équilibre… Et peut‑être plus important encore, la beauté et la raison.
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